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Tennis: mort de Nick Bollettieri, éleveur de bulldogs

Nick Bollettieri (à gauche) avec son élève le plus turbulent, Andre Agassi.
Nick Bollettieri (à gauche) avec son élève le plus turbulent, Andre Agassi.

Mort de Nick Bollettieri, éleveur de bulldogs

D'Agassi à Sharapova, Nick Bollettieri a formé toute une génération de champions puissants et enragés, qu'il appelait affectueusement ses «bulldogs». Il fut la figure patriarcale du tennis moderne.
22.11.2022, 17:0823.11.2022, 08:37
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Si l'académie porte toujours son nom, bien après sa vente à IMG pour «une montagne de dollars», comme il aimait à s'en vanter, c'est parce que ce nom-là est associé au succès. A la puissance (style de jeu) et la gloire (palmarès). Ce nom, en un sens, est au tennis moderne ce que le trou est au fromage: une force invisible.

Nick Bollettieri fut notre voisin de pupitre à Wimbledon pendant trois ans. Mais il fut bien plus encore la figure patriarcale du tennis moderne, faiseur de champions purs et durs qu'il appelait affectueusement ses bulldogs: Andre Agassi, Jim Courier, Boris Becker, Monica Seles, Maria Sharapova, Venus et Serena Williams, etc.

Nick Bollettieri a quitté ce monde à l'âge de 91 ans, à l'état quasi squelettique, certes, mais avec ce sourire canaille qu'il portait en toutes circonstances, pour narguer les problèmes et ceux qui avaient la vanité de lui en causer. Des problèmes qu'il chassait à coups de préceptes, en ricanant du plus profond de ses entrailles. Genre: «Believe in yourself and never, never doubt your ability to do it.»

Nick Bollettieri sur son lit de mort, entouré de ses deux filles.
Nick Bollettieri sur son lit de mort, entouré de ses deux filles.

L'académie Bollettieri est aujourd'hui une institution aussi prestigieuse que la Masia de Barcelone ou le Spartak Moscou de Poutine. De 6 à 20 ans, ils continuent de débarquer par centaines dans la banlieue de Bradenton, Floride, parmi les halles de stockage et les fast-food. L'académie Bollettieri est une usine à champions comme n'importe quelle autre, cernée de grillages et de caméras, entouré d'un halo de mystère. On y cultive le sens du devoir sur cent hectares, allées interminables, courts alignés, perspectives lointaines... Journées rythmées par le son des balles et les aboiements belliqueux des baby cadors.

Yuri Sharapov a sonné au portail un beau matin, sa fille de 9 ans sous le bras, avec 700 dollars en poche, une adresse griffonnée sur un bout de papier, aucun réseau, aucun poto, pas un seul mot d'anglais. Pour payer l'inscription, le père de Maria a cumulé les petits boulots: ouvrier de chantier, éboueur, jardinier, garçon de café. «C'était comme ça à l'époque», riait fièrement Bollettieri, de son meilleur sourire carnassier, quand nous l'avions interrogé sur Sharapova: les parents arrivaient du Texas ou de l'Oural pour lui confier leur progéniture. A travers ces enfants, leur rêve américain.

«Je n'oublierai jamais le jour où les Sharapova sont venus chez moi. C'était une démarche familiale assumée, menée avec un grand courage. Ces deux-là savaient où ils allaient et comment y aller»
Nick Bollettieri

La détection de talents, souvent, empruntait ses méthodes aux systèmes d'élevage. Bollettieri assumait une part d'eugénisme: «Je regarde les mains, les yeux, le mouvement. Je regarde le physique et le mental. Je regarde la taille des parents, s'ils possèdent un passé d'athlète, s'ils sont introvertis ou exubérants, s'ils sont intelligents.»

A l'époque, comme disait le vieux Nick, les demoiselles sortaient de Bradenton tantôt livides ou impavides, clonées dans un même idéal de résilience, ténacité féminine garantie d'usine. «Ce sont les sœurs Williams qui, au départ, ont changé le tennis. Elles ont obligé les joueuses à fréquenter les salles de musculation», rendait-il hommage. Le regard, quand il parlait de Serena, s'attendrissait immédiatement: «C'était un bulldog!»

