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«La Chine s'est piégée en organisant les Jeux olympiques»

Washington, DC – March 17, 2021: Uyghur activists at the White House protest the continuing genocide against their people in China asking the Biden administration to boycott the 2022 Olympic Games.
Des activistes ouïghours à Washington, le 17 mars 2021, demandant au gouvernement de Joe Biden de boycotter les Jeux olympiques 2022 de Pékin.Image: Shutterstock
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«La Chine s'est piégée en organisant les Jeux olympiques»

Les appels à boycotter les JO d'hiver de Pékin 2022 se font insistants aux Etats-Unis. Certains accusent la Chine de génocide contre les Ouïghours. Pour Patrick Clastres, historien du sport, ces menaces peuvent avoir un impact colossal. Interview.
17.04.2021, 12:5720.04.2021, 18:01
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Depuis le mois de février, les appels au boycott des Jeux olympiques d'hiver de Pékin 2022 se multiplient aux Etats-Unis. Ils émanent surtout de politiciens républicains. Une pétition de 180 groupes de défense des droits de l'Homme a aussi été lancée. Elle dénonce les exactions du gouvernement chinois au Tibet, à Hong Kong et au Xinjang.

La situation dans cette région du Nord-Ouest de la Chine est celle qui inquiète actuellement le plus. Pékin est accusé par certains de génocide contre les Ouïghours, une communauté musulmane turcophone.

Patrick Clastres, historien du sport et spécialiste de l'olympisme, revient sur ces menaces de boycott des prochains JO d'hiver. Le professeur de l'Université de Lausanne a répondu aux questions de watson.

Comment faut-il interpréter ces menaces de boycott des JO de Pékin 2022 venant des Etat-Unis?
Patrick Clastres:
Le boycott est un signal diplomatique comme un autre. Dans la période de la Guerre froide, c’était une manière d’éviter l’escalade nucléaire, une sorte de choc symbolique et médiatique qui visait à frapper les opinions publiques. Les Américains en ont retenu qu’ils avaient une capacité à communiquer directement avec les opinions publiques, à les modeler.

Quelles pourraient être les conséquences concrètes d’un boycott des JO de Pékin par les Américains?
Il ne bouleverserait pas forcément instantanément les relations entre les Etats-Unis et la Chine. Mais il fabriquerait des opinions publiques hostiles envers le gouvernement chinois à l’intérieur des deux pays concernés, mais aussi à l'échelle mondiale. Thomas Bach, l'actuel président du Comité international olympique (CIO), affirme que le boycott des JO de Moscou en 1980 n'a servi à rien. A court terme, bien sûr, ça n’a pas changé l’attitude de l’URSS. Les troupes soviétiques ne sont pas sorties d’Afghanistan. L'invasion de ce pays était le prétexte des Américains pour boycotter l'événement moscovite.

Mais l’impact a été considérable pour les opinions publiques, y compris en URSS. Parce que le message envoyé par les Etats-Unis était centré sur les droits de l’Homme en général et leur non-respect par les Soviétiques. Par conséquent, tous les défenseurs des droits de l’Homme en URSS y ont vu un soutien envers leur stratégie de dénonciation du pouvoir soviétique. Et les pays qui s'opposaient à l’URSS ont senti une reconnaissance.

Three unidentified people display an American flag in the stands at Moscow's Lenin Stadium before the start of opening ceremonies of the XXII Summer Olympics, July 19, 1980. Officials estimate ab ...
Un drapeau américain déployé dans le stade olympique de Moscou juste avant la cérémonie d'ouverture des JO de 1980. Au total, 66 pays menés par les Etats-Unis ont boycotté ces jeux. image: keystone

Pour moi, le bilan a été extraordinairement positif pour les Etats-Unis. Ils sont apparus comme les défenseurs des droits de l’Homme. L'URSS, elle, passait pour un pays totalitaire. C’est le même type de stratégie que les conservateurs américains veulent activer aujourd’hui avec la Chine. Leur signal est adressé aux militants pro-démocratie chinois, aux pays voisins de la Chine, aux alliés des Etats-Unis dans la région – les Japonais, Sud-Coréens et Singapouriens, notamment – pour les conforter dans leur choix d’une société démocratique et leur assurer d'un soutien.

