Bombes sur les habitations, tirs sur les civils en fuite: depuis 13 jours, l'Ukraine est la proie d'une guerre qui a peut-être déjà fait des milliers de victimes. Outre les soldats, des civils meurent chaque jour. L'ONU a recensé 406 cas jusqu'à présent, mais estime que le nombre réel de victimes est bien plus élevé.
Il est évident que la Russie a lancé cette guerre et qu'elle en est responsable. De plus en plus d'enquêteurs s'intéressent désormais aux nombreux rapports sur les crimes commis pendant la guerre et à la question de savoir s'il s'agit de cas isolés ou éventuellement d'un système.
Les Etats-Unis rassemblent déjà des preuves. La plus haute cour de l'ONU et la Cour pénale internationale enquêtent également. De même que le Parquet fédéral allemand, qui a annoncé, mardi, avoir ouvert une enquête contre la Russie. Les autorités voient des indices concrets selon lesquels la Russie utilise des méthodes de guerre interdites contre des civils, a déclaré un porte-parole à t-online.
Pour l'instant, les enquêteurs n'entrent pas dans les détails. De nombreux crimes commis dans cette guerre ne seront probablement connus du public que plus tard. Il existe cependant déjà de nombreux rapports sur de possibles crimes de guerre commis au moins par la partie russe.
Car aussi absurde que cela puisse paraître, la guerre est régie par des règles définies par le droit international.
Dans une guerre, les deux parties doivent se concentrer sur des objectifs militaires et non sur les civils. Ceux-ci bénéficient d'une protection particulière, tout comme les prisonniers de guerre. Par exemple, un soldat n'est généralement pas punissable s'il tue un soldat ennemi au cours d'un combat. Par contre, si ce soldat s'est rendu peu avant, il s'agit d'un crime de guerre.
Les attaques contre des bâtiments civils tels que les habitations, les hôpitaux, les écoles ou les bâtiments gouvernementaux peuvent également être considérées comme des crimes de guerre si elles ne sont pas utilisées à des fins militaires.
C'est le principe de proportionnalité qui s'applique: une attaque ne peut pas être lancée s'il faut s'attendre à ce que le nombre de civils tués ou blessés et les dommages causés aux bâtiments civils soient excessifs par rapport à l'avantage militaire escompté.
C'est pourtant ce qui se passe apparemment en Ukraine. Selon l'OTAN, il existe par exemple des rapports crédibles selon lesquels la Russie s'en prend à la population civile. «Il existe des rapports très crédibles selon lesquels des civils sont pris pour cible lors de l'évacuation», a déclaré le secrétaire général Jens Stoltenberg.
La Russie aurait par exemple déjà violé à plusieurs reprises un cessez-le-feu convenu mis en place pour permettre aux gens de fuir la ville encerclée de Marioupol dans le sud de l'Ukraine.
Un autre cas a probablement eu lieu dimanche à Irpin. Plusieurs journalistes ont pu l'observer dont une correspondante du New York Times. Selon son rapport, plusieurs centaines de personnes s'étaient rassemblées devant un pont auxiliaire pour fuir la ville proche de Kiev. Quelques soldats ukrainiens auraient aidé les fugitifs. La foule aurait ensuite été soudainement bombardée par des obus de mortier du côté russe. Selon le maire de la ville, huit personnes ont perdu la vie.
A cela s'ajoute l'utilisation de bombes à sous-munitions. Elles fonctionnent de la manière suivante: une roquette est tirée, s'ouvre en l'air et largue une multitude de bombes qui se dispersent dans la zone. Un analyste du Royal United Services Institute britannique, Sam Cranny-Evans, a déclaré à la BBC qu'un tel missile peut transporter jusqu'à 7000 bombes, dont environ 2% n'explosent pas directement. Elles peuvent donc tuer et blesser des civils des mois plus tard.
Un tweet du réseau de recherche Bellingcat montre comment distinguer ces bombes des autres:
We are seeking images of Uragan 9M27K and Smerch 9M55K cluster rocket and their submunitions from the current fighting in Ukraine, as well as videos of suspected cluster munition attacks. If you have any, reply with a link to the source if possible. pic.twitter.com/PI04EleDAH— Bellingcat (@bellingcat) February 26, 2022
Cette arme est proscrite au niveau international. Plus de 100 pays se sont mis d'accord sur un traité de droit international interdisant son utilisation.
La Russie et l'Ukraine ne l'ont toutefois pas signé. Le Kremlin nie toute utilisation de ces armes par les troupes russes. Les rapports laissent toutefois entendre qu'il s'agit d'un mensonge.
La BBC, par exemple, a présenté à des experts des vidéos de possibles utilisations d'armes à sous-munitions. Résultat: les experts estiment que l'utilisation de bombes à sous-munitions est très probable. Bellingcat a examiné un cas dans lequel des bombes auraient pu toucher un jardin d'enfants. Des images de drones prises peu après l'attaque ont montré des personnes mortes ou gravement blessées gisant devant le bâtiment. Les chercheurs de l'équipe russe Conflict Intelligence Team ont publié lundi une série de découvertes de bombes à sous-munitions dans des zones résidentielles et d'autres zones civiles, parfois loin de cibles militaires.
