Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU pour les territoires palestiniens, se trouve dans la tourmente. Celle qui dénonce le «génocide» mené par Israël à Gaza vient d'être sanctionnée par les Etats-Unis, qui l'accusent, depuis longtemps, «d'antisémitisme» et de «soutien au terrorisme», tout comme les autorités israéliennes. L'ONU a contesté la décision américaine, qualifiée d'«intimidation», tandis qu'Amnesty a parlé d'un «affront honteux à la justice internationale».
La juriste et chercheuse d'origine italienne est également la cible d'une campagne de discrédit menée sur un tout autre terrain, bien plus discret: Google.
Concrètement, si vous avez tapé son nom sur le moteur de recherche ces derniers jours, il se peut que vous ne soyez pas tombés sur sa page Wikipédia, les derniers articles de presse à son sujet ou le site de l'ONU – les résultats qui s'affichent habituellement tout en haut. La première chose que vous avez peut-être vu, c'est un site en anglais portant le titre de «francesca albanese controversy», soit «la controverse sur Francesca Albanese».
La publication fait état d'une prétendue «mauvaise conduite» de la part de la rapporteuse de l'ONU. «Ce texte», peut-on lire, «examine dans quelle mesure la conduite de Francesca Albanese en tant que rapporteuse spéciale des Nations unies est fondamentalement incompatible avec les responsabilités et les normes éthiques de son mandat».
Suit une longue liste d'accusations, les mêmes que les autorités israéliennes et américaines ont formulé contre la juriste ces derniers temps. Le tout à grand renfort de liens et d'une présentation qui se veut rigoureuse et «documentée».
Un détail attire l'attention. En haut à droite, on voit les armoiries d'Israël. En effet, cette page émane directement des autorités israéliennes. Une recherche sur le Centre de transparence publicitaire de Google montre que la publication a été sponsorisée par la Israel's Government Advertising Agency, qui n'est autre chose que le bureau de l'Etat hébreu responsable de l'exécution des communications publiques et de la publicité.
Le fonctionnement est très simple: il suffit de payer pour qu'un contenu apparaisse tout en haut. Ces publicités ciblées s'affichent, avec la mention «sponsorisé», lorsqu'un utilisateur recherche un mot-clé spécifique - dans ce cas, «Francesca Albanese». C'est exactement le même mécanisme qui fait que, quand l'on tape «chaussures», «armoire» ou «chemise», on tombe d'abord sur les sites de plusieurs boutiques en ligne.
L'opération, révélée mercredi par le média italien Fanpage, a été menée dans plusieurs pays, et semble cibler l'Europe occidentale. La France, l'Italie, l'Allemagne, l'Autriche, le Royaume-Uni, l'Espagne, la Suède et la Belgique sont également concernés. Dans ces Etats, la campagne a débuté entre le 4 et le 6 juillet. Ces publicités ont été labellisées par Google sous le thème «Famille et communauté».
La page discréditant Francesca Albanese a également été visible en Suisse, la dernière fois ce jeudi 10 juillet, toujours selon le Centre de transparence publicitaire de Google. La date du début n'est pas connue.
Il ne s'agit pas d'une nouveauté. Israël a commencé très tôt à investir internet dans l'objectif d'influencer l'opinion publique. En octobre 2023 déjà, quelques jours seulement après l'attaque du Hamas, des vidéos dénonçant les crimes perpétrés par le groupe terroriste ont été copieusement diffusées sur YouTube et sur des jeux sur smartphone, tels que Candy Crush ou Angry Birds.
D'autres vidéos mettaient en avant le chiffre de 40 nourrissons assassinés par le Hamas. Une allégation sordide, mais jamais vérifiée, également diffusée par les comptes officiels israéliens à l'époque. Fin octobre 2023, Libération avait estimé le coût de cette opération à plus de 8 millions d'euros (environ 7,9 millions de francs).
Au fil du temps, ces publicités très explicites, parfois estampillées d'un logo «State of Israel», ont été remplacées par des contenus plus ambigus. A titre d'exemple, la Israel’s Government Advertising Agency a récemment mené une opération pour mettre en doute les agissements de l'UNRWA, l'agence de l'ONU qui était responsable de la distribution de l'aide à Gaza.
Cette campagne, visible également en Suisse, fonctionnait de la même manière que celle visant Francesca Albanese. Des publications sponsorisées affirmaient que la «neutralité de l'UNRWA était compromise», promettaient de dévoiler la «vérité» sur l'organisation onusienne, et discréditaient son directeur, Philippe Lazzarini.
«Israël plaide pour des pratiques plus sûres, transparentes et humanitaires», peut-on lire sur l'une de ces publications. D'autres estiment qu'une «alternative à l'UNRWA est nécessaire».
Ces publications font écho à d'autres contenus vantant la soi-disant distribution d'aide humanitaire menée par Israël. Des publicités, réalisées avec l'IA selon fanpage, indiquent que l'Etat hébreu distribue «des millions de repas» chaque jour dans la bande de Gaza, suite à l'arrivé de «milliers de camions». On retrouve ces vidéos publiées sur le compte Youtube officiel du Ministère israélien des Affaires étrangères:
La réalité décrite par les organisations humanitaires présentes sur place est différente. Depuis mars de cette année, les camions entrent au compte-goutte en raison du blocus imposé par les autorités israéliennes. Les distributions d'aide gérées par la Gaza Humanitarian Foundation, liée à Israël, tournent systématiquement au massacre, les soldats de Tsahal ouvrant le feu sur les Palestiniens en attente de recevoir un colis.
Ce vendredi, l'ONU a affirmé que 613 personnes ont été tuées lors de distribution d’aide à Gaza depuis la fin mai, dont 509 près des sites de la seule Gaza Humanitarian Foundation. Pourtant, les vidéos diffusées sur les canaux officiels d'Israël parlent de «l'une des plus grandes opérations humanitaires du monde».