Au commencement, il y a un juge entêté. Une employée revancharde. Une stagiaire amoureuse. Et un président acculé.
En ce jour de février 1997, le procureur Kenneth Starr est obligé d'admettre qu'il a fait chou blanc. Son enquête sur un supposé scandale immobilier autour du couple Clinton n'a rien donné. Trois ans d'enquête, une équipe de 100 personnes et 36 millions de dollars du contribuable dépensés. Pour rien.
Faute d'investissements immobiliers crapuleux, le juge conservateur compte épingler Bill Clinton pour sa morale - ou plutôt, son manque de morale - en matière de mœurs. Kenneth Starr sait que le 42e président des Etats-Unis est accusé par d'anciennes collaboratrices de harcèlement sexuel. L'une d'elles s'appelle Paula Corbin Jones. Et cette Mrs. Jones a une amie: Linda Tripp, employée du Pentagone.
Quand Bill Clinton est investi président des Etats-Unis, quelques années plus tôt, Linda Tripp est déjà employée à la Maison-Blanche. Si c'est en son sein qu'elle gravit les échelons et obtient un poste convoité aux relations publiques du Pentagone, la fonctionnaire n'en nourrit pas moins une haine tenace à l'égard de l'administration Clinton.
C'est au Pentagone qu'elle rencontre Monica Lewinsky. La femme qui donnera, bien malgré elle, son patronyme à l'un des plus grands scandales ayant éclaboussé la politique américaine.
Fraîchement diplômée en psychologie, la jolie noiraude de 22 ans décroche un stage d'été à Washington en juillet 1995, par l'entremise d'un ami de la famille. Son job se résume alors aux photocopies, au standard téléphonique, à la transmission des documents et à la livraison de pizzas au chef de l'Etat.
Sa présence trop fréquente autour du Bureau ovale inquiète les conseillers du président. A raison. Entre novembre 1995 et mars 1997, ils entretiennent une liaison sporadique, au cours de laquelle on dénombrera une dizaine de rapports sexuels. Par crainte d'un scandale qui pourrait coûter à Clinton sa réélection, sa maîtresse est mise à l'écart et transférée au Pentagone.
Pour protéger son amant, la jeune femme a déjà menti. C'était en 1996, dans le cadre d'une enquête pour harcèlement sexuel visant Bill Clinton, le «Troopergate». Face à la Cour suprême, Monica jure et se parjure, en affirmant n'avoir jamais échangé quelques rapports physiques que ce soit.
Si la jeune femme a tenu bon face aux juges, elle finit malgré tout par se confier à la mauvaise personne: Linda Tripp. Elle ignore alors que sa collègue a pris soin d'enregistrer leurs coups de fil. Pas moins de 22 heures de conversation qui évoquent sans détour l'impensable liaison. La collègue revancharde se fera un plaisir de les transmettre au juge Kenneth Starr. De cette relation, Linda Tripp a également convaincu Monica Lewinsky de conserver des preuves matérielles. Parmi elles: la fameuse «robe bleue» entachée du sperme présidentiel.
La trahison est définitivement actée en janvier 1998, quand Linda Tripp donne rendez-vous à son amie Monica dans un hôtel. La jeune femme est cueillie par des agents du FBI et soumise à un interrogatoire de plusieurs heures.
Ce 17 janvier 1998, au tour de Bill Clinton de jurer, sous serment, ne jamais avoir eu la moindre «affaire sexuelle», «rapports sexuels» ou «relation sexuelle» que ce soit avec Monica Lewinsky. Trois jours plus tard, le 21 janvier, l'affaire est révélée au grand public dans les colonnes du Washington post. Scandale national.
Le 26 janvier 1998, au cours d'une conférence de presse à la Maison-Blanche, le président confirme et signe: non, il n'a jamais eu «de rapports sexuels avec cette femme, Mademoiselle Lewinsky». Une phrase qui restera dans les annales.
Bill Clinton ment. Un peu. Beaucoup. Il s'enfonce dans une défense maladroite, convaincu d’être victime d’une cabale politique. Ce qui n'est pas entièrement faux. Aux yeux des adversaires républicains, qu'importe si le Monicagate n'est qu'une liaison sexuelle entre deux adultes consentants. Il s'agit d'un acte aussi grave que ceux dont Nixon s'est rendu coupable lors du Watergate, en 1974.
A l’été 1998, alors que le pays tout entier n'a que le mot «fellation» à la bouche, Monica Lewinsky passe aux aveux. En échange de son immunité, elle livre au juge Starr des détails accablants. Et surtout, la célèbre robe bleue marine, dont les analyses confirment les traces du sperme.
De son côté, Bill Clinton désormais deuxième président des Etats-Unis à se retrouver menacé par une mise en accusation devant le Congrès (depuis Nixon), se livre à un nouvel acte de contrition télévisuel spectaculaire.
S'il se dit prêt à accepter les conséquences publiques de ses actes, le président ne va pas jusqu'à admettre avoir menti sous serment ni violé la loi. Pas de démission en vue. «Tout ce que je peux faire, c'est de continuer de servir le peuple américain», conclut-il en tournant le dos aux journalistes qui lui demandent s'il compte abandonner son poste.
En faisant son mea culpa devant les caméras de télévision du monde entier, le chef d'Etat espère s'épargner une mise à mort politique: l'impeachment.
Raté. La machine est lancée sitôt que le procureur Kenneth Starr pose son rapport d'enquête sur la table des membres du Congrès, le 11 septembre 1998: 445 pages, 60 000 pages d'annexes, autant de descriptions crues et de preuves accablantes.
Le «rapport Starr» est publié dès le lendemain sur internet, les médias se repaissent de ses détails graveleux.
Seuls quatre des quinze chefs d’inculpation invoqués par le procureur Kenneth Starr sont retenus par la commission judiciaire de la Chambre des représentants. Ils n'en restent pas moins lourds: obstruction à la justice, mensonge sous serment, abus de pouvoir et faux témoignage.
Au terme de semaines de débats autour de la définition exacte de «relations sexuelles», la condamnation n'est pas votée. Faute de majorité. Un an plus tard, après le début de la procédure de destitution, le Sénat finit par acquitter Bill Clinton.
Il quittera la Maison-Blanche dans les formes un mois plus tard, fort d'une popularité record. Quant à Monica Lewinsky, après un exil à Londres, elle est devenue une femme d'affaires prolifique et (presque) dépourvue de regrets. Les deux amants n'ont jamais repris contact.
Cet article a déjà été publié en janvier 2023