Etes-vous surpris de voir un club comme Ajoie (JU), avec des moyens modestes, réintégrer une élite où tous les clubs ont désormais des budgets à huit chiffres et une organisation extrêmement structurée?
Gérard Scheidegger: Ce n'est qu'une demi-surprise dans la mesure où, historiquement en hockey, l'argent n'est pas toujours une valeur absolue. Ajoie a montré qu'il était possible de dépasser ce stade. Bien sûr, il y a le risque d'un dur retour à la réalité, impossible de le nier, mais certaines qualités ont encore leur place dans le haut niveau.
Lesquelles?
Cela peut sembler banal mais, aujourd'hui encore, la continuité produit d'excellents résultats. Elle en vient à supplanter certaines politiques dispendieuses dont on pense à tort qu'il suffit à créer des favoris et à les placer au-dessus de tout autre paramètre. En l'occurence, Ajoie est dirigé par un jeune patriarche, un entrepreneur de la région qui, depuis des années donne de sa personne et trace une ligne claire. La promotion d'Ajoie est presque une suite logique, une évolution naturelle.
Le club annonce un budget de sept millions de francs. N'est-ce pas dérisoire?
Effectivement, c'est une opération casse-gueule. Mais je pense qu'elle sera bien menée. Les dirigeants savent où ils vont et, après les expériences traumatisantes du passé, ils ne mettront pas le club en péril.
La situation est-elle comparable?
Il est clair qu'en 28 ans, le hockey suisse a bien changé. Ajoie va retrouver des adversaires qui, depuis son départ, sont tous devenus de grosses machines, avec des budgets largement supérieurs à dix millions de francs. Même Kloten (ZH), son rival en Swiss League, tournerait déjà à onze millions. C'est dire si Ajoie part avec un «léger» handicap... Mais je pense que l'expérience vaut le détour.
Sans se poser de questions?
Oui, exactement. Dans tous les cas, il faut éviter de se prendre la tête. Est-ce un bien? Pour qui? Pour quoi? Peu importe, dans le fond. On ne peut pas nier que la promotion d'Ajoie est une bombe pour le hockey suisse, mais c'est aussi une bonne leçon pour tout le monde et une très belle nouvelle. Sauf peut-être pour la Swiss League.
C'est-à-dire?
Depuis 1998 et mes débuts dans le hockey professionnel, nous passons notre temps à nous inquiéter pour la survie de la Ligue nationale B (LNB). J'ai toujours trouvé ces craintes excessives. Sauf que là, moi aussi, je suis vraiment inquiet... On annonce la disparition de la Zoug Academy. On sait qu'un second élu rejoindra Ajoie en National league, possiblement Kloten ou Viège (VS). Ensuite, il restera qui? Avec quelles perspectives?
Ajoie n'aurait accepté sa promotion qu'à la toute dernière minute. Etait-il décemment en position d'y renoncer pour des motifs extra-sportifs?
Surtout pas. Je pourrais en comprendre les raisons fondamentales, mais en termes de message, c'eut été une énorme bêtise. Imaginez que ce matin, avec les fans dans la rue et l'ensemble du hockey suisse en émoi, Ajoie annonce que tout bien réfléchi, il préfère renoncer à sa victoire. Ce serait une bombe encore plus grosse que sa promotion. Il fallait y penser avant, bien avant. Ne pas susciter autant d'enthousiasme pour le doucher à la fin. En plus, il n'y aura pas de relégué en National League la saison prochaine. C'est le moment idéal de tenter sa chance.