Divertissement
Montreux Jazz Festival

Cette nouveauté du Montreux Jazz aurait dû être détestable

Cette nouveauté du Montreux Jazz aurait dû être détestable

Le Lido, toute fraîche trouvaille food du MJF, dégaine crânement ses crudo de gambero rosso et sucrines grillées au tahini noir, entre des baskets Chanel trop blanches et Lionel Richie sur la Scène du Lac. On a (évidemment) traîné nos papilles sur ce patio bobo azuré. Immersion.
13.07.2025, 07:2013.07.2025, 07:20
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Pendant deux semaines, on vous expose notre regard, souvent cynique, parfois euphorique d'un festivalier privilégié; nos coups de cœur et nos péripéties teintées de gueule de bois et de crise de foie.

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Si vous votez très à gauche, passez votre chemin (même en vélo cargo). Car le nouveau patio du Montreux Jazz Festival n’a rien d’une cahute où l’on fait griller un carré de tofu sur une tige de bois d’arbre en pleine conscience.

Ici, on fait la queue et quelques battements de cil pour avoir l’honneur d’y poser son popotin tout propre de festivalier sur bitume. Tout ça pour avaler quelques petits plats dans l’air du temps, ceux que l’on ne trouve pas dans le stand de curry d’à côté. Chic, mais décontracté. Elégant, mais tendance. Cher, mais pas non plus Versailles.

Bref, le MJF, quoi.

Et c’est précisément parce que le Lido a déployé ses atours azzurri sur les rives cossues du festival le plus coquet d’Europe, qu’on a dû se faire violence pour ne pas le détester très fort. Au début. Par principe. On peut dire ce qu’on veut, ils savent y faire les héritiers de Claude Nobs. Avec eux, tout paraît simple. On dirait un iPhone. En termes d’inventivité, d’efficacité et de crânerie estivale, le Montreux Jazz, c’est la ville de Zurich. Impressionnant et agaçant à la fois.

Jeudi soir, on décide donc de s’approcher de ce nouveau nid qui ambitionne d’aguicher une foule en pétard contre la crêpe jambon-fromage-oeuf. On est confiant. Au pied des petits escaliers qui mènent au Lido, tout est déjà (un peu trop) beau. Le menu qui trône sur la devanture, la décoration, la vue sur le lac, le mobilier, le sol, le personnel, la playlist électro-lounge.

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image: watson

Même le petit bar du même nom, lové tout à côté, fait le pari de nous catapulter à Portofino en un seul Spritz.

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«Bonjour Madame, il fallait réserver il y a six mois ou vous auriez encore un coin de table qui traîne pour un affamé?»
Nous.

Au comptoir d’accueil, de grosses gouttes perlent sur notre front et pas seulement parce que le soleil force le trait. En jetant un coup d’oeil à la salle à manger, puis un autre sur le registre des réservations, on se prépare déjà à devoir se rabattre péniblement sur un vulgaire burger.

L’employée nous confirme, amusée, que la terrasse est déjà victime de son succès: «Bougez pas, on va trouver une solution». Alors qu’elle dissèque ses plans de table sans calculatrice, tout en plaçant avec souplesse un couple qui avait eu l’intelligence de réserver, on comprend que le Lido est beaucoup plus dégourdi que bon nombre de bistro-gastro-bobo qui poussent dans les villes, à la vitesse d’un compte Instagram.

Alléluia. Une table se libère.

Mais à une condition: nous avons quarante minutes pour avaler nos désirs, avant de les digérer sur les quais, entourés de pantacourts. Chiche?

Nous sommes enfin assis. Les serveurs sont nombreux, affables et très réveillés. Les plats dansent autour des grappes de clients comme si le Lido était là depuis dix ans.

Cette nouveauté du Montreux Jazz aurait pu être détestable
C’est beau, non?image: watson

On commande un Negroni (quoi d’autre?) et un verre d’eau (qui ne retrouvera son chemin qu’en fin de repas). A la table d’à côté, des baskets Chanel, des effluves british et des bracelets jaunes fluo, offrant à leurs propriétaires le droit d’aller applaudir Lionel Richie, à deux pas et dans deux heures. Tout cela est affreusement cohérent.

Face à nous, le lac.

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Image: watson

Pour la ripaille, on aurait pu se jeter sur le steak de thon rouge et ses sucrines grillées. Ou l’intimidante côte de veau, rare et casse-gueule dans les restos (surtout quand on veut bien faire). Mais c’est le carpaccio de boeuf et sa truffe d’été qui va déflorer notre appétit.

