La Suisse a envoyé six soldats d'élite à Kaboul pour aider à l'exfiltration de la trentaine de ressortissants helvétiques encore sur place et d'environ 200 collaborateurs Afghans. Le chiffre peut surprendre. «Honnêtement, six, c'est peu», confirme Marc*, expert suisse de la sécurité privée.
La demi-douzaine de soldats appartient au «Détachement de reconnaissance de l’armée 10» (DRA-10), une unité professionnelle de l'armée suisse. «Ils sont notamment là pour organiser le transport de nos concitoyens dans un endroit sûr et les protéger en attendant leur départ», poursuit Marc.
Ex-agent des services de renseignement helvétiques, Jacques Baud n'est pas convaincu par l’utilité du détachement envoyé en Afghanistan. «Ils ne vont rien apporter. Sans douter de leurs compétences, dans ces situations, quelques soldats ne font pas la différence.»
L'ancien colonel de l'armée suisse va même plus loin: «En fait, c'est un problème supplémentaire pour nos partenaires parce que ces six gars, il va falloir les nourrir, les loger, les déplacer et les protéger». Lui aurait donc préconisé la participation d'une troupe suffisamment étoffée pour agir de manière autonome, en harmonie avec les opérations des autres pays.
A ses yeux, le déploiement des hommes la DRA-10 en Afghanistan tient davantage de la communication. «Cette contribution me semble plutôt destinée à montrer, à nos partenaires et à la population suisse, qu'on participe à l'évacuation.»
Selon Jacques Baud, qui a fait partie du groupe de travail pour la création des forces spéciales au début des années 2000, cette situation illustre parfaitement le rapport ambigu entre les politiques et l'armée, en particulier lorsqu'il s'agit d'engagements internationaux:
«Six, c'est mieux que rien et cela permet d'avoir déjà des antennes sur place pour avoir un accès direct et en temps réel aux informations. Car la situation est très volatile, elle évolue très rapidement », nuance Alexandre Vautravers, rédacteur en chef de la Revue militaire suisse.
Le spécialiste souligne que les soldats helvétiques permettront de faire plus facilement le lien avec les partenaires sur place et d'identifier les personnes susceptibles d'être rapatriées. «Ils sont six sur le terrain, mais il y a toute une chaîne qui travaille en étroite collaboration. Les décisions sont prises depuis la Suisse», précise-t-il.
Autre spécialiste suisse de la sécurité, Hervé* défend la stratégie de la Confédération. «La DRA-10, c'est l'élite de l'élite. Six de ces soldats valent au moins une trentaine de soldats traditionnels.» Il précise que la sélection pour faire partie de cette troupe est extrêmement poussée et que la formation de base de chacun de ses membres coûte un demi-million de francs.
Autre point fort des hommes du détachement de reconnaissance d'après Hervé: ils s'entraînent régulièrement avec leurs homologues des pays amis. «Quand ils débarquent à Kaboul, ils ne sont donc pas seuls. Leur action est coordonnée avec celle de leurs frères d'armes des autres pays. Ils se connaissent déjà.»
Et si leur mission principale sera de permettre aux personnes à rapatrier de rejoindre l'aéroport en toute sécurité pour pouvoir quitter le pays, l'expert assure que la DRA-10 est prête à faire davantage. «C'est le genre de soldats capable d'opérer une exfiltration par la voie terrestre si nécessaire.»
Si nos interlocuteurs sont divisés sur l'utilité d'envoyer seulement six hommes à Kaboul, tous s'accordent sur la nécessité qu'ils soient armés. Mercredi, le Tages-Anzeiger évoquait pourtant la possibilité que le Conseil fédéral ait opté pour «une opération non-armée». Interrogé, Ignazio Cassis n'a ni confirmé, ni infirmé l'information.
«Si on déploie des militaires, c'est parce qu'on considère que la situation est dangereuse, et que leur mission ne serait pas mieux remplie par des diplomates ou des humanitaires. Imaginer les envoyer sans armes dans une telle situation est donc tout simplement absurde», pointe Jacques Baud.
Hervé approuve: «Ce serait un non-sens d'envoyer des hommes comme ça sans armes, ce serait les mettre en danger. Je prie pour qu'ils le soient, sinon c'est criminel». A ses yeux, si le Conseil fédéral ne clame pas haut et fort que ses soldats sont armés, c'est pour une raison toute simple: «C'est de la politique politicienne».
*prénoms d'emprunt