On a appris jeudi que Roman Josi, l'un des meilleurs joueurs de l'équipe de Suisse, ne prendrait pas l'avion pour le Championnat du monde en Finlande (du 13 au 29 mai) afin de rester auprès de sa femme Ellie Ottaway. Celle-ci attend le deuxième enfant du couple pour le mois de juin.
«Le choix de Josi est tout à fait compréhensible», commente Klaus Zaugg, notre envoyé spécial à Helsinki. «Vous savez ce que disent les Américains: "Happy wife, happy life"! Et puis, on ne peut pas reprocher au défenseur de se débiner. Il a toujours répondu présent avec la Suisse quand il le pouvait».
Tout le monde ne peut pas en dire autant. Il fut un temps, lorsque les hockeyeurs suisses menaient des luttes de sous-préfecture en division inférieure, où la grossesse était une excuse récurrente pour refuser une convocation. «Une fois, c'était il y a plus de 30 ans, un joueur a même déclaré forfait au motif qu'il devait emmener son chien chez le vétérinaire», se marre Klaus Zaugg.
Roman Josi, lui, ne s'est pas cherché d'excuse. Le défenseur et capitaine des Predators (NHL) aurait aimé être du voyage en Finlande, jouer pour cette équipe de Suisse ambitieuse qui se battra pour une médaille. Mais il a privilégié sa vie de famille. Une décision qui apparaît légitime et pourtant soulève quelques critiques, à tout le moins des interrogations, chez ceux qui attendent des sportifs une dévotion exclusive à leur métier, au mépris de la vie personnelle. Ces passionnés de sport considèrent les athlètes comme des soldats en mission pour leur équipe et leurs supporters. Un confrère résume:
Co-présidente du HC Bienne, Stéphanie Merillat mesure toute la complexité de la situation. «C'est toujours un peu délicat. Mais je comprends le joueur. Et puis, si j'étais le sélectionneur, je préférerais avoir des gars 100% convaincus et investis, plutôt qu'un hockeyeur qui se sent obligé moralement de participer.»
On lui pose la question autrement: si la femme de son joueur, Gaëtan Haas, accouchait le jour d'un match 7 en finale des play-offs, accepterait-elle de libérer sa star? «Ça serait forcément une discussion compliquée», reconnaît la dirigeante. «Il faudrait que le joueur parle avec le coach afin qu'ils trouvent une solution que j'accepterais. Mais la plupart des joueurs ont une conscience professionnelle et préféreraient tout donner pendant deux heures puis passer du temps en famille ensuite.»
La «conscience professionnelle» est souvent interrogée dans ce genre de situation, surtout dans les sports collectifs où les joueurs ont un engagement vis-à-vis de leurs coéquipiers et du staff. Mais où s'arrête cet engagement? Certains évènements de la vie, surtout lorsqu'ils sont aussi beaux et uniques que la naissance d'un enfant, ne justifient-ils pas une dérogation temporaire?
Xavier Margairaz en est persuadé. Ancien joueur du FC Zurich notamment et de l'équipe de Suisse, il a déjà raté un match de Coupe d'Europe pour assister à l'accouchement de sa femme Léanne. Et il ne regrette rien.
Selon l'ancien footballeur, «la décision de rester auprès de sa compagne appartient à chacun» et dépend beaucoup du ressenti de l'athlète.
«Quand j'ai eu mon premier enfant, c'était la veille d'un match et je ne me sentais pas du tout de jouer le lendemain, ce que Zurich a compris. Mon deuxième enfant, je l'ai eu un jour avant Servette-Zurich et je ressentais le besoin de jouer, je ne sais pas pourquoi. Ce jour-là, on a gagné 1-0 et j'ai marqué l'un des plus beaux buts de ma carrière.» Une frappe splendide de 25 mètres dans la lucarne.
«Il faut toujours respecter la décision du joueur», insiste Klaus Zaugg, recentrant le débat autour de Roman Josi. «Surtout qu'il y a de nombreux éléments que le public ignore. Est-ce que l'accouchement est annoncé comme difficile? Quel est l'état de santé de l'épouse? Et quelle est la relation entre le joueur et sa femme?»
Autant de questions qui, posées ainsi, sortent le débat du registre émotionnel et rendent la décision du Bernois inattaquable.