Pour l'écrivain italien Roberto Saviano, ça ne fait aucun doute: «la conquête talibane de l'Afghanistan ne marque pas la victoire de l'islamisme, mais de l'héroïne», écrit-il dans une tribune riche en punchlines publiée mercredi sur le Corriere della Sera.
«Il serait erroné d'appeler les talibans des miliciens islamistes», poursuit celui qui vit sous protection policière depuis la publication de ses enquêtes sur la mafia: «Avec les narcos sud-américains, ils sont les trafiquants de drogue les plus puissants au monde».
Bien que formulés de façon provocatrice, les propos de Saviano sont solidement confirmés par les chiffres publiés par l'Office des Nations unies contre les drogues et le crime (UNODC).
Voilà donc pour les chiffres. Mais quel est le rapport avec les talibans? «Le commerce de l'opium afghan est l'une des principales sources de revenus de ce mouvement islamiste», explique à Reuters Cesar Gudes, chef du bureau de Kaboul de l'UNODC.
Concrètement, la drogue permet aux talibans de financer leur guerre. Et ça rapporte gros: Plus de 400 millions de dollars entre 2018 et 2019, selon les chiffres de l'ONU. Jusqu'à 60% de leurs revenus annuels proviendraient de cette source.
Utiliser la drogue pour financer la lutte armée n'est pas une nouveauté. Il s'agit au contraire d'un élément étroitement lié à l'histoire récente de l'Afghanistan.
Tout commence pendant les années 1980, c'est-à-dire avant la naissance des talibans: les chefs tribaux afghans, alors en guerre contre l'armée soviétique, cultivent le pavot pour sponsoriser leur résistance. Une fois arrivés au pouvoir, en 1996, les talibans reprennent le flambeau. Ils n'ont d'ailleurs pas le choix: Le pays est coupé de l'économie mondiale.
Très rentable, ce commerce les met toutefois dans une situation délicate: adeptes de la loi islamique la plus rigoriste, les talibans devraient interdire la cultivation de l'opium, considéré comme un vice. Problème: Elle fait vivre des milliers de familles paysannes. En l'interdisant, ils risquent de perdre leur soutien dans les campagnes.
La solution est simple: Le Coran interdit l'opium, affirment les talibans. Par contre, si le pavot est produit pour les infidèles, cela ne leur pose aucun problème. Même mieux: L'exportation d'opium et d'héroïne pourrit la jeunesse occidentale, comme le rappelait récemment le spécialiste des mouvements djihadistes Gilles Kepel.
Malgré les menaces que cela soulève, ce commerce illégal est rarement mentionné en public par les puissances occidentales. Ce qui ne veut pas dire qu'elles ne cherchent pas à l'éradiquer.
Entre 2002 et 2017, les Etats-Unis ont dépensé pas moins de 8 milliards de dollars pour tenter de priver les talibans de cette source de revenus, explique Reuters.
Ces efforts à coups de frappes aériennes et de programmes de cultures alternatives n'ont pas eu l'effet espéré. Au contraire, ils ont fait le jeu des talibans, en attisant la colère des paysans contre le gouvernement de Kaboul.
Que va-t-il se passer maintenant? Avec la prise de pouvoir des talibans, il est probable que la culture du pavot continue de prospérer.