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La Suisse accueille les blessés ukrainiens: pourquoi?

Swiss President Ignazio Cassis, Minister of Foreign Affairs greets participants ahead of the round of national statements, during the Ukraine Recovery Conference URC, Tuesday, July 5, 2022 in Lugano,  ...
Interprétation erronée de la neutralité suisse? Le président de la Confédération Ignazio Cassis a dû essuyer de nombreuses critiques.image: keystone

La Suisse accueille finalement les blessés ukrainiens: pourquoi?

La Suisse s'est déclarée prête à accueillir des victimes de la guerre en Ukraine. Dans un premier temps, il avait d'abord été rapporté que cela n'était pas compatible avec notre neutralité. Comment expliquer ce revirement apparent?
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22.07.2022, 06:29
Petar Marjanović
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En lisant les journaux cette semaine, on peut constater que le creux de la vague est passé: le trou d'actualité journalistique de l'été a été comblé. Une enquête des journaux Tamedia, selon laquelle la Suisse aurait décidé de ne pas accueillir de blessés de guerre en provenance d'Ukraine, en est à l'origine. La vague d'indignation qui s'en est suivie était totale, car l'affaire contient tout ce dont Monsieur et Madame Tout-le-monde ont besoin pour s'indigner: hypocrisie, inhumanité et pédantisme administratif.

Un regard attentif sur le contexte montre toutefois que l'indignation et l'incompréhension sont davantage dues à un flop en matière de relations publiques qu'à de mauvaises décisions politiques. Elles ont été déclenchées par la diplomatie, qui préfère se taire en ce qui concerne l'extérieur plutôt que de risquer des malentendus – mais dans ce cas, de nouveaux malentendus sont apparus.

Le fait est que la Suisse n'a jamais refusé d'accueillir des victimes de guerre blessées. Le prétendu «veto» de la Confédération n'a jamais existé.

Cela s'est confirmé mercredi soir: la Suisse s'est déclarée prête, vis-à-vis de l'Ukraine, à accueillir des civils blessés. Cette promesse a été faite après que les autorités ukrainiennes ont fait parvenir deux demandes à la Suisse: l'Ukraine garantit qu'il s'agira exclusivement de civils, dont 155 enfants. La SRF a été la première à rapporter ce rebondissement.

Ce revirement peut paraître surprenant, mais il ne l'est en fait pas tant que ça, comme le montre un coup d'œil sur le contexte.

Comment cela devrait se passer

Au cours de son histoire, la Suisse a déjà accueilli plusieurs fois des victimes de guerre. Le début de cette «tradition humanitaire» remonte à l'internement de l'armée française Bourbaki en 1871, lorsque près de 87 000 soldats français ont pu recevoir protection et pain en Suisse pendant des semaines.

Le problème avec de tels actes humanitaires est qu'ils pourraient être mal interprétés par les belligérants en cas de guerre: la Suisse est-elle en train d'aider une des parties? Le problème a été résolu par les Conventions de Genève: les pays du monde entier ont ainsi tenté de créer un standard minimum d'humanité dans les situations de guerre. Ces normes régissent également la manière dont les blessés de guerre sont évacués et comment une «puissance neutre» comme la Suisse peut apporter une aide particulière.

Les Bourbaki internés à Walenstadt, 1871.
Les Bourbaki internés à Walenstadt, 1871.Image: Keystone

Cette «aide particulière» signifie qu'en tant qu'Etat neutre, la Suisse s'est engagée envers le monde entier à respecter certains droits et obligations.

Ce droit spécial permet à la Suisse non seulement d'accueillir des soldats blessés d'une zone de guerre (ce que n'importe quel pays peut faire), mais aussi d'être expressément desservie par des avions sanitaires sans qu'ils soient visés par des missiles ukrainiens ou russes. Pour cela, les avions doivent simplement être peints d'une «croix rouge sur fond blanc» (en l'honneur de la Suisse). Sur le plan diplomatique, il faut en outre un accord de la Suisse avec les belligérants: tous les participants doivent savoir quand et où tel ou tel avion est en route.

Les soldats ne sont pas les seuls à profiter de cette aide, la population civile en bénéficie aussi. En contrepartie, la Suisse s'engage envers la communauté internationale à veiller à ce que les personnes accueillies ne puissent plus participer à des actes de guerre. Le raisonnement est le suivant: la Suisse neutre ne doit pas soutenir l'une ou l'autre des parties belligérantes en renforçant les membres de l'armée pour de nouvelles opérations de combat.

Ce qui a été rapporté

Dans l'enquête des journaux de Tamedia, ce n'est toutefois pas la piste officielle qui a été suivie. Celle-ci a commencé le 12 mai 2022 avec une lettre demandant une «aide médicale internationale pour l'évacuation». La lettre n'était pas adressée à un pays spécifique, mais à une série d'Etats et d'organisations. Dans les jours qui ont suivi, elle a été envoyée non seulement en Autriche et en Allemagne, mais aussi au Japon, en Mongolie, au Pape et aux autorités suisses.

Ce qui s'est passé ensuite, on le sait déjà: une série d'autorités – dont l'Office fédéral de la santé publique (OFSP), les cantons et le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) – ont ouvert un dossier et examiné ce qui était possible ou devait être organisé. En bref, on peut dire que la politique de la santé voulait aider, mais le DFAE, sous la direction du président de la Confédération Ignazio Cassis, a donné des raisons de ne pas le faire.

