«Ça ressemblait à un film pour moi», n'en revient toujours pas Golnaz*. Ce jour-là, cette Téhéranaise d'une vingtaine d'années doit se rendre sur l'avenue Valiasr. Réputée être l'avenue la plus longue de tout le Moyen-Orient, avec ses quelque 17 kilomètres, cette artère coupe Téhéran en deux du nord au sud. Bordée d'une armée de platanes, c'est une artère bouillonnante et incontournable de la capitale iranienne.
Aujourd'hui et depuis la mort, il y a dix jours, de la jeune Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs pour un voile mal porté, cet axe est l'un des nombreux théâtres de scènes de chaos qui secouent le pays.
Lorsque Golnaz s'y rend, ce sont les premiers jours de mobilisation. «On aurait dit qu'ils étaient prêts pour la guerre», décrit-elle, en référence à des forces de l'ordre aux équipements «effrayants» et aux hélicoptères au-dessus d'eux. Malgré les forces en présence, elle décide de passer voir sa sœur qui travaille à proximité, pour se rassurer.
Elle voit alors la foule inondée de gaz lacrymogène. Elle confie:
Certains de ses amis, manifestants, ont été battus par la police. D'autres ont été arrêtés. Et chaque jour, elle voit péniblement passer sur les réseaux sociaux le visage de nouvelles victimes. Comme celui de Hadis Najafi, jeune femme de 21 ans récemment tuée de six balles à Karadj près de Téhéran, devenue un nouveau symbole de la répression.
Selon le dernier bilan de l'ONG Iran human rights (IHR), basée à Oslo:
Les autorités iraniennes avancent de leur côté un bilan de 41 morts, incluant des membres des forces de l'ordre. Elles ont annoncé l'arrestation de plus de 1200 manifestants, alors que le président ultraconservateur, Ebrahim Raïssi, a déclaré que l'Iran devait «traiter avec fermeté ceux qui s'attaquent à la sécurité et à la tranquillité du pays».
Amir*, qui participe activement aux rassemblements de la ville de Rasht, dans le nord du pays, raconte:
Il poursuit:
Un autre soir, alors qu'il dit avoir vu les forces de l'ordre tirer à quelques mètres des protestataires, ce haut diplômé a dû se réfugier chez un voisin de la scène après avoir pris un coup de bâton. L'un de ses cousins y a laissé trois dents, un autre a été blessé à la main et au pied, touché par des billes d'acier. «On ne peut même pas aller dans les hôpitaux parce qu'ils arrêtent les blessés», poursuit Amir, dont la sœur travaille dans un établissement de santé.
Malgré la répression qui s'abat sur cette jeunesse, Golnaz imite nombre de ses courageuses concitoyennes dont les vidéos font le tour du monde: ôter son voile, qu'elle porte depuis l'âge de sept ans, en public.
Javad*, qui travaille dans le milieu du divertissement à Téhéran, rapporte que «quasiment toutes ses amies ont été arrêtées», dans les quatre mois qui ont précédé les événements en cours, pour avoir dénoncé sur les réseaux sociaux la façon de faire de la police des mœurs. Selon lui, cette entité chargée de contrôler les tenues vestimentaires des femmes a été renforcée sous l'administration Raïssi:
L'exécution, en septembre 2020, de ce lutteur iranien de 27 ans, avait déjà marqué les esprits. Il avait été condamné à mort pour l'homicide d'un employé du gouvernement à Chiraz (sud-ouest du pays) lors de manifestations, deux ans plus tôt. Sa famille a toujours nié l'accusation; de son vivant, il soutenait qu'il avait été contraint aux aveux sous la torture.
Avec le drame Mahsa Amini, l'étincelle de la colère iranienne a été rallumée et ne se cantonne pas à la seule question du voile. Déjà en novembre 2019, au démarrage des dernières manifestations de masse – qui avaient fait 1500 morts selon Reuters –, la mobilisation était née en réaction à une hausse du prix des carburants. Et les slogans contre le régime avaient refait surface dans les rues du pays.
Pour Javad, le mouvement actuel est une résurgence de ces événements, survenus quelques semaines avant l'apparition du Covid-19 en Iran. Il analyse, tout en constatant toutefois une violence accrue aujourd'hui:
Amir, quant à lui, raconte:
Golnaz complète:
Récemment giflé et frappé en manifestation par des bassidjis, «comme s'ils s'amusaient» avec lui, un autre Téhéranais interrogé constate également une plus grande variété de profils:
«Nous avons le soutien du monde entier maintenant», estime encore Kiana*, une Téhéranaise. «Nous ne protestons pas pour une histoire de prix ou une mort, mais pour nos droits. Tous les droits dont le gouvernement nous a privés. Nous sommes fatigués de leurs règles nuisibles qui ne protègent qu'eux et pas nous.»
Et d'ajouter:
*Les prénoms ont été changés.
Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original