Stéphane Sarni a remporté deux fois (2006 et 2009) la Coupe de Suisse avec le FC Sion, les deux fois en battant une équipe (Young Boys) bien plus forte sur le papier. Le défenseur ne s'est pourtant jamais dit que «tout était possible» avant la rencontre, selon une expression largement répandue dans les vestiaires des outsiders. Pour deux raisons:
Pour le Valaisan devenu entraîneur, la formule traduit un aveu de faiblesse davantage qu'une force de conviction. Ce n'est pas l'avis de Raphaël Nuzzolo. Selon lui, elle a du sens. «Il y a assez d'exemples dans le football pour valider cette expression.» Le buteur défendait déjà les couleurs de Xamax lorsque le club rouge et noir a signé l'une des plus belles remontadas du football suisse. Les Neuchâtelois ne savaient pas que c'était impossible de se sauver à Aarau lors du barrage retour 2019 après avoir perdu 4-0. Alors ils l'ont fait.
Nuzzolo considère le football comme un champ de tous les possibles. «On voit bien que dans d'autres sports, comme le tennis ou le ski, les plus forts sont souvent devant. Parce que c'est du un contre un, que les forces individuelles s'opposent. Mais au football, le haut niveau est plus homogène et il y a onze joueurs sur le terrain. Sur une action, tout peut basculer: tu peux avoir un penalty et finir le match en supériorité numérique.»
Régis Brouard est du même avis. Le Français a emmené Quevilly (3e division) en finale de la Coupe de France il y a neuf ans en défiant la logique sportive. Il est certain que «le football est le seul «jeu» où tout peut arriver. Il y a de l'incertitude liée au scénario du match, aux décisions arbitrales ou aux blessés.» Et puis, «il faut quand même mettre la balle au fond. Si tu as un gardien en état de grâce, c'est pas simple pour l'adversaire», rappelle Raoul Savoy.
Le Vaudois a dirigé plusieurs équipes africaines durant sa carrière, et pas de celles (Swaziland ou Ethiopie notamment) qui ont les faveurs des pronostics. «En plus, on a rarement perdu, et jamais avec un écart important.» Le coach a toujours su trouver les mots: «Evidemment, ce n'est pas en affirmant que «tout peut arriver» que la magie opère. Il faut des arguments, donner un plan, une stratégie. Et avoir un peu de chance, aussi.»
«Tout est possible» pourrait être une punchline; le coup d'envoi d'une théorie maîtrisée, intelligente. Mais si tout est vraiment possible, quel besoin/intérêt de le formuler? Raoul Savoy, d'ailleurs, ne l'a dit qu'une fois. Sarni jamais. «Ce genre de formules laisse la porte ouverte à l'incertitude. Je préfère un discours proactif. On attend d'ailleurs d'un entraîneur qu'il maîtrise l'adversaire, qu'il soit convaincu de la qualité de ses joueurs et de son plan.»
L'expression est tellement fourre-tout qu'elle peut être utilisée à la fois par les outsiders et les favoris. Les premiers y voient un motif d'espoir; les seconds, un message de prévention. Si tout est vraiment possible, alors la défaite peu glorieuse contre des joueurs bien moins talentueux aussi. «Cette phrase, je l'ai d'ailleurs plus souvent entendue dans les grandes équipes que dans les petites, signale Nuzzolo. C'est ce qu'on nous disait aux Young Boys avant les matches de Coupe.»
Raoul Savoy pense toutefois que la formule a plus d'impact sur les joueurs en quête d'exploit que sur ceux qui doivent simplement défendre leur statut. «Tu as beau avertir tes gars, leur dire de faire attention, de ne pas sous-estimer leurs adversaires, ils vont rarement t'écouter. L'être humain est ainsi fait qu'il ne se rend compte de la difficulté que sur le moment.»
C'est un autre motif d'espoir, pour cette équipe de Suisse que les Français n'ont aucune raison de craindre sur le papier.