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Vol AF447: Ouverture du procès du crash Rio-Paris qui a fait 228 morts

FILE - This Monday, June 8, 2009 file photo released by Brazil's Air Force shows Brazil's Navy sailors recovering debris from the missing Air France jet at the Atlantic Ocean. Officials say  ...
Le 1er juin 2009, le vol Rio-Paris s'abîme en mer, faisant 228 victimes, dont 216 passagers et 12 membres d'équipage.Image: AP Brazil's Air Force

Procès du crash Rio-Paris: 198 secondes, 228 morts, pas un seul coupable

Treize ans après le crash du vol AF447 entre Rio de Janeiro et Paris, les responsabilités n'ont pas encore été clairement établies. Ce lundi marque une nouvelle étape dans la catastrophe la plus meurtrière de l'histoire d'Air France: l'ouverture d'un procès pour «homicide involontaire». Retour sur les 3 minutes et 17 secondes où tout s'est joué.
10.10.2022, 18:2911.10.2022, 17:29
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Un vol presque comme les autres

Ce 31 mai 2009, rien ne laisse présager du funeste destin de l'AF447.

View of the Arrival Board at Paris Charles De gaulle airport announcing, at top, that the flight from Rio de Janeiro was delayed, after it was known that an Air France Airbus A330 was missing between  ...
Sur le papier et les tableaux de l'aéroport, il s'agit encore d'un vol commercial régulier, qui prévoit de relier Rio de Janeiro à Paris en onze heures.Image: AP

Neuf mille kilomètres avalés par un Airbus A330, modèle d'une fiabilité exemplaire, considéré comme facile à piloter. Pas le moindre crash à déplorer depuis son lancement quinze ans plus tôt. Aux manettes, trois hommes, deux «bébés Air France» sous la houlette d'un pilote expérimenté:

  • Le commandant de bord, Marc Dubois, 58 ans
  • Le copilote Pierre-Cédric Bonin, 32 ans
  • Le copilote David Robert, 37 ans

Il a beau compter plus de 11 000 heures de vol à son actif, ce soir-là, Marc Dubois n'a qu'une heure de sommeil dans les pattes; le pilote de ligne a profité de la touffeur de la nuit brésilienne avec sa maîtresse, hôtesse de l'air et chanteuse d'opéra. Un élément qui sera par la suite censuré dans le dossier d'enquête du Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA). Lequel juge ce détail «relevant de la vie privée», rappelle le Figaro.

Pour sa part, malgré son relatif manque d'expérience, le copilote Pierre-Cédric Bonin frémit d'excitation et de fierté. Quelque part au milieu des 228 passagers, de retour de vacances ou de voyage d'affaires: sa femme, Isabelle. Le couple a également profité de la douceur de Rio avant de retrouver leurs deux fils, restés en France.

19h29 (heure locale)

Quatre minutes après le décollage de l'AF447, rien à signaler. Le pilotage automatique se déclenche conformément à la procédure. Cette configuration est programmée pour toute la durée du vol, jusqu’aux dernières minutes avant l’atterrissage.

21h09

L'avion longe calmement les côtes du Brésil. Sous la supervision du commandant de bord, Pierre-Cédric Bonin veut apparaître aussi décontracté que peut l'être un jeune pilote aux commandes d'un Airbus de 228 passagers. Seule perturbation en vue: l'hôtesse qui pénètre dans le cockpit pour servir le dîner.

«Tout va bien? Vous ne voulez pas un café ou un thé?»
Conversations enregistrées dans le cockpit par la boîte noire de l'appareil et relayée par Vanity fair en janvier 2014

Un air d'opéra dans les oreilles, le commandant de bord Marc Dubois ne l'entend pas. Il propose à son copilote de partager son casque. «Il ne manque plus que du whisky!», s'enthousiasme Pierre-Cédric Bonin. L’opéra s'achève.

22h30

L'A330 plane loin des côtes et des contrôles radar. Le commandant de bord transmet sa position.

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Ce sera l'ultime échange verbal avec la terre ferme.image: afp

A l'horizon, en direction de l'est, se profile une nouvelle perturbation: le «pot au noir», fameuse zone de turbulences saturée de cumulonimbus et redoutée des navigateurs. L'orage, puissant, mais pas exceptionnel, reste cependant sous contrôle.

«On n’a pas été emmerdé par les cunimb [les cumulonimbus], hein?»
Marc Dubois à son copilote

22h45

Dehors, l'A330 affronte les ténèbres. Le gros de l’orage est à venir: le premier pointe sur le radar à environ 320 kilomètres. Sous la houlette d'un Marc Dubois qui feuillette un magazine, Pierre-Cédric Bonin est de plus en plus nerveux. Il ne laisse rien transparaître.

Fort du sentiment que tout est sous contrôle, mais faible des heures de fatigue accumulées, Marc Dubois se retire pour aller dormir dans la cabine-couchette juste derrière le cockpit.

«Cette nuit, je n'ai pas assez dormi. Une heure, ce n'était pas assez tout à l'heure»
Le commandant de bord Marc Dubois à 23h04

Le troisième homme, David Robert, prend le relais. Ce sont désormais les deux pilotes les moins expérimentés qui se retrouvent projetés au plus fort de l'orage.

23h10

Des cristaux de glace s’écrasent contre la carlingue et bouchent les capteurs de vitesse. Les sondes «Pitot», du nom des trois petits tubes métalliques conçus pour recevoir et transmettre les principales informations de l'appareil, sont touchées.

