«Je ne m'intéresse plus du tout au foot depuis cinq ans, je n'en parle plus, mais étant donné qu'il s'agit de ce match à Marseille, je fais une exception.» Les paroles de Christophe Bonvin, au bout du fil, résument tout: le déplacement de l'ancien attaquant du FC Sion et de ses coéquipiers dans la cité phocéenne en 1994 est complètement hallucinant. Et pas seulement parce que le petit poucet valaisan a créé une immense surprise en éliminant l'ogre marseillais, au deuxième tour de la Coupe UEFA. Mais parce que les Suisses ont subi un accueil terrible, au point d'avoir peur pour leur vie.
Deux semaines auparavant, Sion humilie l'OM – vainqueur de la Ligue des champions une année plus tôt – à Tourbillon (2-0). De quoi chauffer à blanc les Phocéens, leur emblématique président Bernard Tapie en tête. Alors, ils sont prêts à tout pour éviter l'affront de l'élimination. Même à déguiser des espions du club en policiers. «A l'aéroport, deux types sont montés dans le car qui nous menait à l'hôtel», rembobine Christophe Bonvin. Il enchaîne:
«CC» a flairé juste. Il avait de bonnes raisons de se méfier. Quelques mois plus tôt, un immense scandale éclatait autour de Tapie, coupable d'avoir corrompu des joueurs de Valenciennes. Cette tricherie avait d'ailleurs valu la relégation administrative de l'OM, pensionnaire de deuxième division au moment d'affronter Sion.
📍 Marseille
— FC Bâle 1893 🇫🇷 (@FC_Basel_fr) March 9, 2022
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Mais ce n'est que le début des déboires valaisans. La nuit avant le match, vers 2 heures du matin, c'est la panique dans leur hôtel. La cause? Une alerte à la bombe! Christian Rappaz, alors journaliste au Nouvelliste, était présent. Il raconte cet incident dans L'Illustré: «Les pompiers et la police débarquent toutes sirènes hurlantes. Ils exigent l’évacuation de tous les locataires de l’établissement. Constantin flaire le coup fourré et refuse de réveiller les joueurs. Le bras de fer durera plus d’une heure.» Heureusement, les joueurs ne sont pas réveillés par toute cette agitation. «On a appris seulement le lendemain matin ce qu'il s'était passé», se souvient le défenseur Yvan Quentin.
Niveau frayeurs, ce n'est que partie remise pour les joueurs sédunois. Ils en ont déjà une heure et demie avant le match, au moment d'aller prendre leurs marques et la température sur la pelouse. Et autant dire qu'elle est bouillante. «Il y avait déjà 10 à 12000 spectateurs dans les tribunes, qui ne nous ont pas accueillis qu'avec des politesses», se marre, avec le recul, Christophe Bonvin.
La tension monte encore d'un cran à l'échauffement, avec des tribunes deux fois plus garnies. «Des milliers de spectateurs chantaient "Sion, on t'enc..."», imite l'ex-attaquant en prenant l'accent ensoleillé du Sud de la France, plutôt tristement exploité par ses locuteurs, pour le coup. «C'était très intimidant».
Des paroles, les fans marseillais vont passer aux actes. Ils visent surtout Stephan Lehmann, qui tente tant bien que mal de faire ses exercices juste devant eux. «Des mecs me balançaient des filtres à huile pour voitures. Si tu prends ça sur la tronche, t'es mort!». L'ex-portier sédunois raconte ce moment avec autant d'émotion que s'il venait de le vivre. L'agressivité des tribunes est telle que les hommes coachés par Umberto Barberis sont contraints de restreindre leur zone d'échauffement, histoire d'éviter une catastrophe.
Juste avant l'entrée des équipes, dans le couloir des vestiaires, les joueurs de l'OM en remettent une couche. «Ils nous chambraient, ils nous prenaient de haut», rejoue Christophe Bonvin. Toutes ces tentatives d'intimidation portent leurs fruits: certains joueurs valaisans ont la boule au ventre. Dont l'ailier gauche:
Avant même d'avoir commencé le match, les Valaisans ont déjà perdu une partie de leur avantage acquis à l'aller.
Mais tout va basculer. En dix secondes. Le héros? Stephan Lehmann. «Tout à coup, comme s'il était en transe, il a poussé une énorme gueulée en suisse-allemand, pendant dix bonnes secondes», se marre Christophe Bonvin. «Personne n'a rien compris, mais ça a fait taire définitivement les Marseillais et nous, ça nous a décontractés. Dès cet instant, je me suis dit qu'on avait gagné psychologiquement la bataille.»
Le portier d'origine schaffhousoise confirme. Mais qu'a-t-il hurlé exactement? «C'est trop vulgaire, je ne peux pas le dire ici», rigole l'actuel entraîneur des gardiens de Winterthour. On insiste. «Bon, ok! J'ai dit un truc du genre: "Bande de branleurs, on va vous montrer de quel bois on se chauffe. On va pas se laisser faire!"» Le dernier rempart a du tempérament et de l'expérience.
Comme par magie, Sion réalise le début de match parfait, en ouvrant le score après 5 minutes grâce à une immense bourde du gardien de l'OM, un certain Fabien Barthez. Mais les Valaisans souffriront beaucoup, au propre comme au figuré. «Je me souviens de leur numéro 11 (ndlr: Marc Libbra), qui m'a marché sur les mains et les pieds avant de m'insulter», rembobine Stephan Lehmann.
L'athlétique attaquant trompe par deux fois le Schaffhousois et relance son équipe. A la 73e, Jean-Marc Ferreri plante le troisième. Marseille n'est plus qu'à un but d'une remontada historique et de la qualif. «Ces dernières minutes, c'était un véritable siège de notre camp», se remémore Christophe Bonvin. «Je suis rentré à la 88e minute, ça poussait très fort, c'était dur. En plus, je revenais de blessure», complète Yvan Quentin.
Mais les Sédunois tiennent et vont au bout de leur exploit. Ils ne sont, par contre, pas au bout de leurs ennuis. Dans le couloir des vestiaires, d'autres scènes surréalistes se produisent.
Des coups sont aussi échangés. «Deux joueurs de l'OM m'ont frappé en pleine figure. Je saignais du nez, mais je n'ai pas réussi à répondre tellement j'étais choqué», témoigne Stephan Lehmann.
01 Novembre 1994 - Olympique de Marseille/FC Sion - 16è de finale retour Coupe de l’UEFA 🏆 @marclibbra @OM_Officiel @FCSion pic.twitter.com/B4vr4FSoyo
— lucas libbra (@lucaslibbra) November 1, 2021
Les pensionnaires de Tourbillon doivent rester plus d'une heure dans les vestiaires, avant d'enfin rejoindre leur car. Il est caillassé par quelques supporters phocéens qui lui courent après.
Côté valaisan, tous les acteurs sont encore marqués par ce match de novembre 1994. Mais il a aussi laissé des traces sur les bords de la Méditerranée. «A ce sujet, j'ai une anecdote incroyable», sourit Stephan Lehmann. On l'écoute les oreilles grandes ouvertes.
Même si beaucoup d'eau a coulé sous les ponts du Rhône depuis ce 1er novembre 1994, les Bâlois ont une petite idée de ce qui peut les attendre. On espère pour eux moins de remous, quand même.