À Lausanne, en matière d'éthanol comme en matière d'immobilier, les prix montent. Mais comme ce n'est pas Bernard Nicod qui gère les bars de la ville, il reste peut-être encore une bière à un prix abordable. Et je vais vous la trouver, histoire que vous puissiez boire pas cher pour oublier le prix de votre loyer.
Avant de vous emmener en quête de ce graal doré à la couronne de mousse soyeuse, posons quelques critères de recherche:
11h18, je m'installe à l'une des tables en plastique de la terrasse du Bella Italia. Je demande si c'est bien le P'tit Bouchon, on me répond que oui. Je ne bronche pas: je viens pour boire une bière à 11h18, seul. Je ne suis pas en mesure de faire le malin.
Je ressens un mélange de fierté et de honte en me disant que je suis payé pour boire des verres avant midi. Ne réalisez pas vos rêves, c'est toujours décevant.
Une désillusion qui prend la forme d'une Moretti (ou une autre bière mais servie dans un verre Moretti, avec un dessous de verre Moretti) bien fraîche.
13.- le litre: je suis sûr que je peux faire mieux.
Avant de partir, je fume une clope et je bois une San Pellegrino (une dose d'alcool, une dose d'eau): la santé c'est important.
11h59, terrasse de ce café-restaurant chinois: je bois une Feldschlösschen qui a déjà des petits airs de challenge puisque j'en renverse sur le coin de mon ordinateur. La journée va être longue.
Malheureusement, pas de discussions marrantes à me mettre sous le tympan: les gens mangent (ça a l'air bon). En plus, je suis assis trop loin des deux habitués que l'on reconnaît à leur débit de clopes et leur façon d'essayer de démarrer des conversations avec tous les inconnus qui les entourent.
Sur le plan financier, on progresse: 12,8 le litre.
14h13: j'arrive devant le Calimero. Je suis accueilli par une feuille A4 dans une fourre plastique, scotchée sur la vitrine. «Nous n'acceptons pas les cartes bancaires».
14h44: après avoir marché un kilomètre et demi jusqu'au distributeur le plus proche, on me sert une bière bien méritée.
Décidément, le Calimero n'aime pas les cartes, puisque celle des boissons est inexistante. Ma peur d'être jugé m'a obligé à commander une chope pour connaître le prix le plus avantageux au litre: je suis plus timide qu'alcoolique.
La terrasse est sympa («léger dégagement» sur le lac d'après moi; «panorama spectaculaire» d'après n'importe quel agent immobilier). Les clients aussi:
Pas de doute, nous sommes bien dans un bistrot de quartier.
Niveau bière, le record est amélioré: 12,4.- le litre de Feldschlösschen.
BIM, 12 balles le litre de Cardinal, et sous-gare, s'il vous plaît. Quelle enquête, quels rebondissements! Je me sens comme l'Elise Lucet de la binche.
Prends ça le cartel des mousses artisanales «lancées entre potes, parce qu'après l'École hôtelière on voulait vraiment faire un métier qui a du sens, quoi. Genre, amener du goût et surtout des émotions gustatives aux gens.»
Sinon, il n'y a personne aux Arcades, mais c'est normal parce qu'il est 15h56 et qu'il faut surtout y venir le soir pour manger une fondue.
Je tombe de haut: 12,20.- le litre.
Il faut savoir que le Fontenay était mon grand favori. À une époque (que vous n'avez peut-être pas connue) on pouvait y boire une chope à moins de 5 balles en s'intéressant aux derniers rebondissements de la vie privée de Michael Schumacher dans Le Matin.
C'est vous dire si ça remonte.
Si cette époque est révolue, il en reste des représentants: sur la (grande) terrasse, des habitués à la retraite évoquent (pêle-mêle): les restos du Gros-de-Vaud où manger des tartares; les couteaux suisses; et, je cite, «Face de bouc».
L'accent est à couper au couteau, et les dialogues semblent écrits par Audiard: «Ça c'est des cigares qui te font rentrer la chemise dans la raie» (aucune idée de la signification de cette expression). Bref, pour 40 centimes de plus, le voyage dans le temps peut valoir la peine.
Après tout ça, je me suis encore déplacé jusqu'à un café qui était fermé pour cause de vacances. Puis, il y a eu un restaurant désormais remplacé par le trou prévu pour le parking souterrain d'un immeuble en construction (faites des sites internet, putain!).
Il est 17h40, je repose mes jambes (en coton) sur la terrasse d'un bar bobo du centre: cartes de crédit acceptées; bières artisanales chères; pas de Tactilo.
Comme après un voyage en Inde, je me sens transformé: «Mais au fond, est-ce que la bière la moins chère ne serait pas la plus simple? Une Prix Garantie tiède avec un inconnu, sur un banc. Allez, partons vers l'aventure. Le destin et le hasard seront nos serveurs, l'horizon sera notre terrasse!»
(Je déconne, c'est quand même mieux quand la bière est fraîche et qu'on nous l'amène.)
Santé.