Sept ans de négociations. Seize en comptant très large. Et tout ça pour quoi? Pour rien. Le Conseil fédéral a lâché l’affaire. Il n’y aura pas d’accord-cadre entre la Suisse et l’Union européenne. Cette annonce, mercredi, glissée après le point Covid comme un vulgaire divers qu’on expédie en fin de séance, énerve, exaspère, indigne dans les rangs du Parlement. Des élus le voulaient tant, cet accord censé ramasser en une seule portée la marmaille bilatérale. Ils n’ont pas dit leur dernier mot. Le calendrier leur est favorable. La session parlementaire d’été s’ouvre lundi 31 mai. L’idéal, pensent-ils, pour se faire entendre et tenter quelque chose.
«Un déni de démocratie», fulmine la verte-libérale vaudoise Isabelle Chevalley, dont le parti s’est dit extrêmement déçu de l’arrêt des négociations avec Bruxelles. « La Suisse vote sur les cornes des vaches, et là, rien? Cet accord-cadre, nous aurions dû pouvoir nous en saisir, nous les parlementaires et représentants du peuple», soutient la conseillère nationale.
Une boule de frustration ne quitte plus ces partisans du mariage Suisse-Europe depuis le retrait des bans. Ils s’estiment dépossédés d’un bien qui leur revenait de droit. En quoi ils se trompent. Tant que l’accord-cadre n’était pas signé, il relevait de la seule compétence du Conseil fédéral. Et comme il n’a pas été signé, les parlementaires et le peuple avec eux, n’ont pu jusqu’au bout qu’en être les spectateurs. Car telle est la doctrine juridique en vigueur dans toutes les démocraties: c’est l’exécutif, non le législatif, qui négocie les accords et traités internationaux.
C’est trop injuste, font aujourd’hui ces Calimeros. Et s'ils avaient un peu raison de se plaindre? Un détour par le droit constitutionnel, celui qui règle, entre autres, la séparation des pouvoirs, permettra d’éclairer nos lanternes.
Que dit le prof? Pascal Mahon est professeur de droit constitutionnel à l’Université de Neuchâtel. Sans donner raison aux mécontents, il relève l’existence d’une «asymétrie entre la conclusion d’un traité et la résiliation d’un traité». En l'occurrence, la conclusion d’un traité aurait signifié la signature de l’accord-cadre. Dans la foulée, le processus de ratification parlementaire aurait été lancé. En cas de référendum, le peuple, voire peuple et cantons, auraient eu le dernier mot.
L’accord-cadre n’ayant pas été signé par le Conseil fédéral, nous nous trouvons dans la situation de l’accord résilié, selon les explications de Pascal Mahon. Et là, ni le Parlement, ni le peuple n’ont voix au chapitre. Répétons-le, c'est partout pareil, en France, en Allemagne ou aux Etats-Unis.
Les révoltés de l’accord-cadre enterré n’ignorent pas ce point de droit constitutionnel. Mais ils ne s’en accommodent pas. Ils veulent forcer le Conseil fédéral à débattre du «mort» devant les Chambres, durant la session qui commence lundi. Ils peuvent y parvenir au moyen d’une motion urgente, qui devrait recueillir une majorité au National comme aux Etats. Ce n’est pas gagné.
Une façon de ressusciter l’accord-cadre serait d’obliger le Conseil fédéral à remettre l’ouvrage sur le métier de la négociation avec Bruxelles. Les chances de succès, là aussi, sont minces. Tant cet accord, tel qu’il était ficelé, au seul avantage, à terme, de l’Union européenne, selon ses détracteurs de droite comme de gauche, est très loin de faire l’unanimité chez les parlementaires. Les plus téméraires imaginent le lancement d'une initiative demandant l'adhésion de la Suisse à l'UE. Tant qu'à faire.
Pour les déçus du «mercredi noir», allusion du conseiller national socialiste vaudois Roger Nordmann au «dimanche noir» marquant le refus de l'adhésion à l'Espace économique européen en 1992, la session parlementaire à venir sera l’occasion de faire le deuil de leur espoir et de lancer des pistes pour la suite.