Other impacts, like this reportedly in Mykolaiv's city zoo, have no discernible military targets around them.After suffering setbacks near Mykolaiv, Russia may be settling to a familiar pattern of shelling and bombing to attrit the defenders, regardless of civilian casualties. pic.twitter.com/WcL3aZFCZd— CIT (en) (@CITeam_en) March 7, 2022
Les rapports sur les bombes à sous-munitions touchent également un autre domaine des crimes de guerre: l'attaque des infrastructures civiles.
Certaines villes sont violemment bombardées depuis plusieurs jours et des habitations ont également été touchées. Le maire de Kharkiv , une ville âprement disputée de l'est de l'Ukraine, a accusé les troupes russes d'attaquer délibérément les infrastructures civiles.
«Des jardins d'enfants, des écoles, des maternités, des cliniques sont visés», a déclaré Ihor Terechow à la chaîne de télévision américaine CNN. «S'il s'agit de centaines de bâtiments civils, ce n'est pas un accident. C'est une attaque ciblée». D'autres personnalités en Ukraine ainsi que le gouvernement pensent également que les crimes de guerre font partie de la stratégie de la Russie.
La semaine dernière, des informations ont fait état de tirs de troupes russes sur la centrale nucléaire de Zaporizhia.
Comme l'a déclaré l'expert en droit international Claus Kress à la radio allemande, cela pourrait également constituer un crime de guerre: «Une attaque ciblée sur une centrale nucléaire à usage civil serait un crime de guerre et relèverait de la compétence de la Cour pénale internationale».
La Russie accuse également l'Ukraine de crimes de guerre. Par exemple, l'Ukraine utiliserait des civils comme boucliers humains. Il n'existe aucune preuve à ce sujet. Il pourrait également s'agir d'une fausse information visant à relativiser ses propres violations du droit. On ne sait pas pour l'instant si et dans quelle mesure la partie ukrainienne commet des crimes de guerre.
La partie ukrainienne a cependant commis au moins une infraction aux lois de la guerre: l'exhibition de prisonniers de guerre russes.
Des prisonniers russes ont pris la parole lors de conférences de presse officielles, auxquelles s'ajoutent de nombreuses vidéos sur les médias sociaux. Alors que la partie ukrainienne veut manifestement faire en sorte que davantage de soldats russes se rendent volontairement et que les citoyens russes découvrent la réalité en Ukraine, les défenseurs des droits de l'homme condamnent cette pratique.
«Les apparitions publiques peuvent mettre en danger les prisonniers de guerre lors de leur retour dans leur pays d'origine et poser des problèmes à leurs familles pendant leur détention», a déclaré lundi Joanne Mariner d'Amnesty International.
Selon les Conventions de Genève, les Etats en guerre sont tenus de protéger les prisonniers de guerre de la curiosité du monde extérieur dès le moment de leur capture.
La Russie fait l'objet d'une enquête non seulement pour crimes de guerre, mais aussi pour crimes contre l'humanité et pour génocide. Le président russe Vladimir Poutine pourrait également se retrouver dans le collimateur des enquêteurs.
L'Ukraine a déposé une plainte contre la Russie devant la plus haute juridiction des Nations unies (ONU). Selon l'accusation, la Russie planifie des «actes de génocide en Ukraine» et blesse et tue «délibérément des personnes de nationalité ukrainienne». L'Ukraine a également appelé les juges à clarifier le fait qu'il n'y avait «aucun fondement juridique» à l'invasion et à la guerre.
Poutine avait justifié l'invasion par le fait que les Russes de Louhansk et de Donetsk dans l'est de l'Ukraine devaient être protégés d'un génocide. Il n'y a aucune preuve de cela. «C'est un terrible mensonge de Poutine», a déclaré le représentant de l'Ukraine à La Haye, Anton Korynewytsch. La Russie boycotte le procès.
De plus, la Cour pénale internationale, qui siège également à La Haye aux Pays-Bas ,enquête sur des crimes contre l'humanité. Ce qui est particulier: Le Tribunal pénal mondial ne poursuit pas des Etats comme le tribunal de l'ONU mais des responsables militaires et politiques. Une accusation ultérieure pourrait donc également viser le président russe Vladimir Poutine.
L'expert en droit international Kress, qui conseille le procureur en chef du tribunal, a déclaré au Deutschlandfunk que l'enquête ne visait pas encore un accusé concret. Le procureur ne le décidera qu'à une date ultérieure, a-t-il ajouté.
En théorie, il est toutefois possible que Poutine soit inculpé et condamné. Ceci bien que les présidents en fonction bénéficient normalement d'une immunité devant les tribunaux pénaux étrangers, y compris en Allemagne. La Cour pénale internationale avait toutefois décidé en 2019, dans le cas de l'ancien président soudanais Omar al-Bachir, qu'une telle immunité ne s'appliquait pas dans cette cour. Bachir était accusé de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, trois accusations auxquelles la Russie doit également faire face.
Traduit de l'allemand par Nicolas Varin
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