Le PLR est-il sur le point de faire une grosse erreur avec son idée de partager sa présidence? L'éventualité d'un pouvoir à deux têtes pour succéder à Petra Gössi le 2 octobre prochain est apparue dans la presse ce week-end. Les socialistes sont dirigés depuis peu par Cédric Wermuth et Mattea Meyer, alors que les Verts ont déjà connu des coprésidences par le passé.
Mais en fait, ça apporte quoi une coprésidence? Surtout: comment ça peut marcher? Didier Cossin, professeur de gouvernance et de finance à l’International institute for management development (IMD) et directeur de l’IMD global board center à Lausanne, livre son analyse à watson.
Cela vous étonne l’idée qu'une coprésidence, voire quasiment un jobsharing, soit évoquée pour la tête du PLR?
Didier Cossin: Non, parce qu’on voit de plus en plus de tensions et de séparations dans la société en général. Cela devient difficile de trouver une personne qui représente le compromis idéal. Donc ce n’est pas étonnant que le parti se dirige vers plusieurs candidats pour rassembler un maximum. C’est même assez naturel et très tentant, car le monde actuel nous pousse à cela. Et nous en verrons de plus en plus.
C’est donc une mode?
C’est dans l’air du temps. Et c’est un temps où il y a plus de divisions, plus de sous-groupes, plus de points de vue sur des problématiques essentielles au bon fonctionnement de la société. Je pense à l’environnement ou aux jeunes opposés au moins jeunes. Pour le PLR, un parti qui cherche à se réinventer, ce n’est pas forcément évident. S’il a du mal à trouver la personne idéale, il en choisira probablement deux, car il sera plus à même d'aborder le monde d'aujourd'hui.
Vous-même, de manière générale, conseilleriez-vous le concept de pouvoir à deux têtes?
Etre à plusieurs n’est pas un mauvais principe. C’est la gouvernance du binôme qui est capitale. Comment faire pour assurer une bonne coordination? Comment faire pour gérer un conflit? Est-ce qu’il y a un accord formel et informel entre les deux? Est-ce que leurs prérogatives se chevauchent? Est-ce qu’il y a eu une analyse en amont des personnalités qui permettra de surmonter leurs différences? Il y a des méthodes pour mesurer tout cela et savoir ce qui marche ou non.
Donc une coprésidence, ça ne se décrète pas…
Non. Ça se gère et ça se gouverne. Il y a des exemples de codirections ou de coprésidences qui ont été très difficiles. On estime d’ailleurs que dans deux cas sur trois, ça tourne à l’échec. Mais une fois sur trois, ça décolle! Soit ça fonctionne mal et ça vire à la confrontation, soit c’est bancal et c’est une coprésidence de façade avec une personne qui décide et l’autre qui suit. Soit, ça marche vraiment bien.
Elles doivent être complémentaires au niveau des thématiques et dans leur représentativité. Elles doivent bien s’entendre dans un système qui les rapproche et ne les oppose pas. Et il ne doit surtout pas y avoir d’enjeux de compétition. Si tout est réuni, cela donne des machines très performantes.
En politique notamment, il y a des aspects de représentativité (homme-femme, régions linguistiques, etc.). C’est suffisant comme argument pour passer à une coprésidence?
Tout à fait. Et même largement. Concernant les hommes et les femmes, c’est très simple, selon moi: sur les grands problèmes sociaux comme l’environnement ou les inégalités, la femme est plus moderne. Tant dans le monde de l’entreprise qu’en politique, avoir plus de femmes est tout simplement utile à l’avancée de notre société. Et nous avons déjà la preuve que ça marche.
Partager le pouvoir, n’est-ce pas une façon de diluer les responsabilités?
C’est ce point qui peut mener directement à l’échec, ce qui arrive dans les grandes entreprises où il y a d’importantes responsabilités exécutives. C’est un peu moins grave dans un parti politique, mais l'objectif d’une coprésidence est le même: multiplier les compétences grâce au partage des responsabilités, pour un résultat qui dépasserait celui atteint par un seul responsable.
A qui la faute quand on est deux?
L’idéal, c’est que toute faute est une faute commune et que tout succès est un succès commun. Si ce n’est pas le cas, on tombe dans un système de compétitivité, de division, voué à l’échec.
Le partage du pouvoir c’est aussi le partage d’une image, d’une figure. Est-ce qu'on ne perd là pas un potentiel fort d'identification?
C’est indéniable: il y a une perte de ce qu’on appelle le leadership charismatique. Mais est-ce que le charisme est plus important que la capacité de gestion et de promotion de l’organisation? La réponse n’est pas claire. Il ne me semble pas qu’en Suisse, aujourd'hui, il y ait beaucoup de grandes personnalités charismatiques. De ce point de vue, le PLR ne prend aucun risque.
Peut-on voir dans l’idée du PLR un symbole de modernité à un moment où l’on parle beaucoup d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée?
Je ne suis pas certain. Dans la société, on sent la volonté d’être dédié à son travail dans la mesure où l’on peut l’être. C’est-à-dire, de mieux calibrer, mieux régler son environnement professionnel, pour avoir du temps pour sa famille. Si c’est la volonté du PLR, c’est très moderne. Mais est-ce qu’il y a un programme derrière cette éventuelle coprésidence? Difficile à dire, car ne je suis pas certain que le PLR ait le courage d’assumer une proposition à même de changer radicalement notre société. Il y a la volonté symbolique d’un côté et la réalité économique de l’autre.