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Prix unique du livre: les enjeux d'un débat qui rejaillit

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Faut-il réguler le prix des livres en Suisse? Le débat est relancé.Image: Shutterstock
Analyse

Les livres doivent-ils avoir un prix unique? Le débat est relancé

Faut-il règlementer le prix du livre? Le débat refait surface après un refus du peuple en 2012; les enjeux restent les mêmes. Décryptage.
18.04.2021, 11:4818.04.2021, 17:09
Jonas Follonier
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C'est la dernière action de Mathias Reynard au parlement avant d'intégrer le Conseil d'Etat valaisan. Et pas des plus discrètes. Le socialiste a lancé une initiative parlementaire visant à réglementer le prix des livres en Suisse, dix-sept ans après l'initiative similaire de feu Jean-Philippe Maitre, ancien conseiller national genevois démocrate-chrétien, menée au parlement par son collègue de parti Dominique de Buman.

L'idée? Les livres ne sont pas des biens de consommation comme les autres. Il est donc pertinent, face à la concurrence des géants américains en ligne type Amazon et aux rabais des grandes chaînes sur les best-sellers, de réguler leur prix pour garantir la survie des librairies indépendantes ainsi que la qualité et la diversité éditoriale. En jeu selon les défenseurs de la proposition, la circulation de la culture et du savoir ainsi que l'accès du plus grand nombre aux livres.

La chaîne du livre: explication

Beaucoup d'acteurs gravitent autour du livre. Il y a d'abord les éditeurs, qui se chargent de les publier. Les importateurs, ou distributeurs, souvent en mains étrangères (80% des livres vendus en Suisse romande viennent de France), jouent ensuite le rôle de grossistes: ils stockent les livres venant de beaucoup de maisons d'édition. Parfois, ils sont eux-mêmes aussi diffuseurs: ceux-ci gèrent l'aspect commercial de la distribution, avec des équipes qui vont vendre des ouvrages sur place aux librairies. Les libraires, au bout de la chaîne, vendent finalement des livres à des clients.

Mais la situation actuelle est différente d'un côté et de l'autre du Röstigraben. «Nous avons affaire à deux modèles différents d’organisation économique», explique Hadi Barkat, responsable du comité éditeur de Livre Suisse et éditeur de Helvetiq, maison d'édition basée à la fois à Lausanne et à Bâle.

«En Suisse romande, les achats des libraires se font quasi exclusivement de manière locale (hormis la Fnac). Les grands groupes d'édition français possèdent des filiales de vente romandes et se reposent sur une poignée de distributeurs locaux. En Suisse alémanique, les achats se font parfois directement en Allemagne et pour l'achat en Suisse, il y a une coopérative de librairies qui se charge d'importer les livres (Buchzentrum) et un groupe concurrent (AVA). On peut donc acquérir le même livre de manière différente en Suisse alémanique et moins en Suisse romande.»

Un projet salutaire d'après les premiers concernés

Selon celui qui est éditeur de livres, mais aussi de jeux de société, l'initiative parlementaire de Mathias Reynard est légitime et il soutient son objectif. «On mène énormément de combats actuellement pour le monde du livre, qui a beaucoup souffert, à plusieurs égards. Le nouveau projet de prix unique s'inscrit dans cet élan et ne pourra passer que s'il compte sur un large consensus de la part de tous les acteurs concernés. C'est sans doute ce qui a manqué en 2012.»

Le principe d'une régulation du prix des livres est également défendu au bout du fil par Nicolas Gary, rédacteur en chef d’Actualitté, média en ligne spécialisé dans le monde du livre, basé à Paris, qui connaît à la fois la France et la Suisse, dont il suit assidûment l’actualité. «En France, le prix unique a permis de protéger les éditeurs contre les grands prix réduits que faisait FNAC et de protéger les libraires entre eux, puisque plus aucune remise n'est possible au-dessus de 5%.»

