Ils sont des artisans impactés par les mesures sanitaires, des jeunes en quête de vie, des libertaires dans l'âme ou simplement des citoyens qui se questionnent ou s'insurgent contre la politique menée depuis un an pour lutter contre le Covid-19. Pour une partie d'entre eux, ils se sont agrégés en groupes pour agir et se faire écouter, comme ils le feront ce samedi 20 mars à Bâle et à Berne, où plusieurs milliers de manifestants sont annoncés. Lumière sur un élan en marche.
Ici et là, par monts et par vaux, des groupes de petite ou moyenne importance sont apparus pour s'élever contre les mesures du Conseil fédéral et proposer d'autres stratégies. En voici une petite sélection:
Politique, mais pas partisan: le mouvement «Les Ami.e.s de la Constitution», qui s'organise sous forme d'association, a été créé fin juillet 2020 et défend les institutions suisses et les libertés individuelles contre un Etat jugé trop intrusif dans la vie des gens.
C'est ce groupe comptabilisant actuellement 5700 membres en Suisse, dont 460 en Suisse romande, qui a déposé en janvier les plus de 50 000 signatures nécessaires pour qu'il y ait un référendum sur la loi Covid-19 (près de 90’000 signatures ont été recueillies). L'objet sera soumis au vote en juin, en même temps que la loi sur le CO2.
Le coprésident et cofondateur de l'association, Werner Boxler, est un Lausannois d'adoption depuis 1984, d'origine saint-galloise. Mécanicien de formation, pédagogue, éducateur ou encore coach de vie, ce sexagénaire plutôt de gauche (il a voté oui à l'initiative dite «Minder» en 2013) se dit très ému quand il explique ce qui l'a poussé à créer cet organisme peu après l'introduction des mesures d'urgence du Conseil fédéral:
Le moment où, dit-il, «les parlementaires se sont disqualifiés», c'est quand ils sont rentrés à la maison en mars 2020 et qu'ils ont laissé la main au Conseil fédéral. C'est ce qui a motivé ce partisan «de la liberté individuelle, de la responsabilité individuelle et de l'égalité pour tous» à être à l'origine de la création d'une structure ayant pour vocation de faire entendre les préoccupations de citoyens en détresse personnelle due aux mesures et en profond désaccord avec le gouvernement.
Pour Werner Boxler, la crise a non seulement révélé le fait que le peuple est de moins en moins souverain, mais aussi que «les conflits d'intérêts et les lobbies dirigent le pays» et que beaucoup de citoyens ne pensent plus par eux-mêmes. En plus, «la Suisse est un pays hautement obéissant». Boxler en appelle à une prise de conscience des habitants de ce pays, pour qu'ils ne se laissent pas confisquer leurs libertés de croyance, de déplacement, de réunion... «Sans autonomie, il n'y a pas de débat ou de vie démocratique».
Quand on le lance sur l'UDC et la probabilité que le parti de droite conservatrice drague son association, Werner Boxler dit en être conscient. «Nous sommes ouverts à toute collaboration avec des gens de bonne volonté, tant qu'ils partagent les valeurs de notre charte et qu'il n'y a pas de conflits d'intérêts», explique le coprésident. «Mais je me porte garant que nous ne fusionnerons avec aucun parti.»
«Les Ami.e.s de la Constitution», de plus en plus nombreux (environ 200 nouveaux adhérents par semaine), feront-ils parler d'eux sur d'autres sujets que le Covid-19 – et la loi anti-terroriste contre laquelle ils se sont engagés en soutenant le référendum lancé par les Jeunes socialistes, les Jeunes Verts, le Parti vert'libéral et le Parti pirate? La réponse:
Le contenu de cette initiative? Il est encore trop tôt pour le savoir. On aura en tout cas compris que la vie politique suisse est désormais agitée par la présence d'un nouvel acteur. Brisant les appartenances partisanes, mais en plein dans la tradition de la démocratie directe et de la société civile.
