Tombés en fin de semaine passée, les chiffres de Gastrosuisse font froid dans le dos. Près de 20% des restaurateurs helvétiques ont déjà renoncé à leur établissement et 23% des autres s'apprêteraient à le faire. «Cela signifie que quatre restaurants sur dix seront alors victimes du coronavirus», s'alarmait jeudi dernier Casimir Platzer, président de la faîtière.
«Honnêtement, on se dit tous que si on continue comme ça, on sera obligé de vendre», appuie Tamara Silva, qui gère le restaurant le Kiwi à Morges (VD) avec sa mère. Dans sa rue, deux ou trois établissements sont déjà en vente. «Et le prix est beaucoup moins élevé que ce qu'ils ont payé pour l'acheter.»
La pandémie devrait donc permettre à ceux qui en ont les moyens de faire de bonnes affaires. Paul*, qui vient de racheter une enseigne au centre de Lausanne, est bien placé pour le dire.
Mais à écouter le jeune patron, il n'y a pas que les établissements qui sont en liquidation. «Les machines, les chaises, les tables, tu trouves tout ce que tu veux pour bien moins cher en ce moment», assure-t-il. Paul affirme pourtant ne pas avoir mauvaise conscience d'avoir bénéficié des dommages collatéraux de la pandémie: «D'une certaine manière, c'est gagnant-gagnant. L'ancien propriétaire, ça le soulage aussi de trouver quelqu'un.»
«C'est clair que le marché est au plus bas et que beaucoup de nos membres cherchent à vendre donc celui qui veut racheter, il peut le faire au meilleur prix», confirme Maurice Paupe, président de GastroJura.
Mais les opportunités ne sont pas uniquement financières. Interrogé par la RTS en novembre dernier, Abdallah Chatila, patron du groupe de restauration M3 à Genève, expliquait: «Ce n'est pas acheter moins cher qui m'importe, mais c'est de trouver des enseignes de renommée historique qu'on n'aurait pas pu avoir avant le Covid.» Contactée, l'entreprise répond par l'entremise de son porte-parole Fabrice Eggly.
L'économiste et conseiller national (PS/VD) Samuel Bendahan se dit très inquiet pour la situation des restaurateurs, ceux-ci étant obligés de vendre pas cher face à la difficulté de trouver un acheteur intéressé en pleine pandémie. Il souligne pourtant que les enseignes retrouveront leur valeur pré-covid une fois la crise passée.
«Qui aura les moyens de racheter? Ceux qui ont beaucoup d'argent et qui n'ont pas trop souffert de la crise comme les plus riches et les chaînes de fast-food, par exemple», analyse l'élu socialiste qui craint que cette conjoncture amène une concentration des établissements et une réduction du patrimoine culinaire helvétique.
Président de GastroVaud, Gilles Meystre va dans le même sens: «Ma première inquiétude, c'est celle de la survie des exploitants. Mais ensuite, effectivement on redoute une réduction et une uniformisation de l'offre.»
A ses yeux, aucun doute, la part de bistrots traditionnels va fatalement diminuer avec une perte d'authenticité à la clef. «Les grandes chaînes seront sans doute intéressées à multiplier leurs antennes dans les bons emplacements. Mais il y a aussi la possibilité que certains restaurants deviennent des boutiques ou autre.»
«Ce qui fait le charme de notre secteur, c'est l'âme des tenanciers, abonde son homologue jurassien, Maurice Paupe. Chaque patron fait sa carte en fonction de la culture culinaire régionale. Ça vous ne l'avez pas dans une chaîne.»
De son côté, Gilles Meystre redoute aussi que la création de nouvelles enseignes se complique. Les futurs restaurateurs réfléchissant à deux fois avant de se lancer et les banques réclamant davantage de garanties avant d'accepter de soutenir un petit établissement.
Le président de GastroVaud souligne également qu'ouvrir un restaurant demandera plus de réflexion que par le passé. «Il faut aussi reconnaître que certains se sont lancés de manière insouciante et qu'ils découvrent aujourd'hui que c'est un véritable métier.» Il ne veut toutefois pas noircir le tableau. «Dans les cours que nous donnons aux professionnels, on observe aujourd'hui un vif regain d'intérêt pour tout ce qui est terroir, circuit court et proximité.»