Matrix Ressurections, c’est plus qu’un simple blockbuster surfant sur la vague des remakes/reboots. C’est une anomalie hollywoodienne. Une pilule rouge pour un trip meta déconstruisant les blockbusters contemporains dans un récit quasi anti-spectaculaire et parfois un peu trop conscient de lui-même.
En sortant de la projection, j’avoue avoir été déçu de ne pas retrouver la grâce des scènes d’actions découpées comme des tableaux de maître, ni avoir eu ma dose de scènes sensationnelles qui allaient me décrocher la mâchoire. Et c'est sans doute là que le film brille par sa malice.
Non, Matrix 4, c’est un film qui s'appuie sur la frustration qu'il peut susciter pour mieux s’exprimer, tout en gardant exactement le même discours anticapitaliste et queer qu’en son temps. Et c’est ce qui le rend, à mes yeux, relativement brillant, alors que j’en étais sorti un peu déçu. Comme un vin qui prendrait toute sa force lorsqu’on le laisse en bouche quelque temps avant de l’avaler.
Souvenez-vous: nous étions en 1999, la fin d’un millénaire marqué par la crainte du «bug de l’an 2000», alors que nous n’avions aucune idée de ce qu’il signifiait tant nous étions des quiches en informatique. Nos connaissances d’Internet (qui à l’époque se limitait à la douce mélodie d’un routeur 56k), consistaient, en gros, à chatter sur Caramail avec des pseudos ringards et, pour les plus punks d’entre nous, à télécharger illégalement des MP3 sur Napster.
Matrix, c’est la revanche des geeks et de la sous-culture. L’anoblissement de tout un pan d’underground par le grand public. Avec ses codes hérités du manga et des films d’arts martiaux hongkongais, son look inspiré de la culture queer et BDSM et son cadre cyberpunk qui allait enfin mettre en avant ceux dont il était coutume de se moquer: les nerds, les gothiques, les gays, les incompris qui n’entraient pas dans la norme.
L'histoire? Notre réalité est une illusion, nous sommes esclaves d’une société contrôlée par des machines. Le choix, lorsqu'on nous l'offre, est de voir de l’autre côté du miroir, de sortir du placard grâce à une pilule rouge. Se révéler soi-même pour devenir plus fort lorsque l’on s’émancipe des codes de la matrice. Le manifeste était posé et, Dieu merci, à l'époque, personne n’avait conscience du progressisme sous-jacent pour hurler au wokisme.
Une vingtaine d’années a passé depuis. Hollywood a pillé sans vergogne toutes les révolutions (dont le fameux bullet time) établies par les frères Wachowskis devenus aujourd’hui des sœurs. Frileuse de prendre des risques en proposant des œuvres originales, l’industrie se contente de recycler de vieilles gloires populaires que ce soit Jurassic Park, Star Wars ou Star Trek et en adaptant tout le catalogue de comics books pour proposer ce qui est aujourd’hui le western contemporain: les films de superhéros. Une industrie si prudente qu’elle ira jusqu’à faire de nouvelles adaptations de films existant avec quelques années d’écart pour proposer jusqu’à trois versions de Spider-Man.
Quant à l’informatique, elle est devenue omniprésente dans nos vies. Les geeks sont devenus les nouveaux maîtres du monde et les réseaux sociaux font partie de notre quotidien, à un tel point que la musique d’avenir sonne comme un air de «déjà-vu» avec le Matrix original, lorsqu’on parle du metaverse initié par Mark Zuckerberg - le cool en moins. C’est donc au travers du prisme de ces nouveaux paradigmes que Matrix Resurrections devient passionnant. En effet:
Lana Wachowski, qui officie sans sa sœur sur ce film, propose un film personnel, aux antipodes de ce que serait un blockbuster. Le meta y est omniprésent et le quatrième mur est volontairement brisé, comme un grand pied de nez à l’industrie hollywoodienne qui recycle éternellement les mêmes formules. Tout est soigneusement remis en scène sous un autre angle, avec de nouveaux visages, comme une pièce de théâtre qui se jouerait à nouveau 20 ans plus tard et dont le film lui-même en serait le spectateur. Ce n’est pas un remake, ce n’est pas un reboot:
Certains y verront une suite opportuniste venue brasser de l’argent, d'autres, en regardant bien, y verront un reflet distordu qui révèle quelque chose de l’autre côté du miroir, de la même manière que Thomas Anderson, son protagoniste principal.
En effet, pour le chaland venu voir de l’action, la déception sera de mise. Le film manque cruellement de scènes épiques et n’a aucunement la grâce de ces prédécesseurs. Pour le public venu chercher le prochain stade d'évolution du grand spectacle, ça sera en effet la douche froide, Lana Wachowski ne va pas dans cette direction.
En termes d’«entertainement», Matrix 4 se confond dans la masse et ne propose rien de vraiment excitant, contrairement à ses débuts où il écrasait tout ce qui était proposé. Comme si le film avait eu pour ambition de revenir à ses sources tel un simple film de science-fiction au budget modeste (le premier Matrix avait couté 60 millions de dollars, ses suites trois fois plus).
Pour sa défense, si on veut voir Keanu Reeves faire un ballet d’armes à feu digne du Bolchoï, il y a John Wick. Et pour voir des surhommes s’affronter, Marvel sort quatre films par année.