Le besoin d'être représenté politiquement, l'une des motivations des mouvements anti-mesures Covid, semble être devenu une question cruciale ces derniers mois et années. Outre les marches pour le climat mondiales portées par des militants qui ne s'estiment pas écoutés par les élus et les gouvernants, les «gilets jaunes», symbole d'une France périphérique oubliée, occupent l'histoire récente de nos voisins.
Une récente étude relayée par Le Monde diplomatique indique que le nombre de manifestants lors des premiers grands rassemblements des ronds-points pourrait être bien plus élevé que ce qui avait été avancé jusqu'à maintenant. Plus élevé au point que ce mouvement de contestation, à la toute base en réaction à une hausse de taxe sur le diesel, serait tout à fait comparable en importance à des épisodes comme Mai 68.
Toujours dans le pays voisin, l'émergence d'intentions de vote non-négligeables pour des personnalités hors du circuit politicien telles qu'Eric Zemmour ou Cyril Hanouna traduit également un rejet des partis et de la politique traditionnelle. Quelque chose se produit et il serait faux de croire que la Suisse n'est pas concernée, comme le montrent, chacune à sa façon, la vague écologiste et la vague anti-mesures Covid.
Le clivage de plus en plus marqué entre villes et campagnes signe également la fin du mythe d'une Suisse unie et apaisée. D'un côté, le ressentiment de toute une partie de la population des cantons ruraux à l'égard de mesures venant des villes et qu'ils jugent non-adaptées aux réalités locales, telles que la Loi sur l'aménagement du territoire (LAT) et, de l'autre, les critiques lancées par des voix citadines à l'encontre de la règle de la double majorité, illustrent ce clivage.
Selon le politologue Oscar Mazzoleni, professeur à l'Université de Lausanne, «il faut assumer l’hétérogénéité de ces revendications». Ce n'est pas une question de droite ou de gauche d'après le spécialiste et il n'y a même pas de dénominateur commun au niveau des sensibilités des personnes en question. «La seule chose qui les rassemble, c’est le refus des mesures du gouvernement», avance le politologue.
Plus précisément, il voit dans tous ces groupes plus ou moins organisés «une demande d'ouverture plus rapide de la vie associative, économique, sociale et culturelle». Or, au-delà de ces revendications très concrètes, n'y a-t-il pas aussi une méfiance à l'égard des élites, par exemple sur la question des vaccins, ou un attachement à des principes plus abstraits à l'image du référendum contre la loi Covid, porté par «Les Ami.e.s de la Constitution»?
«C'est certain», concède Oscar Mazzoleni, «et la stratégie de l'UDC est justement de répondre avec un discours dont les arguments ne portent pas seulement sur l'économie, mais aussi sur la liberté de manière plus générale.» Ce libéralisme intégral teinté de populisme, donc, au sens de la défense d'individus contre un système qui leur porte atteinte, l'UDC l'a investi avant le Parti libéral-radical (PLR) dans le contexte de la crise. Assiste-t-on dès lors en Suisse à la naissance d'une tendance «trumpo-libertaire»?
Selon l'historien vaudois Olivier Meuwly, il faut nuancer cette analyse. «Gauche et droite restent des grilles d'analyse pertinentes aujourd'hui, peut-être même encore plus qu'avant», aux yeux de cet observateur par ailleurs membre du PLR. «La crise a fait rejaillir l'habituel antagonisme liberté-égalité», estime l'historien. «On veut avoir les deux, évidemment, mais selon son orientation, on va privilégier l'une ou l'autre.»
Si le radical vaudois est d'avis que ces tensions de fond pourront se résoudre via les outils classiques de la démocratie directe, tels que les référendums, une forme d'inquiétude s'ajoute à sa vision de l'avenir proche: «Y aura-t-il des formes de règlements de compte? Et quel sera le résultat de la dépression collective qu'on s'est infligée?» Graves questions.