Ces menaces de boycott ou un boycott des Jeux olympiques de Pékin pourraient-elles alors adoucir la politique intérieure chinoise envers les Ouïghours?
Non, je ne pense pas. On l’a déjà vu avec les Jeux d'été de Pékin, en 2008. Des menaces de boycott avaient été lancées, des organisations de défenseurs des droits de l’Homme s’étaient mobilisées, quelques pays avaient dénoncé l’attitude des autorités chinoises vis-à-vis des Tibétains. La Chine avait rejeté toutes ces critiques. Et les associations de défense des droits de l’Homme ont montré que la répression avait été terrible avant et après les Jeux.

Jacques Rogge, président du CIO à l’époque, avait promis qu’à l’issue des JO de Pékin, la situation des droits de l’Homme s’améliorerait en Chine et que le CIO dresserait un inventaire de ces progrès. Il n’a jamais été fait, aucune commission n’a été constituée pour constater si les JO avaient eu un impact positif à ce niveau. Il y a fort à parier que la Chine n’a pas beaucoup changé de politique sous ces menaces de boycotts.

Jacques Rogge, ancien président du CIO
Le Belge Jacques Rogge, ancien président du CIO (2001-2013). image: keystone

Et je dirais que même si la Chine ne change rien suite à ces menaces, ce n'est pas grave. Parce que ce n'est pas l’intérêt du boycott. Il n’a pas forcément pour but, et capacités, de faire changer la politique d'un Etat, surtout quand il s'agit d'une très grande puissance telle la Chine.

En revanche, il peut discréditer le régime communiste de Pékin dans le monde, attirer l’attention de milliards de consommateurs de produits chinois sur la réalité de l’économie de ce pays, ouvrir les yeux sur la répression du peuple ouïghour et toutes les formes de contrôle de la société avec les caméras de surveillance, etc. Ces menaces de boycott permettent de construire une opinion publique mondiale hostile à la Chine. Et c’est beaucoup plus efficace qu’attendre de ce pays une modification de sa politique intérieure ou de sa stratégie diplomatique mondiale.

On a, du coup, l’impression que les menaces américaines reflètent une forme d'hypocrisie: derrière le souci apparent des droits de l’Homme en Chine, elles visent surtout à décrédibiliser un concurrent économique?
Je ne serais pas aussi dur vis-à-vis de la diplomatie américaine. Parce que le messianisme des Etats-Unis est articulé autour des droits de l’Homme et des avancées démocratiques. Il y a vraiment des défenseurs des droits de l’Homme tout à fait sincères aux Etats-Unis, y compris dans l’administration du président. C'est une grande puissance qui cherche à développer les libertés individuelles et collectives. Mais elle n’oublie pas non plus ses intérêts vitaux.

Il y a en tout cas derrière le boycott l'envie de discréditer le pays organisateur...
Oui, à travers la fabrication d'une opinion publique mondiale négative sur lui. Le boycott ou ses menaces permettent d'attirer le regard de milliards de personnes sur un pays en dénonçant ses pratiques anti-démocratiques. Certains pays veulent organiser ces immenses événements sportifs tels les Jeux olympiques et la Coupe du monde de football, qui n'ont pas d'équivalent comme vitrine médiatique, pour démontrer leur puissance – économique notamment. Mais quand ces Etats ne respectent pas les droits de l’Homme, l'organisation de ces manifestations peut avoir des contre-effets totalement négatifs.

C'est-à-dire?
Prenez le bilan des Jeux d'hiver de Sotchi en 2014. On ne peut pas dire qu'ils ont servi la Russie. On y a vu éclater l’affaire d’Etat du dopage en Russie, rendue publique d'abord aux Etats-Unis. Ce scandale est dans la droite lignée du boycott des Jeux de Moscou en 1980. Il y a toujours le même thème en toile de fond: celui des droits de l’Homme, des valeurs du sport. Cette affaire donne l'image d'une Russie qui ne respecte pas les droits de l’Homme et qui triche. C’est la diplomatie américaine qui a bénéficié de ce scandale. Au contraire, la Russie de Poutine a été discréditée.​

