Les questions tombent comme les frappes lourdes d'un boxeur: «Quelle skieuse sans neige? Quel rugbyman ou marathonien à 40 ou 45 degrés? Quel régatier dans des mers couvertes d’algues toxiques? Quel kayakiste dans des rivières à sec? Quels sports de nature dans des paysages devenus arides?» Ces interrogations sont celles de nombreux sportifs, professionnels ou amateurs. Elles figurent aussi dans le rapport du WWF (une des plus célèbres organisations de protection de l'environnement) sur «les effets et conséquences du dérèglement climatique sur le sport».
Nous avons lu ce rapport. Et il est alarmant.
C'est par ces mots d'Isabelle Autissier, ex-navigatrice devenue présidente d'honneur du WWF France, que s'ouvre le document.
On apprend ensuite que la fréquence des canicules devrait doubler d'ici à 2050. Or, la pratique sportive est déconseillée à partir de 32 degrés. Le WWF France indique que dans un scénario à +2°C, il fera tous les ans jusqu'à 24 jours supplémentaires plus de 32 degrés. Et jusqu'à 66 jours dans un scénario à +4°C. Ces prévisions auraient de multiples conséquences.
Le WWF a calculé que les joggeurs perdraient entre 9 jours (scénario à +2°C) et 22 jours (scénario à +4°C) de pratique en moyenne. Ils seraient aussi exposés à des risques accrus de coup de chaleur, de déshydratation et de crampes.
Il n'est même pas certain qu'ils puissent continuer à participer à leurs évènements préférés. Durant l’épisode de canicule de juin 2019, les organisateurs de l’Ironman de Nice avaient dû écourter les distances de la mythique épreuve alors que le mercure affichait 34°C à l’arrivée. Cinq ans plus tôt à Melbourne, au cœur de la canicule, l’enchaînement de quatre jours consécutifs avec des températures dépassant les 41°C avait fortement mis en danger la santé des sportifs et des spectateurs. Plusieurs joueurs avaient d'ailleurs été victimes de malaise.
Avec la hausse des températures, la pratique se trouvera fatalement de plus en plus fractionnée par des pauses hydratation, essentielles pour protéger la santé des sportifs. C'est ce qui arrive parfois dans le foot suisse lorsque la chaleur est trop intense. La Fifa avait aussi intronisé des pauses pour aller se désaltérer au milieu d'une mi-temps lors du Mondial 2014 au Brésil.
A l'avenir, il faudra aussi tenir compte de la pollution de l’air, «exacerbée par le dérèglement climatique». Or, le sportif y est particulièrement exposé puisque l’effort physique entraîne une hyperventilation. Selon Greenpeace, les doses de polluants atmosphériques inhalés pendant une activité physique sont de 4 à 10 fois plus élevées qu’au repos.
Au-delà de la santé, la hausse des températures affectera également la performance des sportifs. Selon Jean-François Toussaint, cité par le WWF, la température idéale pour les sports à forte intensité sur une courte durée (ex. sprint) avoisine les 23°C; pour des efforts prolongés, par exemple pour courir un marathon, une température autour des 10°C est à privilégier. Dès qu’on s’éloigne de ces normes, la performance baisse généralement.
Le climat impacte déjà les sportifs d'élite. Dans L'Equipe magazine samedi dernier, Jean-Baptiste Quiclet, directeur de la performance au sein de l'équipe cycliste AG2R, a eu ces mots terribles:
Avec la hausse des températures, les spectateurs, les bénévoles, les officiels et les organisateurs risquent aussi un coup de chaud. Or, sans eux, aucun évènement majeur ne peut se dérouler normalement.
Les vagues de chaleur de plus en plus fréquentes auraient également un impact sur les installations.
De nombreuses salles de sport sont inadaptées aux fortes températures, n'ayant pas toutes été construites avec des matériaux garantissant une bonne isolation et adaptés à un climat aussi chaud. Quant aux pelouses naturelles des stades de football (la Suisse en recensait un peu plus de 3500 il y a dix ans), on le sait, elles supportent très mal les journées caniculaires.
Les fortes chaleurs provoquent un stress hydrique et thermique pour le gazon. «Lorsque la température dépasse les 26°C, la plante entre en semi-dormance, un mécanisme d’autodéfense», décrypte le rapport. «Passés les 32°C, le danger de mort du gazon est imminent.»
Mais un des secteurs les plus durement touchés serait celui des sports d'hiver. Il y aurait un mois en moins d'enneigement prévu par degré de réchauffement futur, alerte le WWF. Dans les Alpes, à plus de 1500 mètres d'altitude, on perdrait entre 30% (scénario de +2°C) et 80% (scénario de +4°C) d'épaisseur moyenne du manteau neigeux en hiver.
Le dérèglement climatique continuera aussi d’affecter l’intensité et la fréquence de certains risques naturels déjà présents en montagne, ajoute le rapport. Peuvent notamment être cités: les crues qui gagneront en importance avec les changements de régime de précipitation, les avalanches de neige humide, les glissements de terrain ou encore la déstabilisation des parois rocheuses.
Autant de menaces qui feront dire, un jour peut-être, que le sport n'est plus forcément bon pour la santé.