La deuxième vague a été violente: «Le nombre de patients était très élevé. A peine un lit se libérait-il qu’il était à nouveau occupé. De nombreux transferts vers et depuis les soins intensifs ont eu lieu». A Berne, le service de l’Hôpital de l’Ile (Inselspital) dans lequel travaille Brigitte Lüdi traite exclusivement des personnes atteintes du COVID-19. Elle a donc bien vu à quel point le personnel soignant était sous pression constante au plus fort de la pandémie. Malgré les mesures d’hygiène, le virus n’a pas épargné nombre de soignants, ce qui a donné lieu à des craintes.
Et le repos était mission impossible: «Nous vivions dans la peur d’infecter d’autres personnes, ou d’être nous-mêmes touchés. Nous nous isolions à la maison et pouvions donc difficilement nous détendre». Elle ajoute que, pendant les phases les plus stressantes, le personnel mobilisait ses forces et se concentrait sur la situation. «Ce n’est donc que maintenant que la fatigue se fait vraiment sentir.»
Andrea Renz connaît, elle aussi, la situation dans les hôpitaux, mais avec un peu plus de distance. Pendant la pandémie, même le personnel soignant expérimenté s’est retrouvé face à des scénarios inédits. L’insécurité régnait. «Pour la première fois, des patients étaient aux soins intensifs pendant des semaines, attachés à des respirateurs.» Elle n’avait encore jamais vu autant de personnes lutter contre la mort. Andrea Renz dirige la filière de bachelor en soins infirmiers de la Haute école spécialisée OST à Saint-Gall. Elle a accompagné des étudiants pendant la pandémie et observé la situation. Elle en a tiré des constatations pour que la formation en HES prépare mieux aux situations de crise.
A ses yeux, la crise du coronavirus, malgré toute la pression et le stress, a permis de gagner de précieuses expériences: «Nos étudiants ont découvert dans la pratique de nombreux aspects qui ne leur avaient alors été enseignés que sur le plan théorique. Que signifie l’isolation? Comment mettre en œuvre un concept d’hygiène?». Bien entendu, il s’agit souvent d’expériences difficiles.
Tout en haut de la liste des conclusions applicables à la formation en soins infirmiers se trouvent la promotion de la santé et la résilience du personnel soignant. «Comment mieux soutenir le personnel soignant? Comment lui donner des outils permettant de mieux affronter de telles situations?» Voilà quelques-unes des questions qu’Andrea Renz et les responsables de la HES se sont posées. Les charges multiples, en particulier, devront faire l’objet d’un meilleur soutien. Des discussions à ce sujet ont déjà lieu avec l’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI), qui propose des informations sur ce thème.
Andrea Renz ajoute que le milieu a compris que les échanges interprofessionnels et les discussions de cas doivent être encore mieux pris en compte. Selon elle, les facteurs «souples» comme la communication, la réflexion ou la conscience sociale recèlent encore du potentiel pour combattre une pandémie avec succès. En effet, elle précise que, du point de vue technique, tout était prêt. L’épidémiologie et le diagnostic infirmier sont déjà ancrés dans la formation.
La situation psychique des patients et de leur famille a aussi fait l’objet d’une plus grande attention pendant la pandémie, «surtout en relation avec le COVID long». Pour elle, le repos psychique compte tout autant que le repos physique pour retrouver une vie normale aussi vite que possible. «Il s’agit d’angoisses existentielles; par exemple, quand une personne dans la trentaine voit sa performance réduite de moitié par rapport à auparavant.» L’OST est en train de développer un nouveau centre de compétences interdisciplinaires en matière de santé psychique. Ce centre se penchera sur les expériences faites, entre autres, dans le cadre du COVID long, ou sur les défis régionaux en matière de soins familiaux.
Selon Andrea Renz, le coronavirus a aussi démontré les nombreuses possibilités d’enseignement et d’apprentissage digital, et donc accéléré la numérisation. «Dans le suivi des cas de COVID long notamment, on a découvert un fort potentiel dans le domaine de la télémédecine.» Elle ajoute qu’il y a de nombreuses incitations au développement d’outils de santé numériques. Le service de Brigitte Lüdi a entre-temps retrouvé un certain calme. Avec le recul, une situation l’a marquée: «Lorsque les patients atteints du COVID sont arrivés dans notre service, nous avons été immédiatement isolés. Le personnel qui n’était pas impliqué dans les soins a changé de service. Nous avions l’impression que tout le monde quittait le navire qui sombrait, sauf nous». Brigitte Lüdi est tout à fait consciente qu’il n’y a pas de recette miracle contre cette isolation certes nécessaire, mais pénible sur le plan psychique. Heureusement, elle a aussi des souvenirs positifs: «Tout l’établissement nous a manifesté sa reconnaissance». La direction est venue «et nous avons reçu le soutien de services qui ne s’étaient jamais manifestés par le passé».