Il y a des gestes qui sont beaux par leur caractère décisif; il y en a d'autres qui sont beaux par le degré de maîtrise technique qu'ils requièrent. Et il y a l'extérieur du pied droit de Luka Modric, mardi soir à la 80e minute du quart de finale de C1 entre le Real Madrid (finalement qualifié) et Chelsea.
Modric 36 ans fin du tweet. pic.twitter.com/K5J0DyxO2C
— Nermine 🇩🇿🇵🇸 (@nmdj10_) April 12, 2022
Un coup de patte tout à la fois décisif et hautement complexe, l'oeuvre d'un génie, que certains internautes réclament au Louvre, entre la Joconde et la Vénus de Milo. «Il faut inscrire ce geste au patrimoine mondial de l'Unesco», insiste un fan sur les réseaux sociaux, alors que le présentateur des Bleus sur TF1, Grégoire Margotton, manie l'emphase: «Un jour, le monde comprendra que son extérieur du pied sauvera l'humanité toute entière.»
On est quand même passé très proche de la catastrophe, puisque ce geste appelé à sauver la planète a failli disparaître des terrains de football après que Rafael Benitez a voulu l'interdire, comme si un mécène en déficit d'autorité avait voulu priver Michel-Ange de ses pinceaux dans la chapelle Sixtine.
Après son passage éphémère sur le banc du Real Madrid (juin 2015-janvier 2016, même pas le temps de laisser sécher la peinture), Rafael Benitez s'en était défendu. Il avait expliqué qu'il avait simplement encouragé son prodige à utiliser son coup de pied pour des passes courtes et simples.
De toute évidence, les recommandations du coach ont eu peu d'effets sur la production du milieu de terrain, dont l'élégance balle au pied tranche avec le visage, colonisé par un nez aquilin et des joues diaphanes. «Modric wallah tu mérites pas d'être moche», asséna un supporter mardi, en référence au clair-obscur que donne à voir le Ballon d'Or 2018.
Chez Modric la beauté vient des pieds, surtout le droit, qu'il utilise dans tous les compartiments de son jeu. C'est ce qui le distingue d'autres adeptes de «l'extérieur du pied», comme Ricardo Quaresma ou Angel Di Maria, des joueurs plus offensifs que le Croate qui, lui, brille autant au départ des actions qu'à leur terme.
S'il a initié la réduction du score madrilène mardi, il était à la finition du but croate l'été dernier lors de l'Euro 2020 face à l'Ecosse, utilisant «l'exter» du pied pour expédier le ballon au fond des filets.
Un geste qu'il a d'ailleurs répété à l'entraînement par la suite, signe que le talent se travaille, ou à tout le moins s'entretient.
Luka Modric repeating that Scotland goal in training 😎
— B/R Football (@brfootball) June 27, 2021
(🎥: @HNS_CFF)pic.twitter.com/B2GIA3dSKI
La particularité de Luka Modric tient aussi dans la perfection du geste, mélange de délicatesse, de puissance et de précision. Un alliage qui lui permet de compenser «certaines vieilles lacunes, comme l'expliquait Eurosport l'an dernier. Le Croate n'a jamais été une bête physique ni un très grand sprinteur. Lorsqu'il a débarqué à Tottenham et en Premier League, en 2008, il lui a fallu autre chose pour gagner du temps.»
Luka Modric a choisi de parfaire son «exter», de façon à gagner en vitesse d'exécution et en effet de surprise. Car ils ont beau s'y attendre, les gardiens ont toujours beaucoup de mal à estimer les trajectoires de ces ballons fouettés après une prise d'élan réduite, ce qui rend toute anticipation vaine. Les défenseurs, eux, n'ont pas davantage de repères face à ces joueurs rares, donc imprévisibles.
📺💫 HIGHLIGHTS & GOALS
— Real Madrid C.F. 🇬🇧🇺🇸 (@realmadriden) January 8, 2020
🆚 @valenciacf_en 1-3 @realmadriden
⚽ @ToniKroos
⚽ @isco_alarcon
⚽ @lukamodric10#RMSuperCopa | #HalaMadrid pic.twitter.com/Y7JvVwQgev
C'est un choix qui, encore, le distingue de la majorité des autres footballeurs. La plupart utilisent le même geste par défaut voire dépit, conscients qu'ils seront moins en difficulté en sollicitant l'extérieur de leur bon pied plutôt que le mauvais.
Rien de tout cela chez Luka Modric, né avec du talent dans les dix orteils.
Le Français a déjà adoubé son ancien élève au Real Madrid, se disant «impressionné» par la qualité de son extérieur du pied.
Des années plus tard, et même à 36 ans, Luka Modric continue d'épater. C'est le propre des œuvres d'art: le temps n'a pas d'emprise sur leur pouvoir de séduction.