Sur le tableau de bord et sous le regard incrédule des pilotes, les informations disjonctent. La vitesse change, l’altitude baisse, la trajectoire vacille. Les deux hommes ignorent encore que les informations qui s’affichent sur l’écran sont fausses. L’alarme qui prévient normalement d’un problème de navigation ne se déclenche pas. La confusion est totale.

Le pilote automatique se déconnecte: l'Airbus se trouve entre les seules mains de Pierre-Cédric Bonin et David Robert. Entre deux grésillements, une voix métallique égrène inlassablement la même sentence: «Décrochage, décrochage, décrochage».

«Un équipage peut être confronté à une situation imprévue entraînant une perte momentanée mais profonde de compréhension. Si dans ce cas les capacités supposées de maîtrise initiale puis de diagnostic sont perdues, alors le modèle de sécurité se retrouve en "défaut de mode commun". Lors de cet événement, l’incapacité à maîtriser initialement la trajectoire a aussi rendu impossible la compréhension de la situation et l’accès à la solution prévue.»
Note de synthèse de l'enquête du BAE, l’autorité française d’enquêtes de sécurité de l’aviation civile

Perché à 10 000 mètres d’altitude, l'A330 perd de la vitesse et entame sa chute inexorable dans l’océan. Personne ne s’en rend compte. Il ne reste aux copilotes que 3 minutes et 17 secondes pour rétablir l’appareil.

«Putain, j’ai plus le contrôle de l’avion, là! J’ai plus du tout le contrôle de l’avion!»
David Robert

Aux commandes, Pierre-Cédric Bonin menace de céder à la panique. Induit en erreur par les indications contradictoires du tableau de bord, il précipite la catastrophe: plus il tire sur le manche et plus l'avion chute. Et plus l'avion chute, plus il tire sur le manche.

Une minute et 38 secondes après le gel des sondes «Pitot», le commandant Marc Dubois émerge enfin de son sommeil et pénètre à son tour dans le cockpit. Hagard, debout entre les deux sièges et ses copilotes paniqués, il fixe sans comprendre les écrans de contrôle. Il lui faut 23 secondes pour ouvrir la bouche.

Pendant ce temps, l'alarme de décrochage s’arrête: les cristaux de glace ont fondu et le tableau de bord fournit à nouveau de bonnes informations. Aucun des pilotes ne comprend plus rien aux réactions de l'Airbus A330. Ils n’ont plus confiance et ne les prennent plus en compte. De toute façon, il est trop tard. L’un des deux s’effondre:

«Putain, on est mort»

En cabine, un signal lumineux convie poliment les rares passagers qui ne dorment pas à attacher leur ceinture. Stores fermés, personne ne remarque la chute de l'appareil à raison de 3000 mètres par minute.

This photo released Wednesday June 17, 2009 by the French army shows soldiers approaching a piece of debris believed to be part of Air France flight 447, during continuing searches for debris and bodi ...
Le 17 juin 2011, l'armée française à la recherche des débris de l'A447.Image: AP FRENCH ARMY ECPAD

L’appareil tombe en arc dans le noir.

23h14

Quatre heures et quinze minutes après son décollage, le vol AF 447 percute la surface de l’Atlantique à une vitesse de 500 km/h. Les 228 personnes à bord meurent sur le coup. Selon le rapport final du collège des médecins, à l'exception du personnel navigant, personne n'a eu le temps de céder à la panique.

Parmi les débris à la surface entre le 6 et le 18 juin 2009, 50 corps sont retrouvés. Parmi eux, celui du commandant Marc Dubois.

La boîte noire ne sera sortie des profondeurs que deux ans plus tard.

epa02728706 A Cockpit Voice Recorder (CVR) of the Airbus 330 Air France AF 447 flight between Rio and Paris, that crashed in mid ocean on 02 May 2011, is displayed during a press conference in the hea ...
Le 2 mai 2011, les enquêteurs découvrent la seconde boîte noire, qui contient les conversations des pilotes. Des éléments indispensables pour l'enquête. Image: EPA

L'heure de la justice?

Ce 10 octobre 2022 s'ouvre enfin le procès. Sur le banc des accusés? La compagnie Air France et le transporteur Airbus, envoyés en correctionnelle pour «homicide involontaire». Les neuf semaines d'audience s'annoncent rythmées par un défilé d’experts aéronautiques, de médecins légistes, d’anciens pilotes.

Members of the Brazilian legal police carry a body recovered from the ocean during search operations of the missing Air France flight 447 at Recife's airport, Brazil, Wednesday, June 10, 2009. Ac ...
Rapatriement du corps d'une victime du crash, le 10 juin 2009.Image: AP

Ce procès marque surtout le moment tant attendu du face-à-face entre ces géants de l'aéronautique et les familles des victimes, qui devront répondre pour la première fois depuis treize ans aux questions de la cour et des avocats, mais aussi à la douleur des parties civiles.

Mariana Carvalho holds a photo of her friend Adriana Moreira, a passenger on Air France flight 447 that was reported missing on its way from Rio de Janeiro to Paris, at the Windsor hotel in Rio de Jan ...
411 personnes physiques, issues de 21 pays, seront représentées lors de ce procès historique.Image: AP

Parmi les erreurs pointées par le parquet général: un manque de formation des équipages et de graves défaillances des sondes «Pitot». Depuis l’accident, le modèle de sonde du vol AF 447 a été intégralement remplacé.

Plus qu'une amende forfaitaire de 225 000 euros, c'est un irréparable dégât d'image que risquent à présent les deux mastodontes de l'aviation. Toutefois, même dans un secteur d’activité où la fiabilité est érigée en valeur cardinale, pas sûr que la sentence ne suffise à leur donner le vertige.

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