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Interview

La loi anti-terroriste est-elle vraiment islamophobe?

Amalgame entre islam et terrorisme islamiste
Pour les doctorantes en sciences politiques Nora Naji et Darja Schildknecht, la loi sur les MPT ouvre la voie à une discrimination des musulmans.Shutterstock
Interview

La loi anti-terroriste est-elle vraiment islamophobe?

Pour le think thank Foraus, la loi anti-terroriste sur laquelle nous voterons le 13 juin ouvre la porte à la stigmatisation des musulmans. On a voulu en savoir plus.
29.04.2021, 07:3529.04.2021, 16:30
Jonas Follonier
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Nora Naji, doctorante en sciences politiques à l'Université de Bâle, est, avec Darja Schildknecht, l'une des deux auteures de la publication du groupe de réflexion Foraus parue ce 27 avril. Le sujet? La nouvelle loi sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT), sur laquelle on votera le 13 juin.

Pour le think thank de tendance libérale et pro-européenne, cette loi est contraire aux droits humains et aux droits de l'enfance, elle viole la présomption d'innocence, elle est mauvaise pour l'image de la Suisse auprès du reste du monde et... elle porte le risque d'une discrimination de certains groupes.

Commençons par le commencement. Quelle définition du terrorisme vous semble la plus pertinente?
Nora Naji: Il est difficile de répondre à cette question. Les Nations unies discutent depuis des années d'une définition uniforme du terrorisme et n'ont pas encore trouvé d'accord. Cependant, il existe un consensus international sur la nécessité de respecter l'Etat de droit et les droits de l'homme dans la lutte contre le terrorisme. Ce consensus comprend également le fait de lier le terrorisme à une infraction pénale, ce qui ne serait plus le cas en Suisse du fait de la loi. En outre, il est essentiel d'établir une définition qui laisse peu de place à l'interprétation – c'est-à-dire le contraire de la nouvelle loi anti-terroriste sur laquelle nous allons voter.

Pourquoi? Craignez-vous qu'avec cette loi la police inquiète des individus qui ne représentent pas de menaces pour l’ordre public, comme des activistes politiques?
En gros, oui. La loi sur les MPT définit les activités pouvant conduire au statut de personne dangereuse comme «actions destinées à influencer ou à modifier l’ordre étatique et susceptibles d’être réalisées ou favorisées par des infractions graves, la menace de telles infractions ou par la propagation de la crainte».

black lives matter
Manifestation d'activistes du mouvement Black Lives MatterImage: Shutterstock

L'engagement politique qui favorise «la propagation de la crainte» au sens large (par exemple des activistes environnementaux ou activistes Black Lives Matter) pourrait donc être poursuivi à l'avenir comme une activité terroriste, même sans menace de violence ou d'infraction pénale. Darja Schildknecht et moi-même sommes particulièrement préoccupées par le signal que la Suisse envoie au monde. Avec cette loi, la Suisse joue un rôle de premier plan dans l'orientation de la prévention et pourrait être symboliquement coresponsable d'un durcissement des dispositifs de sécurité mondiaux.

Le fait que quatre exemples sur cinq donnés par le Conseil fédéral pour l’application de la loi concernent le terrorisme islamiste vous interpelle. Pourquoi? N’est-ce pas la menace principale au vu des attentats commis en Occident depuis vingt ans?
Ma co-auteure Darja Schildknecht et moi-même sommes conscientes qu'il existe effectivement une menace pour la sécurité qui doit être prise au sérieux. Dans notre publication, nous soulignons toutefois que nous souhaitons un examen critique et global des mesures antiterroristes existantes, tant en Suisse qu'au niveau international. Le discours public est encore fortement influencé par une perception post-11 septembre qui établit des liens simplistes entre les concepts de terrorisme, de radicalisation et d'islam.

Des pompiers de la ville de New York marchent près de la zone connue sous le nom de Ground Zero après l'effondrement des tours jumelles le 11 septembre 2001 à New York.
Des pompiers de la ville de New York marchent près de la zone connue sous le nom de Ground Zero après l'effondrement des tours jumelles le 11 septembre 2001 à New York.Image: Shutterstock

Nous ne devons pas sous-estimer l'importance des discours et leur impact sur la société, notamment en ce qui concerne cette votation et ses conséquences possibles pour les communautés musulmanes en Suisse. Nous devons donc nous demander si l'expansion des dispositifs de sécurité existants est la bonne solution. Ou si, au contraire, nous ne devrions pas plutôt améliorer les structures existantes et la coopération internationale pour faire face à la menace terroriste.

Dans votre texte, il est écrit que des effets de marginalisation de populations dus à des mesures de lutte contre le terrorisme sont devenus apparents. Un exemple?
L'accent étant mis sur la prévention dans la lutte contre le terrorisme, les Etats ont peu à peu mis en place des programmes et mesures destinés aux communautés dites «à risque». Le programme «Prevent» au Royaume-Uni, qui cherche à identifier les menaces potentielles par le biais de l'engagement communautaire, en est un parfait exemple. Il a été très critiqué en raison de la marginalisation des communautés musulmanes, du profilage racial et de l'utilisation abusive des institutions sociales à des fins de sécurité, et a donc été abandonné il y a quelques années. Les conséquences sociales et juridiques pour les personnes qui ont été classées à tort comme «personnes dangereuses» sont rarement mises en évidence dans le débat public. En outre:

«Cet enjeu met en lumière la complexité de la lutte contre le terrorisme et illustre les compromis éthiques qui doivent être faits»
Nora Naji, auteure à Foraus

Vous dites à la fois que la loi ouvre la porte aux stigmatisations et que la nouvelle définition qu’elle donne du terrorisme est vague, car elle ne pointe plus des catégories de personnes en particulier. N’est-ce pas contradictoire?
Non, mais votre question atteste du problème central de la loi. En raison de la formulation vague de celle-ci, il n'est pas possible de définir précisément qui entre dans la catégorie des personnes dangereuses. Les MPT visent avant tout à prévenir le danger que représente le terrorisme «djihadiste», telle qu'elles sont également interprétées dans le discours public. Or, Darja Schildknecht et moi-même soutenons que les MPT exigent de la clairvoyance. Les définitions vagues de «personne dangereuse» et d' «activités terroristes» laissent place à une interprétation généreuse de la loi, qui peut par exemple, inclure tout à coup des activistes politiques. En clair:

«L'essentiel pour nous est que la Suisse tienne compte de l'effet de signal international et de la fonction de modèle pour l'expansion de la structure antiterroriste mondiale que la loi pourrait avoir. Nous pensons que cette loi pourrait malheureusement avoir des conséquences discriminatoires et répressives, notamment pour les minorités et les communautés musulmanes»
Nora Naji, auteure à Foraus

Il y a une part d’arbitraire dans les pensées et les actes de tout un chacun. N’est-ce pas une donnée qu’il est malheureusement illusoire de vouloir supprimer dans une loi?
La législation tente de contrôler le comportement humain. Pour que les gens respectent les lois, celles-ci doivent être sans ambiguïté et donc avoir un but, ce qui ne serait plus le cas si l'on introduisait l'arbitraire juridique. Or, avec les MPT, c'est précisément cet arbitraire qui serait institutionnalisé et l'Etat de droit serait sapé. C'est exactement le problème ici: les définitions vagues mentionnées plus haut et l'abolition de la séparation des pouvoirs, en l'occurence entre l'exécutif et le judiciaire puisque des mesures de contrainte pourraient être prononcées par la police sans qu’il y ait de procès.

T'as où les vagues?
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