Samedi soir 25 septembre, Stade de Genève. Arrêts de jeu de la première mi-temps du derby lémanique de Super League. Ballon aérien dans la profondeur en direction du Servettien Miroslav Stevanovic, à la lutte avec le Lausannois Toichi Suzuki. Le corps de celui-ci vient heurter le maître à jouer des Grenat, qui s'effondre sur le dos et se tient le visage dans les mains. L'arbitre, Stefan Horisberger, ne siffle rien.
Grosse faute de Suzuki sur Stefanovic qui ne prend même pas un jaune. L’ancien joueur de @S_BellmareFR met un gros coup de coude au joueur du @ServetteFC et s’en tire miraculeusement. Ça aurait du être un rouge directe pour le lausannois. pic.twitter.com/MxvayAqzib
— Lionel Piguet 🇨🇭🇫🇷 X 🇹🇼🇵🇭 (@lionelpiguet) September 25, 2021
C'est la consternation dans le camp genevois, y compris sur les réseaux sociaux officiels du club. Sous le post, un fan remonté questionne sarcastiquement le rôle de la VAR (Assistance vidéo à l'arbitrage), qui n'a pas réagi suite à la (non)décision du directeur de jeu.
Ne vous inquiétez pas les prix Nobel de la @News_SFL ont inventé et mis en place un truc qui s appelle la VAR. Malheureusement il faut être un joueur d'un club d outre Sarine pour que le concept s active. Circulez il n'y a rien à chercher pour Servette. 🤮🤮
— Manu Wieser (@zack554) September 26, 2021
L'entraîneur servettien Alain Geiger a lui aussi exprimé sa colère après le match:
Et pourtant, les choses ne sont pas si simples. «Je comprends la frustration des Servettiens, mais ceux qui voient un coup de coude au visage ont des capacités visuelles hors norme», s'avance Christophe Girard, président de la commission des arbitres de l'association suisse de football (ASF). Sébastien Pache, qui a sifflé au plus haut niveau national, appuie: «Comme téléspectateur, je n'ai pas vu d'image assez claire prouvant qu'il y a eu précisément ce geste».
Tout le problème est là: les officiels chargés de la VAR pour ce match n'ont pas reçu plus d'images de la scène que les fans derrière leur télévision. «En Super League, on a une VAR version light», se défend Christophe Girard. «Il n'y a pas 32 caméras au bord du terrain comme en Ligue des Champions ou à la Coupe du monde. Ces limites techniques nous empêchent parfois d'avoir un bon angle de vue.»
Faute d'avoir du matériel d'analyse suffisant, les suppositions sont trop nombreuses. Impossible donc dans ce cas de prendre le risque d'infliger un carton rouge à Suzuki, même s'il semble avoir commis une faute sur Stevanovic. «On n'arrive pas à distinguer quelle partie du corps du Genevois a été touchée, ni comment le Lausannois a donné son coup. Si le torse ou même le cou sont touchés, ce n'est que carton jaune. Le rouge n'est donné que si c'est le visage», décortique Christophe Girard.
L'enjeu de la crédibilité du corps arbitral et plus généralement de la Swiss Football League décourage aussi toute velléité de décision hasardeuse:
Comme en justice, le doute profite à l'accusé. L'idée colle bien à la philosophie de la Fédération internationale de football association (Fifa), qui donne le ton en matière d'utilisation de la VAR. «L'objectif de la Fifa et de l’Union des associations européennes de football (Uefa) est de minimiser son utilisation», observe Sébastien Pache. «Parce qu'on peut très vite basculer dans le schéma inverse, où tout est discuté avec la vidéo. Ça amènerait un jeu haché et on perdrait la dimension humaine de l'arbitrage. Alors dans les situations de zone grise, on demande à la VAR de ne pas intervenir.»
L'ancien arbitre voit encore une autre explication à la frilosité d'usage de cette assistance technique. Elle va au-delà du souci de justice sur la pelouse.
Et donc, dans tous ces cas, de perdre le fil de son match.
Christophe Girard assure, lui, que les directeurs de jeu helvétiques ont «vite appréhendé l'outil et accepté l’idée qu’ils peuvent se faire déjuger rapidement».
Mais il reconnaît que des erreurs ont été commises ces dernières semaines en Super League. Notamment sur le pénalty qui aurait dû être accordé au FC Sion à Saint-Gall fin août, où ni l'arbitre ni son collègue de la VAR n'avaient reconnu la faute pourtant évidente de Lüchinger sur Stojilkovic. ««Sur ce coup, la VAR a zéro excuse», tranche-t-il. «Son responsable aurait dû être focalisé sur cette action et sanctionner la faute.»
Une autre scène litigieuse a eu lieu dans ce même Kybunpark (SG) mercredi dernier lors de la défaite des Brodeurs face au FC Bâle (0-2). A la 54e minute, le Saint-Gallois Alessio Besio se présente seul dans les seize mètres devant le portier rhénan. Juste avant d'armer sa frappe, il est poussé dans le dos par le défenseur Raoul Petretta. Résultat: une frappe en déséquilibre facilement captée par Heinz Lindner. Là non plus, l'homme en noir, Sandro Schärer, n'a pas bronché.
«Pour moi, il y a pénalty car le défenseur ne joue pas le ballon», avoue Christophe Girard. La journal saint-gallois Tagblatt s'étonnait de la décision et de l'inaction de l'assistance vidéo. Pourtant, celle-ci est bel et bien intervenue.
«Il y a eu une discussion entre son préposé et l'arbitre, Sandro Schärer», explique Christophe Girard. «L’arbitre a argumenté sa décision et le responsable VAR l'a validée en affirmant qu'il n'y avait rien pour la contredire.»
Plus que son verdict, c'est le comportement de Sandro Schärer que regrette le président de la commission des arbitres de l'ASF:
Parce que c'est aussi ça, le problème: l'assistance vidéo intervient sur beaucoup d'actions, mais les discussions dans les oreillettes entre ses responsables et l'arbitre sur le terrain passent souvent inaperçues. De quoi rendre la VAR invisible pour le public.
Christophe Girard espère que les directeurs de jeu demanderont davantage à consulter la vidéo dans le futur en cas de doutes. Sébastien Pache a le même souhait. Le Vaudois va même plus loin: «Je regrette que dans le championnat suisse, la VAR sollicite l'arbitre seulement quand elle est sûre de pouvoir le faire changer d’avis, quand les situations sont évidentes». Il en veut pour preuve les derniers matchs qu'il a regardés, «où les arbitres ont très rarement maintenu leur décision après avoir consulté la VAR».
Les hommes en noir devront donc sortir de leur zone de confort en se remettant en question publiquement, au centre d'un stade de football rempli, pour faire progresser l'arbitrage. Pas facile, même pour des personnes habituées à supporter la pression et les critiques.