La semaine dernière dans le quotidien ArcInfo, Michel Schlup se plaisait à rappeler que «nos courageux et hardis baigneurs de l’hiver» ne sont de loin pas des pionniers. Le rédacteur de la Nouvelle revue neuchâteloise avait en effet retrouvé la trace d'une correspondance échangée dans les années 1770 entre le financier Pierre Alexandre DuPeyrou et l'éditeur Marc-Michel Rey. Le premier y évoquait les vertus de l'eau froide du lac de Neuchâtel qui, disait-il, l'aidaient à atténuer ses crises de goutte (une forme particulière d'arthrite qui provoque de vives douleurs aux articulations).
DuPeyrou écrit ainsi à son ami, le 11 novembre 1771:
Cette sensation de bien-être est également ressentie dans les eaux du Léman à la même époque. Nous n'avons pas trouvé de correspondance qui l'atteste aussi formellement qu'à Neuchâtel, mais Grégory Quin, historien du sport à Lausanne, rappelle que «le lac servait alors à des fins thérapeutiques ou hygiéniques même en hiver».
Le spécialiste poursuit: «Les réflexions sur l'utilisation des bains chauds et froids apparaissent très clairement au 18e siècle. C'est l'époque des Lumières et de la redécouverte du corps. Dans L'Emile de Rousseau, on trouve d'ailleurs des recommandations en faveur des bains froids et de la vie au grand air, même en hiver. Or, une partie de l’œuvre a été pensée sur les bords du Léman à Genève».
Dans l'un de ses chapitres, Rousseau écrit en effet:
Le dr. Auguste Tissot, une des figures médicales du siècle des Lumières, conseillait lui aussi les variations de températures pour soigner de multiples pathologies: la goutte, mais aussi les affections pulmonaires et jusqu'aux scolioses.
Il faudra attendre le 19e et la démocratisation des bains sur les rives du Léman pour une utilisation médicale (au sens contemporain du terme) des eaux froides.
Des structures sur pilotis sont alors aménagées, encerclant une piscine d'eau naturelle. Un médecin conseiller est rattaché à l'établissement tout au long de l'année, ce qui permet aux baigneurs d'être accompagnés sur le plan sanitaire et de prévenir les risques de noyade. Car si les lacs sont pour nous d'immenses terrains de jeux, ce n'était pas du tout le cas au 19e siècle. L'eau faisait peur à la population. La plupart des habitants ne savaient pas nager et les noyades étaient fréquentes.
«Pour cette raison, les gens préféraient les rivières aux lacs», nous renseigne Lionel Gauthier, conservateur du Musée du Léman à Nyon.
Il rappelle que la réputation du lac a évolué au fil des différentes périodes de l'histoire. «Au 19e siècle par exemple, certains disaient que c'était du jus de cadavre. L'eau n'était pas propre. Les vaches venaient s'y abreuver, le travail des lavandières occasionnait de la mousse en surface.»
Les autorités allaient parfois jusqu'à interdire l'accès au lac, notamment lors des épidémies de peste, craignant que l'eau ne favorise la diffusion de la maladie.
Trois siècles plus tard, le monde lutte contre une autre pandémie, et l'eau, cette fois, est une alliée: la baignade hivernale a pour vertu de renforcer les défenses immunitaires, permettant ainsi de combattre plus efficacement les virus.