On en voit de plus en plus. Les triporteurs, ces espèces d'engins mi-bicyclette mi-brouette, pullulent dans les quartiers bobos. Mathias, 41 ans, fait partie de ces pères de famille qui roulent en vélo cargo. Avant, il le louait, mais désormais, il a investi et a acheté un modèle de la marque Babboe (parce qu'ils sont en bois, ça fait plus organique.)
Comme tous les mercredis, il emmène ses enfants âgés de 5, 6 et 7 ans faire le marché sur la place de la Palud. Il veut leur apprendre à faire la différence entre du céleri rave et du céleri branche. Évidemment, Magnus, Ingeborg et Blenda n’en ont rien à faire mais ils sont encore trop petits pour se révolter.
Allez, zou! Tout le monde dans le triporteur! Mathias se déplace uniquement avec ce vélo parce qu'officiellement, il est écolo, officieusement, il n’a pas les moyens de s’acheter une Tesla.
Faut dire que la voiture, c’est plus pratique quand t’as trois gamins avec des noms suédois qui braillent. Malheureusement, son boulot de prof de géo au secondaire ne lui permet pas ce genre de luxe alors il fait croire que le vélo cargo, c’est sa passion.
Les trois bambins sont harnachés. Mathias enfourche sa bécane, direction le marché. Que faire pour qu'ils restent en place durant le trajet? Leur donner son Fairphone, histoire qu’ils regardent un dessin animé OKLM? Ah non! Profitons de ce moment pour se culturer. Il leur a pris le livre C’est pas sorcier. «Regardez les kids, on apprend en s'amusant!» Les enfants pleurent.
Côté look, Mathias a chaussé ses sandales Teva. Pas le modèle à la mode, le modèle old school, moche. Il les a achetées il y 10 ans en Israël, lors d'un voyage pour étudier la flore de la ville de Gath.
Il a également pris son tote bag The New Yorker. C’est juste pour frimer, parce qu’en vrai, le magazine, il le lit pas (trop de mots et c'est écrit trop petit). Mais ça fait intello d’avoir une pile sur la table du salon, à côté des vinyles qu’il n’écoute plus.
Au marché, notre papa en vélo cargo ne choisit pas des légumes classiques. Il achète de la puntarella, de la trevise ou de la barba des moines, parce qu'il est snob des végétaux.
Les kids s’en foutent. Magnus chouine. Ingeborg veut regarder Pat'Patrouille sur le smartphone et Blenda fait des bulles avec sa bave.
Mathias voulait encore passer chez Bio c' Bon acheter des noix de cajou en vrac et du shampoing solide mais vu l'énervement des enfants, il se dit que ça va être compliqué.
Du coup, il leur promet une glace de chez Loom s’ils arrêtent de faire chier s’ils sont sages. Mais interdiction de prendre parfum chocolat! Trop sucré. Ce sera sésame noir ou yuzu.
Il roule cheveux au vent sur le chemin du retour, en repensant à sa jeunesse, quand il n'avait pas d'enfants, quand il ne faisait pas de compost avec ses déchets verts, quand il ne transportait pas trois gamins dans un monospace écolo. Il se remémore cette époque d'insousciance où il faisait de la slackline dans les parcs avec ses potes en fumant des bédos...
On souhaite bonne chance à Mathias pour la suite de sa vie! Et on lui rappelle que son vélo cargo peut contenir jusqu'à sept enfants.