Cette histoire semble ahurissante. A Genève, un enseignant a été licencié en mai 2020, alors que les premiers retours signalant ses lacunes pédagogiques datent de 2003. A l'époque, une classe entière avait réclamé un autre prof, car les cours étaient «difficiles à comprendre et les explications mauvaises», raconte La Tribune de Genève.
Des plaintes qui se sont répétées par la suite. On reproche aux Genevois un enseignement trop frontal et parfois brouillon. L'homme avait aussi tendance à se perdre dans des anecdotes sur sa vie privée. «Réticent à endosser une certaine forme d'autorité», il peinait à faire cesser les bavardages. Au final, même les meilleurs élèves ont eu des notes médiocres dans sa classe.
Durant près d'une décennie, sa hiérarchie – qui relève «des lacunes pédagogiques non négligeables» – a tenté de l'aider en multipliant les visites dans sa classe et les entretiens pour améliorer son enseignement. Sans succès. Libéré de l'obligation de travailler en 2018, il a finalement été licencié en 2020, une décision confirmée par la justice début 2021.
«C'est triste, durant toutes ces années, il a dû faire beaucoup de ravages parmi ses élèves. Ce n'est pas juste pour eux mais, malheureusement, c'est comme ça que ça se passe», déplore Jacqueline Lashley, présidente de la Fédération des associations de parents d'élèves de Suisse romande et du Tessin.
Selon elle, s'il est aussi difficile de licencier un enseignant ne donnant pas satisfaction, c'est parce qu'il travaille dans la fonction publique. «Je travaille aussi dans ce domaine et nous avons le même problème. Dès qu'il y a des gens incompétents, c'est très compliqué de les renvoyer», détaille-t-elle tout en assurant que l'objectif n'est pas de mettre les enseignants problématiques à la porte, mais plutôt de leur donner les outils pour s'améliorer.
Les enseignants ne bénéficieraient toutefois d'aucun totem d'immunité, à en croire Samuel Rohrbach, président du syndicat des enseignant-es romand-es (SER). «Le statut de fonctionnaire tel que connu auparavant n'existe plus. Nous ne sommes plus protégés comme nous l'étions. Les lois cantonales permettent bien sûr le licenciement.» Mais, pour éviter d'en arriver à une telle extrémité, le président du SER pointe la nécessité de mieux accompagner les enseignants, notamment lors de leur entrée dans le métier.
Dans les faits, il semblerait pourtant que cela ne soit pas si facile de licencier un enseignant. «Dans mon établissement, il y a deux profs qui posent problèmes de longue date, soit parce qu'ils ne font pas leur travail, soit parce qu'ils sont méchants avec leurs élèves, tout le monde le sait et on ne fait rien. C'est aberrant», raconte Estelle, qui enseigne dans le canton de Vaud.
Elle, qui a connu le secteur privé avant de se réorienter, s'étonne du manque de supervision dans son travail.
Si la Vaudoise pointe en premier l'impact qu'un mauvais enseignant peut avoir sur ses élèves, elle souligne aussi la frustration que cela peut générer chez elle et ses collègues. «Des fois, je trouve ça un peu injuste. Tu passes du temps à préparer tes cours le week-end alors qu'un autre, qui fait zéro effort, est payé comme toi», détaille-t-elle, tout en précisant que les enseignants sont automatiquement augmentés chaque année.
En poste dans le Jura, Arnaud* a, lui aussi, rencontré des situations compliquées qui ont traîné plus de dix ans. Mais il assure que les nouvelles dispositions mises en place par son canton, depuis quelques années, ont permis d'accélérer les procédures. «Mais cela reste très juridique, il faut beaucoup d'arguments pour pouvoir licencier quelqu'un, cela ne se fait pas en un claquement de doigts», assure-t-il.
Le Jurassien souligne l'importance d'intervenir rapidement et de ne pas laisser les situations s'envenimer. «C'est mieux pour les élèves, bien sûr, mais aussi pour le corps enseignant qui est touché de savoir qu'il y a des problèmes dans la classe d'à côté.»
Adjoint au service de l'enseignement du canton du Valais, Michel Beytrison confirme la possibilité de renvoyer un enseignant. «Historiquement, ils faisaient partie d'une sorte de caste, mais cela a terriblement changé. Ce sont désormais des gens qu'on peut licencier sans difficulté», assure-t-il.
Lui-même raconte avoir dû renvoyer des personnes qui ne donnaient plus satisfaction, notamment par manque d'investissement. Une procédure qui prend entre trois mois et deux ans, grand maximum, selon lui. Il assure pourtant que cela reste relativement rare dans son canton, entre autres grâce à une particularité valaisanne.
Du côté de Neuchâtel, Jean-Claude Marguet, chef du de l'enseignement obligatoire observe ne rencontrer ce genre de cas qu'une fois par année en moyenne. Il affirme que la durée de la procédure peut très fortement varier: «Cela peut aller de la suspension immédiate, pour un cas grave, à plusieurs années pour des problèmes d’une importance limitée mais qui se répètent.»
Pour éviter que certaines situations dégénèrent, Marc*, enseignant dans le canton de Vaud, se dit lui aussi favorable à davantage de contrôles dans les classes, s'ils sont effectués dans une visée pédagogique et non d'évaluation.
Il propose aussi une idée originale pour mieux encadrer le travail des enseignants. «Il n'y a pas de solution miracle, mais on pourrait imaginer des classes portes-ouvertes où les parents ou la direction pourraient venir voir ce qu'il s'y passe.»
* Prénoms d'emprunt