Swiss President Ignazio Cassis, Minister of Foreign Affairs attends the national and institutional statements session during the Ukraine Recovery Conference URC, on Tuesday, July 5, 2022 in Lugano, Sw ...
Le président de la Confédération, Ignazio Cassis.Image: sda

Pour le grand public, cela a été compris comme si la Suisse avait refusé d'accueillir des Ukrainiens blessés à la guerre. Le langage des autorités est en partie responsable de cette interprétation, comme l'expliquent des personnes compétentes en la matière à watson: la Suisse n'a jamais refusé. La Confédération n'aurait même pas répondu à la demande de l'Otan. L'article du Tages-Anzeiger rapportait toutefois, dans le jargon des autorités, que «le DFAE n'avait pris aucune décision formelle».

Les raisons d'ignorer délibérément la lettre de l'Otan étaient nombreuses. Ce n'était pas seulement la mauvaise manière de discuter de telles questions avec la Suisse, une «puissance neutre». Cela allait à l'encontre de ce pour quoi la Confédération s'est engagée dans le monde entier: les combattants ayant reçu des soins médicaux ne doivent pas être autorisés à retourner à la guerre. C'est pourtant ce qu'exigeait la lettre de l'Otan: elle prévoyait un «retour en Ukraine après la fin du traitement médical» – aussi bien pour les civils que pour les femmes soldats.

Concrètement, cela aurait signifié que la Suisse aurait dû convenir de chaque vol sanitaire avec l'Ukraine et la Russie. Dans le cas de civils, cela n'aurait pas posé de problème, selon une analyse du DFAE que watson a partiellement obtenue (un accès complet au document a été refusé). Mais si un seul civil avait en réalité été un soldat, il y aurait eu un risque que la Russie le découvre. Le droit international permet aux belligérants de demander à de tels vols sanitaires d'atterrir, afin de vérifier la justesse de la mission humanitaire.

Le Kremlin aurait en outre pu revendiquer le même droit – c'est-à-dire décider lui-même combien de soldats russes blessés doivent être transportés par avion en Suisse.

La Confédération aurait alors été obligée de retenir en Suisse les combattants des deux parties. C'est-à-dire comme cela s'est passé pour la dernière fois pendant la guerre froide, lors de la guerre d'Afghanistan: dans des camps d'internement archaïques où les Russes étaient surveillés «à la perfection fédérale avec des barbelés, des projecteurs, une petite tour de guet et des soldats patrouillant avec une arme non chargée».

Ou alors avec des mesures plus modernes comme le bracelet électronique. Dans tous les cas, les choses auraient été claires: si un soldat ukrainien et russe quittait la Suisse, le rôle de la Suisse en tant qu'Etat neutre et destination sûre pour les vols sanitaires aurait été réduit à néant. Et ce parce que la Suisse s'est délibérément engagée dans un tel deal unilatéral avec une partie belligérante – bien que le droit international humanitaire prévoie d'autres procédures pour la Suisse.

«Selon le droit de la neutralité, nous devrions empêcher les militaires de retourner en Ukraine après leur guérison. Nous ne souhaitons toutefois pas prendre de telles mesures de contrainte – il faudrait au besoin empêcher les personnes de rentrer contre leur gré, ce qui semble exclu au regard des droits de l'homme et des droits fondamentaux, mais aussi pour des raisons politiques. Nous devrions donc refuser de prendre en charge des militaires blessés; en revanche, il n'existe pas de barrières juridiques pour les civils.»
Extrait de l'analyse du DFAE – en réponse à la demande de l'organisation subsidiaire qu'est l'Otan.

Ces arguments ont atterri le 16 juin 2022 au Département de la défense et de l'intérieur ainsi qu'auprès des cantons, où l'on a décidé d'«interrompre l'exercice». Non pas parce que le DFAE l'avait ordonné ou y avait mis son veto – mais parce que l'analyse paraissait convaincante. Cela a eu pour conséquence que les autorités ont laissé la lettre sans réponse – ce n'était de toute façon qu'une sorte de sondage ou de circulaire qui ne tenait pas compte de la particularité de la Suisse en matière de droit international.

Ce qui s'est passé en arrière-plan

L'événement a néanmoins été compris comme un «refus» – ce qui, compte tenu de la tradition humanitaire de la Suisse, a fait les gros titres dans le monde entier. En Ukraine aussi, on a rapporté mardi que la Suisse refusait d'accueillir des «blessés ukrainiens» – même si la Confédération n'a jamais pris une telle décision.

Le département des Affaires étrangères ne dit rien de ce qui s'est exactement passé dans les coulisses. Les ministères des Affaires étrangères suisse, russe et ukrainien n'ont pas commenté les rumeurs selon lesquelles le Kremlin aurait rendu impossible une offre antérieure de la Suisse pour l'évacuation des victimes de guerre ukrainiennes. Les autorités sont devenues d'autant plus communicatives après avoir pris conscience de la délicatesse de l'affaire et de la manière dont elle pouvait être résolue politiquement ou diplomatiquement: par une demande officielle de l'Ukraine, conforme au droit international, plutôt que par un détour par la demande de l'Otan.

«La partie ukrainienne garantit que la neutralité suisse ne sera pas remise en question»
Lettre de l'ambassade d'Ukraine

Selon les informations de watson, celle-ci se présente comme suit: l'ambassade ukrainienne a déposé deux demandes écrites auprès de la Confédération, dans lesquelles elle demande l'accueil de victimes de la guerre. Elle garantit que les 100 personnes et les 155 enfants blessés ne sont que des civils. Cette démarche a été rendue publique mercredi soir, après que plusieurs médias ont voulu connaître le point de vue de l'ambassade d'Ukraine à Berne sur le prétendu «veto» de la Confédération.

Traduit de l'allemand par Tanja Maeder

Un nouveau foyer pour des enfants ukrainiens
Video: watson
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