Twitter est géré par une armée d'algorithmes. Musk souhaite rendre transparents ceux-ci, en procédant à de l'«open source». Tout d'abord, quel est le fonctionnement brut de ces fameux algorithmes?
Olivier Glassey: Le fonctionnement des algorithmes, qui hiérarchisent les informations visibles sur notre fil d'actualité, est gardé secret, comme la recette d'une entreprise. Ce sont des choses qui sont tues et qui évoluent sans cesse. C'est un secret de fabrication que les sociétés de la tech ne veulent surtout pas partager. Pourquoi? Parce que ça leur donne un avantage et les rend compétitives. Et l'autre raison, parce qu'elles ne désirent pas que des utilisateurs jouent avec le système et ne décryptent la base de l'algorithme, pour trouver des techniques afin d'optimiser leur visibilité.
C'est une philosophie totalement différente des pratiques actuelles de la Silicon Valley.
Est-ce possible de mettre cette idée en application et n'est-ce pas dangereux pour Twitter?
Il y a des partisans de cette idée. L'avantage, c'est la transparence et la multiplication des personnes qui ont la capacité de contrôler ce qu'il se trame sur la plateforme. Mais est-ce une bonne chose que beaucoup d'individus puissent observer ce que font les autres et maintenir un contrôle mutuel? Personnellement, je ne sais pas si c'est une garantie absolue, ça ne résout pas tous les problèmes.
Le point de départ serait transparent pour tout le monde - enfin pour ceux qui parviennent à lire l'algorithme, parce qu'il ne faut pas omettre cette dimension du problème. Il est difficile de se faire une idée précise de cet algorithme. D'après ce que l'on sait, il s’agit d’un système complexe de règles qui prennent en compte un très large éventail de variables dont la pondération évolue sans cesse. Ce sera sans doute un travail à plein temps pour tout analyser, même en «open source».
Après le rachat, après un déferlement de messages de boycott, pensez-vous à un exode des utilisateurs de Twitter?
C'est difficile à évaluer maintenant. Il ne faut pas oublier, de nombreux utilisateurs sont heureux de voir le milliardaire débarquer dans le paquebot du réseau social. Twitter appartenait à plusieurs groupes dont on ignorait en fait les motivations. Donc, pour certains, il y a désormais l’avantage d’une responsabilité incarnée par un individu. Sans doute qu’un grand nombre d'abonnés attend de voir comment, concrètement, Musk désire simplifier le réseau. Peut-être aussi que son arrivée, avec l’allègement de certaines règles, va ramener des personnes, notamment celles qui avaient été exclues et avaient migré sur Telegram ou ailleurs. Et effectivement, il y a des gens qui s'interrogent sur les idées de l'entrepreneur.
Selon moi, c'est à l'aune de ces nombreuses questions que des personnes vont vouloir éventuellement reconsidérer leur présence sur Twitter.
Mais selon vous, ce rachat est-il positif ou négatif?
Jusqu'à maintenant, il a fait des déclarations assez générales, comme sa volonté de promouvoir la liberté d'expression. Ce ne sont que des paroles, mais la question est: comment va-t-il s'y prendre pour traduire son programme dans des fonctionnalités? Les collaborateurs dont la mission est la modération des contenus sur la plateforme se rendent compte de l'énorme ampleur que représente leur travail. Ils sont sceptiques : comment la simplicité des idées proposées par le PDG de Tesla va-t-elle se trouver confrontée à la réalité des pratiques? Ils sont nombreux à l'attendre au tournant – ce qui n'est pas forcément mon cas –, mais je reste assez interrogatif par rapport à la manière dont il pourrait traduire son projet face aux responsabilités d'un réseau qui compte plusieurs centaines de millions d'utilisateurs – et qui est sommé de prendre en charge la complexité du monde. La « première génération» des réseaux sociaux avait très peu de contraintes à respecter, mais nos sociétés ont changé, elles ont des attentes et des règles dans ce domaine.
Musk est sans doute un peu nostalgique du début des réseaux sociaux, quand la société ne savait pas comment appréhender ces objets. Mais est-ce que la société le laissera faire, au-delà des gens qui sont sur Twitter? Comme l'a déjà rappelé officiellement la Communauté européenne à l’annonce de l’opération de rachat : peu importe le propriétaire, même le Twitter d’Elon Musk devra se plier aux règles de l’UE.
Est-il dans une inspiration digne de Mark Zuckerberg et des débuts de Facebook?
Il veut laisser son empreinte comme dans d’autres domaines. Par contre, il aura sans doute envie de regoûter à cette liberté d'internet du début du web 2.0. A mon avis, il souhaite retrouver ça, élaguer, alléger la complexité de ce système pour retrouver des règles plus simples, plus transparentes. Mais sa vision n'est accessible qu'à partir de messages épars; il n'a jamais publié de programme détaillé.
By “free speech”, I simply mean that which matches the law.
— Elon Musk (@elonmusk) April 26, 2022
I am against censorship that goes far beyond the law.
If people want less free speech, they will ask government to pass laws to that effect.
Therefore, going beyond the law is contrary to the will of the people.
Un peu comme un dieu vivant?
Je n'irai pas jusque-là, mais il intervient un peu comme un deus ex machina. Fort de ses capacités financières, il est attendu de tout le monde, supporters comme détracteurs. Mais surtout, comment va-t-il équilibrer ses intérêts personnels et l'intérêt qu'il prétend défendre du collectif de tous les utilisateurs de Twitter? Avec quelle forme de gouvernance prendra-t-il des décisions pour cette plateforme? La tentation est sans doute grande pour lui, souvent convaincu d’avoir raison avant les autres, de vouloir créer un Twitter à son image, sans forcément tenir compte de l’avis de la communauté.
En parlant de ses intérêts personnels, en qualité d'entrepreneur, ce rachat ne serait pas la porte ouverte à la Chine?
L'une des premières personnes à avoir glissé cette question, c'est Jeff Bezos qui s’est d’ailleurs un peu rétracté par la suite. Ces deux ont un long contentieux entre eux, mais c'est une autre histoire. A ce stade ce ne sont que des spéculations gratuites et je n'ai aucun avis là-dessus. Évidemment, de par sa position de pouvoir au sein d’un titanesque réseau d’influence, il sera suspecté en permanence de tout.
Pensez-vous qu'Elon Musk, avec ce rachat, a lancé une nouvelle ère pour les réseaux sociaux?
Il n'est pas si original que ça, selon moi.
C'est-à-dire qu'il souhaite que l'information circule avec le moins de contraintes possibles. Cela implique pour lui de réduire au minimum les règles tout en ayant pour l’instant peu de recul sur la faisabilité légale ou les conséquences néfastes de cette option minimaliste. Cette simplification passe par d’autres actions comme, par exemple, par la suppression les bots très présents sur Twitter. Après, il y a d'autres options discutées, comme la modification du message ou la mise en place d'options tarifaires pour certaines fonctionnalités. Faut-il rappeler que Twitter gagne très peu d'argent et en a beaucoup perdu. Va-t-il souhaiter en faire une source de profit, mais quelles seront alors les options que les usagers jugeront acceptables? Encore une fois, ce sont des questions qui restent ouvertes au moment où on parle.