Un choix qui va s'avérer judicieux. Le boeuf est d’une fraîcheur visible à l’oeil nu, les tranches sont aussi fines que notre pouvoir d’achat, il y a de la truffe en supériorité numérique, quelques oignons rouges accueillis avec entrain et, of course, la roquette de circonstance.

Pas de pain pour saucer le reste de calories liquides? Tant pis.

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Ambitieux, on enchaînera sans honte avec la petite star de notre époque: le lobster roll. Ici, soyons francs, c’est sa garniture qui nous fait de l’oeil: estragon, fenouil, céleri, citron confit, accompagné de son imposant crackers à l’encre de seiche.

(On reprendra notre sèche demain.)

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images: watson

Pas de mayo «créative» déversée de manière déraisonnable sur le dessus, une brioche qui croustille là où elle doit et une chair de mer en quantité intelligente. Last but not least, la chips de seiche, malgré sa tronche de bactérie mortelle, embourgeoise l’assiette avec malice, comme un bouquin de la Pléiade sur une bibliothèque Ikea.

Bref, le homard m’a tuer.

Tandis qu’une large tablée déboule non loin (oui, eux aussi ont réservé) et que la file s’allonge devant cette nouvelle terrasse, on prend conscience qu’il nous reste à peine 12 minutes avant d’être poliment éjecté de notre petit cocon culinaire pour citadins privilégiés.

Expresso? Dessert?

Les deux, mon capitaine! Et en même temps.

Plus précisément, un affogato. Cette spécialité italienne qui consiste à dévorer une boule de glace avec suffisamment d’impétuosité pour qu’elle ne fonde pas sous les assauts d’un café qui, lui, doit rester tiède.

Le dilemme est insoutenable.

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Hélas, la bestiole a sans doute traîné plus que de raison sur le comptoir, car tout est arrivé aussi froid qu’un videur de boîte de nuit. Lot de consolation, notre verre d’eau, commandé 36 minutes plus tôt, fait une surprenante apparition, alors que l’on avait carrément abandonné le concept de nous hydrater.

En deux minutes chrono, il nous faudra encore payer, sourire, remercier et dégager le plancher. Comme lors de tous les enchaînements précédents, la transaction se montrera aussi efficace et agréable que la serveuse.

Emballé c’est pesé, comme on dit.

Verdict?

On y reviendra. Même s’il nous reste qu’une petite semaine pour (peut-être) juger durement la côte de veau à 64 balles. Le Montreux Jazz Festival se terminant le 19, le Lido fera ses bagages au même rythme. Et si on n’a pas maudit bruyamment ce nouvel écrin monté en deux-deux, c’est d’abord parce qu’il est éphémère.

Aujourd’hui, on n’ouvre plus vraiment un restaurant comme le faisaient nos grands-parents. Avec le cœur à l’ouvrage et à la merci du moindre AVC. Les institutions meurent les une après les autres, laissant leur place à des bistros lacérés par les concepts et dont la durée de vie dépasse rarement celui d’un smartphone.

Les tenanciers sont souvent de jeunes serial entrepreneurs capables de faire pousser un Italien, un Vietnamien ou un Grec en moins de temps qu’il n’en faut à une pâte à pizza pour monter. Un peu de déco et un cuistot de circonstance, une carte maligne, une présence en ligne agressive et décontractée et, hop, l’affaire est pliée.

Le resto décède? On en lancera un autre, sans avoir à sécher les larmes familiales.

On vous voit venir. Oui, cette nouvelle terrasse, concoctée par la société Fud Läb, spécialisée dans «l’événementiel culinaire», coche théoriquement toutes ces cases (restez avec nous, il y a une bonne nouvelle).

A la différence près que le service et la bouffe sont irréprochables. Si nos restos trendy des villes mériteraient parfois une plus grande attention en salle et au-dessus des casseroles (du moins autant que sur Instagram), l’ADN du MJF est idéal pour ce type de concepts, surtout de cette qualité et de concert avec la clientèle et les réflexes alimentaires contemporains.

Les deux patrons de la société ont manifestement tout compris: «Dans les fêtes ou les manifestations ponctuelles en Suisse, on s’est aperçus qu’on soigne la scénographie, le décor. Mais la nourriture reste souvent des aliments traiteur de maigre qualité», avouaient-ils dans 24 Heures, il y a quelques jours.

Ce qui aurait dû être détestable s’est finalement transformé en un chouette moment. On est même à deux doigts de leur suggérer de faire un peu d’ordre dans les trop nombreux «street food festival» de la planète, tiens.

Well done, Montreux.

On vous laisse avec la douloureuse.

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