«La concurrence ne se fait plus sur les prix, mais sur la qualité, l’accueil, etc»
Nicolas Gary, rédacteur en chef d'Actualitté

Le passionné poursuit: «Nos civilisations humaines se sont bâties sur le livre. Défendre cet objet à part n'est donc pas forcément stupide. Réguler son prix permet d'éviter qu’un seul grand acteur américain – ou chinois – devienne distributeur de tous les livres.» C'est donc d'abord un choix de civilisation avant d'être une question d'économie et de prix. «Est-ce qu’on veut du lien social ou de l’optimisation fiscale? Aucun distributeur européen ne peut jouer au jeu d'Amazon, qui nécessite de partir avec beaucoup d'argent et d'avoir des dizaines d'avocats et de juristes pour trouver des failles juridiques dans lesquelles s'engouffrer pour jouir d'avantages».

Une «idiotie économique» pour certains

Oui mais voilà, fixer le prix d'un bien de consommation, ce n'est pas tout à fait dans l'ADN d'un régime économique libéral. Ce qui explique le point de vue résolument «contre» du conseiller national Philippe Nantermod (PLR/VS), pour qui cette proposition est «une idiotie économique qui se fera naturellement sur le dos des consommateurs».

Si cela vaut évidemment pour les clients qui achètent des best-sellers auprès de grandes enseignes, rien ne dit que ce ne soit pas vrai pour tous les clients. Car, comme le reconnaît Nicolas Gary, «les salaires sont indexés sur le coût de la vie, d'où l'écart de prix entre la Suisse et la France. Payer plus cher, c’est aussi garantir au libraire de pouvoir vivre au niveau du pays dans lequel il vit. Un prix unique avec des prix à la française serait intenable et illogique.»

Mais c'est sur l'idée même de faire du livre un bien différent des autres, un bien sur lequel il est permis d'appliquer une économie planifiée contrairement aux caleçons de bain et même aux DVD et aux albums de musique, que celui qui défendait déjà le «non» en 2012 ne peut pas entrer en discussion:

«Contrairement à ce qu’on nous annonçait en 2012, les librairies n’ont pas disparu, bien au contraire. [...] Fixer un prix unique du livre reviendrait uniquement à assurer une rente de situation à quelques importateurs qui ne supportent pas la concurrence en ligne. C’est indéfendable, et ça va à l’encontre de tout ce que nous entreprenons pour lutter contre les cartels et pour des prix corrects.»
Philippe Nantermod (PLR/VS)«24 heures» du 28 mars 2021

2021 différent de 2012

La nouvelle tentative opérée par Reynard compte 32 cosignataires (contre 13 parlementaires en 2012), de gauche comme de droite. On y trouve par exemple aussi bien Samuel Bendahan (PS) et Fabien Fivaz (Les Verts) qu'Yves Nidegger (UDC) ou Olivier Feller (PLR). C'est peut-être le signe que l'idée a fait du chemin. En outre, comme l'a relevé Mathias Reynard dans Le Temps, les librairies «ont bénéficié d’un regain d’intérêt [durant la pandémie], incarnant des formes d’exception culturelle». Une remise sur le devant de la scène politique, en somme, qui pourrait influencer les opinions.

Mais avant de connaître l'issue de ce dossier, un long processus va avoir cours sous la Coupole fédérale. D'abord en commission, puis devant le parlement. Les modalités d'application d'une telle législation devront être précisées. Sur le détail de la fixation des prix (par qui et comment?), mais aussi notamment sur la question de savoir comment les e-books et le commerce de livres en ligne seraient concernés. Et ce n'est pas impossible qu'à la fin du parcours, un référendum soit à nouveau lancé pour que le peuple ait le dernier mot.

Rien à voir, mais voici 25 photos d'animaux rigolos

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Renardeau, bébé hyène... 25 photos d'animaux rigolos
La CGN, c'est quand même pratique.
source: imgur
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