Il a d'abord quitté le terrain en rouspétant, comme le gosse que l'on vient chercher par le collet à l'heure de la pomme mousseline. Sourire malin, petit air chafouin, Ronaldo a signifié à 40 millions de téléspectateurs que son entraîneur était un benêt, qu'il commettait une grave erreur. Puis il a jeté sa doudoune à terre et il est allé bouder dans un coin.
Avant sa sortie théâtrale (mais Ronaldo faisait déjà des scènes à ses entraîneurs d'avant), Manchester menait 2-0. Ce n'était pas folichon, une fois encore. Un peu désarticulé, un peu décérébré. Rien de nouveau: tout devait passer par Ronaldo. Une meute et son chef à l'heure des quatre cents coups. Un football de préau diligenté par un vieux caillera sur le retour, 37 ans et toutes ses longues dents (pas besoin de pomme mousseline).
Sa fâcherie aurait pu passer pour un simple caprice si la semaine dernière, Ronaldo n'avait pas exprimé des opinions assurées et pessimistes sur ses camarades de jeu, en particulier les jeunes. CR7 y a décrit un aréopage de néophytes ingrats qui, entre deux rendez-vous chez le coiffeur, le toisent comme un vieux schnock, qui ne l'écoutent pas, qui ne lisent pas Wikipedia et qui croient tout savoir (on est donc toujours le vieux con de quelqu'un).
Les jeunes ne l'écoutent pas, peut-être aussi, parce que Ronaldo les gronde quand ils ne lui donnent pas le ballon. Parce qu'à la moindre étincelle, ça chauffe pour leurs oreilles. C'est en tout cas l'avis de l'ancien buteur Gabriel Agbonlahor, consultant sur Sky Sports:
«Si tu es Greenwood, Rashford, ou Sancho, et que tu fais une mauvaise passe, tu regardes Ronaldo et tu le vois lever les bras en l'air. Si je suis eux, j’ai peur. Je n'ose plus tirer. Ils ne peuvent pas s’exprimer. C’est comme s’ils se disaient à chaque fois: "Je dois faire la passe à Ronaldo, je dois créer une action pour Ronaldo." Depuis que Cristiano est revenu à Manchester United, la forme de Rashford et Greenwood a chuté. Et l’ambiance n’est pas bonne dans le vestiaire.»
Ronaldo reste convaincu que les jeunes de ManU ont grandi avec un contrat en or dans la bouche, qu'ils n'ont personne d'autre à blâmer pour leurs accès de faiblesse. CR7 trouve Greenwood égoïste et Rashford obtus; preuve finalement qu'il reste un exemple.
Au final, Ronaldo n'a pas retrouvé le club de ses débuts, celui de Sir Alex en vieil imper trempé, des trophées plein les bras et des vomissements à l'entraînement.
Peut-être faut-il rappeler aux jeun's ce qu'était Ronaldo et son approche pionnière de la préparation athlétique. Avant qu'il n’impose sa routine abdos-boulot-dodo à toute une communauté de gringalets, le footballeur se nourrissait essentiellement de «fish and chips» et de préceptes bien lourds («mouiller le maillot», «laisser ses tripes sur le terrain»). Le gainage n'était pas son affaire mais celle des électriciens.
En peu de temps, Ronaldo a initié le football aux affres de la souffrance sollicitée. Ceux qui ont visité sa propriété à Madrid ont découvert des engins de musculation parmi les statuettes, des bains acryliques à côté du jacuzzi, des tables de massage près du billard, des protocoles culinaires sur la porte du frigidaire, des stéthoscopes accrochés aux murs de la salle de bain.
L'exigence de United lui est d'autant plus nécessaire qu'il en fut jadis (2003-2009) l'instigateur, voire le dépositaire. Selon les indiscrétions du Sun, Ronaldo ne tolère pas ce qu'il perçoit aujourd'hui, non seulement comme une forme d'insouciance coupable, mais comme une insulte à son talent (ce qui revient un peu au même). Il chercherait déjà une nouvelle destination si, cet été, Manchester n'accède pas à la Ligue des champions – ne pas terminer parmi les quatre premiers serait la démonstration manifeste que ce club ne le mérite plus.
Non que ses statistiques personnelles soient médiocres. Bien au contraire: Ronaldo a marqué quatorze buts et délivré quatre passes décisives depuis août. Le constat d'«échec» vise davantage l'influence, la fascination inavouable que CR7 exerce ses semblables, cette façon d'attirer l'attention et les ballons, de rechigner au pressing, de ne pas céder un pouce de la zone axiale à Greenwood et Rachford, de s'opposer aux projections de Fred, de contribuer plus ou moins consciemment, par sa nature même et par son âge, à un football toujours lent, plus univoque, plus prévisible.
Plus troublant encore, l'effet que produit Ronaldo sur son compatriote Bruno Fernandes, ancien maître à jouer de l'équipe, devenu une sorte de laquais à la botte d'un grigou.
La saison dernière, le bilan de Fernandes était de 28 buts et 17 passes décisives, toutes compétitions confondues. Ses stats tenaient de l'omnipotence. Depuis août, le Portugais n'a inscrit que sept buts, dont cinq en l'absence de Ronaldo!
Même constat pour Rashford qui, d'une action décisive toutes les 132 minutes, est passé à une fréquence de tout juste 200 minutes cet hiver. La mainmise de Ronaldo sur un collectif asservi est une évidence que l'intéressé préfère voir comme une précellence.
Ses trois années à Turin, déjà, ont brisé les ressorts «d'une équipe unie, consciente de sa force collective», selon le témoignage troublant de Leonardo Bonucci, légende de la Juventus, dans The Athletic.
«Un beau jour, tous les ballons ont commencé à passer par lui», regrette encore Bonucci qui, dans ses souvenirs de vestiaire, décrit «une ambiance tellement électrique que si vous aviez jeté un morceau de bois, il aurait pris feu».
Il a fallu des mois à Massimo Allegri, le nouvel entraîneur turinois, pour développer une certaine idée du jeu et des concepts séculaires de responsabilités partagées. Ronaldo fut, en un sens, une solution à tous les problèmes de la Juve, mais des problèmes que cette équipe n'avait pas sans lui.
Ronaldo ne sait pas s'il restera longtemps à Manchester United, si même les Diables rouges ne s'embourgeoisent pas un peu, à force de répéter toujours la même Histoire. Il est convaincu, lui, de vibrionner «au moins jusqu'à 40 ans, voire 41-42»; et pas des bouts de match dans une équipe de cloches. Mais où cela?