Son préféré, c'était Agassi. Pas le plus facile: tempérament indocile, dégaine de guitariste pouilleux, crinière de poney sauvage sur des manières de surdoué cabochard. Agassi fut l'un de ces élèves turbulents que n'importe quel professeur intelligent, doué d'un tant soit peu de sensibilité humaine, finit par trouver attachant. «Avec Andre, c'était dur, mais gratifiant.» Puis de l'adouber: «Un vrai bulldog!»

Mais Agassi, lui, n'aimait pas Bradenton. A l'académie où l'alcool était interdit, où sa chambre était inspectée chaque soir, il construisait des pyramides avec des bouteilles de whisky pour signifier son niveau d'exaspération. Dans son autobiographie, Agassi écrit que «Nick était un personnage insignifiant qui, je pense, ne connaissait pas grand-chose au tennis. Il était surtout bon commerçant. Un jour ou l'autre, tu te rends compte que tu fais son succès, et non l'inverse.» Pour le Kid, l'académie fut un stalag:

«On mange tennis, on dort et on respire tennis. Là-bas, j'ai vu plein de talents arrêter parce qu'ils ne supportaient plus cette vie. Moi, ça m'a motivé. Je savais que plus vite je gagnerais, plus vite je partirais»
Andre Agassi

Nul n'a jamais su dissocier distinctement chez Bollettieri le visionnaire du tortionnaire. Ses détracteurs affirment qu'à l'aide d'un marketing ingénieux, il a offert une virginité aux anciennes méthodes communistes, avant d'en faire une carrière académique, puis un système démocratique. Il en ricanait de bon coeur: «J'ai un peu forcé au début, sous l'incitation des parents, mais je n'ai jamais eu une vocation de tortionnaire.»

Nick Bollettieri n'a jamais vraiment cessé d'entraîner.
Nick Bollettieri n'a jamais vraiment cessé d'entraîner.

Oeil rieur et blague facile, «The Coach» était un bourreau des corps, né lui-même dans le confort spartiate d'une famille d'émigrés napolitains. C'est en servant dans l'US Air Force que ce parachutiste s'est ouvert aux prouesses plus lucratives de la confrontation sportive. Plus qu'un modèle universel de tennisman puissant et cruel, il a créé un genre de sélection par la volonté et la discipline. «Je fus le premier à ouvrir une académie de tennis. Après, ils m'ont tous copié», badinait-il à l'envi. Pas faux.

Etait-il pour autant le meilleur coach du monde, comme il aimait à le claironner? Sûrement pas. Mais fidèle à ses préceptes immuables, Nick Bollettieri n'a jamais laissé le doute altérer sa capacité à croire en lui. Aux «jeunes» journalistes qui débarquaient dans le tennis et qu'il prenait en sympathie, il racontait aussitôt ses brillantes médailles et ses magnifiques épouses (5), ses conférences à Harvard sous les vivats, sa main gravée dans le Wall of Fame, ses neuf numéros un mondiaux éperonnés avec semblable vigueur, mais aussi les bons types qu'il sortait du caniveau, fusse d'une poignée de main de maquignon (Agassi II, le retour). Tommy Haas confirme:

«Nick m'a relancé. J'étais au fond du trou. Il est devenu un second père»

Las, Bollettieri était plus doué pour gérer les carrières que les comptabilités et il a fini surendetté, contraint de céder son usine à IMG pour 7 millions de dollars. Quand il a eu besoin d'oseille, il y a officié comme prête-nom ou donneur de leçon(s), il y a vendu ses conseils en plein soleil, en cherchant dans chaque petit être qui s'offrait à lui une âme de bulldog.

Nick Bollettieri, au fond, avait bien assez de dollars et de palmiers pour vivre à l'abri des soucis, mais l'ombre ne l'a jamais attiré. On le croisait chaque année à Wimbledon et à l'US Open, cambrure vénérable, cuir tanné et voix fracassée, un porte-document sous le bras. Il parlait à tout le monde, distribuait des clins d'oeil et des avis, certains assez bizarres mais peu importe: «Crois-moi, si ton Roger veut à nouveau rivaliser avec Nadal et Djokovic, il doit apprendre le revers à deux mains», nous avait-il balancé avec une grosse tape sur l'épaule.

A 91 ans, Nick Bollettieri se savait en train de mourir et s'y est préparé sérieusement, selon le communiqué de ses filles. Il est monté au ciel dimanche soir, sans états d'âme ni parachute.

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