Ça d'abord été un «ouf». Une respiration. Quand le Conseil fédéral a annoncé la «résurrection» de la culture dans les salles, le monde des musiques actuelles romand a, comme la population, senti souffler un vent d'espoir.
Sauf que la bise mordante de la réalité a vite rappliqué. Oui, sur le papier, les concerts sont autorisés à reprendre dès lundi. Mais, sur le terrain, les clubs jonglent entre les dilemmes artistiques et financiers. Les Docks (Lausanne), le Port Franc (Sion), Fri-Son (Fribourg) et le Rez (Usine, Genève), nous expliquent pourquoi le puzzle est un casse-tête.
La première règle, pour les concerts à l'intérieur, est celle qui complique tout. 50 spectateurs sont autorisés (le staff et les artistes non inclus), avec une capacité de salle de toute façon limitée à un tiers de ses sièges.
Sans faire de gros calculs, on comprend que la rentabilité des lieux, conçus pour accueillir des centaines de personnes, en prend un coup. Qui rouvre, même pour un soir, perd en RHT, engage du monde qui doit ensuite être payé. Léa Romanens, secrétaire générale à Fri-Son, est claire:
50 personnes au lieu de 1000 aux Docks, 600 au Port Franc ou 800 au Rez, c'est un trou énorme en termes de viabilité financière. C'est l'une des raisons qui a fait jeter l'éponge au Port Franc. La mort dans l'âme, le club sédunois a annoncé jeudi qu'il n'organiserait plus de concerts en salle, jusqu'en septembre. Alors qu'au Rez, on refuse d'augmenter le prix des entrées, pour mieux s'en sortir.
Deuxième règle: dès le 19 avril, on pourra écouter de la musique live, mais seulement assis à 1,5 mètre les uns des autres et masqués. Sans danser. Sans se crier dans les oreilles. Sans possibilité d'aller se chercher une bière au bar, qui doit rester fermé.
En termes de convivialité et de cohérence avec l'ADN festif de la plupart des musiques actuelles, les concerts prennent encore ici un coup au moral. On nous parle d'une «mission de cohésion sociale» impossible à assumer. D'une quasi-dénaturation du propos artistique. De toute une expérience chamboulée.
A la programmation du Rez, Willy Ténia illustre:
Aux Docks, on se pose aussi la question de la pertinence: «Est-ce vraiment une bonne idée de proposer quelque chose dans ces conditions et au rabais juste pour proposer quelque chose? Est-ce agréable ou un peu triste?», note le responsable communication Jolan Chappaz.
Reste que si on veut faire un concert, on doit alors trouver des artistes. Et, dans ce contexte où les mesures viennent bouleverser toute la branche, ce n'est pas forcément gagné de pêcher des gens d'accord de jouer dans cette ambiance.
Dans les salles romandes, nombre de dates ont déjà été tracées ou reportées, à cause des restrictions à l'international. «Certains groupes ont aussi annulé leur venue, en sachant d'avance que la réouverture sous ces conditions ne serait pas compatible avec leur contenu», ajoute Léa Romanens.
On planche alors sur des collaborations du cru, avec des perles locales. Une solution win-win qui permet de la programmation pour la salle et de la visibilité pour les artistes suisses.
Enfin, les mesures annoncées mercredi pourraient modifier le «rythme de vie» annuel des clubs de musique. Dans un monde sans Covid, ceux-ci fonctionnent par saison (comme les théâtres) et ferment en principe entre juin et septembre. L'été, ils laissent la place aux festivals.
Cette année, les salles réfléchissent à proposer quand même des événements en juillet et août, en misant notamment sur l'extérieur et les collaborations locales. Sans vouloir non plus faire trop de concurrence aux rares festivals qui pourront allumer leurs projecteurs. «Il ne faut pas non plus que l'on se brûle les ailes alors qu'en septembre, tout pourrait reprendre en flèche», conclut Jolan Chappaz des Docks.
Ces prochaines semaines, on en saura davantage sur le visage de nos concerts du printemps... Vous vous réjouissez?