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Ce qu’on n’ose pas se dire sur le terrorisme en Suisse à un mois du vote

Palais fédéral, Berne.
Palais fédéral, Berne.Image: shutterstock
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Ce qu’on n’ose pas se dire sur le terrorisme en Suisse avant le vote

Le 13 juin, le peuple est appelé à voter sur la loi accordant à la police des moyens supplémentaires de lutte contre le terrorisme. Une gêne entoure ce scrutin, qui ne porte pas seulement sur le djihadisme ou les néonazis, mais sur tout type d'activisme susceptible de prendre une forme radicale, que ce soit le féminisme ou la cause écologiste. Prévenir le passage à la violence, telle est la mission du service de renseignement suisse.
17.05.2021, 11:2917.05.2021, 16:38
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Un train peut en cacher un autre. Disons qu’un gros train peut en cacher de plus petits. Ce gros train, c’est un gros mot: «Terrorisme». Il fait l’objet d’une loi sur laquelle nous voterons le 13 juin. Il s’agira de dire si oui ou non, nous voulons accorder plus de moyens préventifs à la police dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Soyons clairs – la chose n’étant que très rarement dite, y compris par l’autorité fédérale: Le terrorisme islamiste.

Mais la cheffe du Département de justice et police (DFJP), Karin Keller-Sutter, a été suffisamment allusive dans sa communication jusque-là pour que tout citoyen comprenne par lui-même de quoi il retourne. Et, face au spectre du djihadisme, glisse un «oui» dans l’urne le jour venu.

Mais sommes-nous bien certains de ce que cette loi recouvre dans la réalité? Surtout, sommes-nous sûrs de vouloir l’entendre? Ce texte sécuritaire est comme entouré d’un halo de gêne, de pudeur, de crainte. Un conseiller national de droite rapporte que le chef du Service de renseignement de la Confédération (SRC), Jean-Philippe Gaudin, annoncé sur le départ en raison d'une mauvaise entente avec sa ministre de tutelle Viola Amherd, patronne des militaires, était emprunté face aux membres des commissions de la politique de sécurité au moment de désigner des menaces potentielles pesant sur l’ordre public. Il faut dire que le conseiller national en question pointait du côté des écologistes.

La donne est pourtant claire, selon Frédéric Esposito, politologue à l’Institut d’études globales de l’Université de Genève (GSI) et directeur de l’Observatoire universitaire de la sécurité:

«Cette loi, qui renforce les moyens d’action préventifs, poursuit un but tout à fait classique pour un service de renseignement, à savoir: Identifier toutes les perspectives de radicalité au sein de la société et en évaluer la dangerosité»
Frédéric Esposito, expert en questions de sécurité

Radicalités avérées ou potentielles: La liste, s’il vous plaît! Outre l’islamisme radical et l’ultradroite (l’armée rend chaque année un rapport à ce sujet, l’environnement militaire étant propice à la diffusion d’un extrémisme de ce type), les domaines cités sont: Féministes, écologistes, survivalistes, conspirationnistes, tous susceptibles de faire l’objet d’une «veille», dans le jargon du renseignement. L’étape avant la «surveillance», équivalent généralement à une mise sur écoute.

Médias: Et maintenant des menaces

Selon Frédéric Esposito, qui se rapporte à des actualités plus ou moins récentes, «il est normal qu’un service de renseignement se penche sur des actions d’éclat telles que la venue d’un groupe d’activistes dans les locaux d’un journal, le barbouillage de voitures appartenant à une rédaction, des menaces de mort proférées contre un média ou encore le sabotage d'une ligne à haute tension».

On ne parle pas ici de terrorisme au sens meurtrier du terme et peut-être n’en sera-t-il jamais question au sujet de ces opérations. Il reste que la loi sur laquelle nous voterons le 13 juin couvre aussi, potentiellement, ce genre de faits, quelle que soit leur intensité. Dans une Suisse longtemps marquée par l’«affaire des fiches» (un système de surveillance «participatif» mis au point durant la guerre froide), il paraît cependant peu envisageable de transformer un dispositif sécuritaire en instrument de contrôle tous azimuts.

«N'abusons pas du mot de terrorisme»

Invitant à user avec modération du terme de terrorisme, qu’il préfère réserver à des actions violentes menées par des groupes constitués, cet autre expert suisse en sécurité intérieure, s’exprimant ici de façon anonyme, n’en craint pas moins «les effets délétères du postmodernisme». Il fait référence aux théories de la « déconstruction » initiées par des intellectuels français dans les années 60. Elles se sont muées dans certains cas en contestation de l’autorité démocratique et des hiérarchies qui en découlent.

«On ne peut écarter la résurgence de groupes violents anarchistes ou nihilistes comme il en a existé en Suisse entre 1890 et 1910. L’assassinat de l’impératrice Sissi, en 1898 à Genève, témoigne de cette période troublée»
Un expert suisse en sécurité intérieure

Posons-nous la question: Cette nouvelle loi sur le terrorisme était-elle à ce point nécessaire? D’un point de vue opérationnel, pas vraiment, d’après nos experts. La loi actuelle permet déjà d’agir préventivement, au moyen d'écoutes ou d'arrestations par exemple. Mais d’un autre point de vue, cette mise à jour légale fait de la Suisse un partenaire international plus fiable, plus déterminé à agir contre le «terrorisme» dans une logique coopérative et sur la base de mêmes termes.

Quant à la lutte contre les radicalités, nos deux experts sont d’avis que la police n’est pas toujours la panacée. Toutes les institutions peuvent être mobilisées, les clubs sportifs, les partis politiques, les écoles et bien sûr l’Etat. La lutte et la sortie à terme de la période Covid représentent à ce titre un défi. Même les plus petites actions comme la campagne du canton de Vaud «Pour que la vie reprenne, #jemevaccine», participent sans doute, à leur manière, à la prévention du décrochage social, possible prélude à une radicalisation au contact d'une idéologie de rupture.

Pour ou contre la loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT)
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