A vous entendre, c'est à double tranchant d'organiser des grands événements sportifs: ils permettent aux pays hôtes de montrer une image prestigieuse si tout se passe bien. Mais la révélation d'un scandale, par exemple, peut faire se ratatiner les organisateurs dans l'opinion publique mondiale...
C’est ce que prouvent les Jeux olympiques de Pékin en 2008. A ce moment, la Chine a été très critiquée. Bien sûr, les Chinois ont fait de ces Jeux une réussite extraordinaire, mais l’opinion publique mondiale a été interpellée, elle a identifié la puissance chinoise, mais est-ce qu’elle l’a vu comme une puissance positive? Non. Les campagnes qui ont été lancées contre le gouvernement de Pékin pour son attitude au Tibet et envers les droits de l’Homme l’ont totalement discrédité. Elles ont eu des effets plus délétères dans l’opinion publique que les bénéfices apportés par la réussite organisationnelle de l’événement. Il a fait prendre conscience de la puissance chinoise, mais surtout de la menace chinoise. Ces Jeux de 2008 ont plutôt généré de la méfiance, comme ceux de Sotchi en 2014 ou la Coupe du monde 2022 au Qatar.

Protesters with masks of Chinese President Xi Jinping and International Olympic Committee, IOC, President Thomas Bach, shake hands during a protest against Beijing 2022 Winter Olympics by activists of ...
Deux manifestants appelant au boycott de Pékin 2022 déguisés en Xi Jinping (gauche) et Thomas Bach, président du CIO, devant le siège de l'institution olympique à Lausanne le 3 février 2021.Image: KEYSTONE

De leur côté, les athlètes sont devenus de véritables acteurs de l'opinion, encore davantage avec les réseaux sociaux. Aujourd’hui, ils ont la capacité d’influencer en parallèle des voies diplomatiques traditionnelles.

Justement, le footballeur allemand Toni Kroos a récemment donné son avis dans son podcast sur le boycott du Mondial 2022 au Qatar. Pour lui, il ne faut pas boycotter l'événement, car ce dernier permet de mettre en lumière les abus de ce pays concernant les travailleurs exploités…
Je suis assez d’accord avec lui. A l’ère des réseaux sociaux, participer à l’événement permet de pilonner la presse mondiale pour faire déjouer le système. Des pays comme la Chine, la Russie et le Qatar dépensent énormément d’argent pour des résultats médiatiques tout à fait préjudiciables, complètement contre-productifs. Et ça, ils ne l’avaient pas mesuré. Ils s'en rendent compte d’une certaine manière depuis les Jeux de Pékin en 2008, mais beaucoup plus depuis Sotchi en 2014. Ces Jeux ont été un moment de discrédit considérable pour la Russie: les scandales environnementaux, celui du dopage d'Etat, les droits de l’Homme non respectés, les délires de Poutine, la concentration du pouvoir et de l'argent, la répression des gays, etc.

Toni Kroos se montre critique envers le Qatar
Toni Kroos a dénoncé les conditions de travail des ouvriers sur les chantiers du Mondial 2022 au Qatar. Mais le footballeur allemand s'oppose à un boycott de l'événement, qui serait, selon lui, contre-productif. Image: keystone

La Chine et la Russie n'ont pas réussi à contrôler les médias à l’échelle du monde. Pour le Qatar, c’est la même chose. Ces pays se trouvent piégés par ces grands événements dont ils ont voulu faire la vitrine. Et à l’heure de la puissance de la télévision et des réseaux sociaux, les messages démocratiques circulent. Les démocraties profitent de ces grands événements sportifs pour dénoncer les Etats qui les accueillent: soit directement, soit via des ONG ou des journalistes. Et cette focalisation sur les régimes dictatoriaux est néfaste pour ceux-ci.

Et le CIO dans tout ça?
Il a compris depuis Pékin et Sotchi qu’il avait fait fausse route en offrant des Jeux à des Etats dont la politique interne est autant contestée. D’une certaine manière, il servait la soupe à des dictatures. Il a perçu ce danger très vite. Dès lors, le CIO a attribué les Jeux de 2024 à Paris et ceux de 2028 à Los Angeles, qui sont deux villes d'Etats démocratiques.

Des précédents dans l'Histoire

La situation actuelle rappelle celle des Jeux de Moscou en 1980. En pleine Guerre froide, les Etats-Unis et 65 autres nations avaient boycotté l'événement soviétique. Leur prétexte: l'invasion russe en Afghanistan. Quatre ans plus tard, le bloc de l'Est ripostait en snobant les Jeux de Los Angeles.
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