A prononcer avec une pointe d'accent aristocratique, la bouche en cul-de-poule: «Gai-geux-ne pressing». En bon français: contre-pressing. Mais il faut le dire en allemand, comme tous les mots savants (rösti, kirsch, bretzel) et qui font sérieux (Schadenfreude, que personne n'aurait idée de traduire par «Joie malveillante»). Précision utile: nous parlons ici de football.
Voici donc le «gegenpressing», idéal pour briller en société: si tu en as marre de pérorer sur le dernier clip d'Orelsan («L'odeur de l'essence», à re-re-re-revoir ici) et ce que cette chanson dit de la France laissée au bord de la route, complètement à sec, avec une durite qui pète, si tu en marre d'entendre tes collègues ânonner en meute que «l'ARN messager, "on" connaît, ça fait 20 ans qu'"on" bosse dessus», si tu te sens la verve inépuisable, ose une ode au gegenpressing. Avec l'accent qu'il convient, pour paraître intelligent et cosmopolite.
Le gegenpressing, à l'origine, c'était un peu ça:
Vulgairement dit, le principe consiste à se ruer sur l'adversaire quand il nous a piqué le ballon, sans plus attendre, dans l'espoir de le récupérer immédiatement. C'est l'explication simple que tu donneras à ceux qui n'ont jamais pratiqué d'autre sport collectif que la Bague d'or.
Mais à l'auguste aréopage, il y a bien plus intéressant à débiter. Par exemple cette pensée de Jürgen Klopp, entraîneur allemand (natürlich) de Liverpool:
Pour tenter une telle manœuvre, il faut du courage, que dis-je?, de la hardiesse. Gegenpressing: le nom résonne comme un roulement de tambour et les trépidations d'un cheval au galop. Tout est là: au signal du capitaine Stark du joueur qui initie le pressing, la première ligne part à l'abordage.
L'objectif est double: empêcher l'adversaire de lancer son offensive (a minima), puis récupérer le ballon rapidement (inch allah).
Une attitude plus sage et velléitaire consisterait à opérer un mouvement de repli, puis à faire obstacle au déploiement adverse. Mais le gegenpressing ne bat pas en retraite. «Il n'est pas conçu pour les testicules flasques»* (version remasterisée), admire le Français Franck Leboeuf sur Canal+. Il contre-presse et il harcèle. Il se donne 5 à 8 secondes pour récupérer le ballon, selon la férocité des troupes et l'évaluation de leur état physique. Passé ce laps de temps, il est plus prudent d'arrêter et de revenir à un dispositif défensif classique, moins harassant et exposé.
Jürgen Klopp a comparé ce rythme infernal à «du heavy metal» et pour prolonger la réflexion, tu pourras aisément citer l’œuvre de Rammstein, histoire d'en finir avec les colères rose bonbon d'Orelsan.
Si le gegenpressing est parfaitement exécuté, le ballon est récupéré proche du but, en grand nombre. Un genre de panique s'installe. Les lignes sont percées. L'adversaire est assiégé. Les balles fusent.
Pour que ça marche, il faut une adhésion totale, une énergie folle et un tempérament rageur, même un petit côté sauvage. Il faut que les joueurs forment un bloc haut, compact et coordonné. Le gegenpressing ne s'offre qu'aux natures fougueuses mais aussi altruistes, deux qualités que l'on distingue plus aisément à Liverpool qu'au PSG (au hasard et pour expliquer la moins prestigieuse contre-pression française).
C'est donc un Allemand, Ralf Rangnick, 63 ans, fraîchement réintroduit sur un banc après plusieurs années dans les bureaux, qui a inventé le processus. Der Professor compte de brillants disciples: Jürgen Klopp, Thomas Tuchel, Julian Nageslmann, Pep Guardiola.
Sitôt arrivé à Manchester United, Ralf Rangnick a ressorti son vieux chronographe. Les indiscrétions ramenées de l'entraînement affirment (sur Sky Sports) que les joueurs répètent inlassablement le même exercice: 6 secondes pour récupérer le ballon, puis 10 pour initier une action de but dangereuse.
Dans Le Temps, Laurent Favre observe que la propagation des idées de Rangnick a pour conséquences «la baisse de l’âge moyen des équipes et la perte d’influence des super-joueurs, les Messi, Ronaldo, Neymar, dont les exploits individuels ne suffisent plus à compenser les carences collectives». Ronaldo, 37 ans, retrouve Rangnick à United et il se dit sûrement trop vieux pour ces folies. En attendant, il n'a jamais autant contre-pressé que depuis deux semaines. Pour lui comme pour les autres, c'est «cours ou crève» (un bon mot que tu pourras glisser selon l'ambiance de la salle).
Histoire de conclure en beauté, tu parleras du Umschaltmoment, le fameux instant T, le moment de commuter du gegenpressing à un alignement type, d'un chaos organisé à une structure défensive. Ce sera ton Umschaltmoment à toi, quand même l'ARN messager paraîtra ringard et puéril.