Commencé l'année dernière le 8 septembre, le plus long procès de l’histoire judiciaire française s’achève ce mercredi 29 juin. Dix mois d’audiences, entrecoupées par les interruptions d’usage et celles dues au Covid. Dix mois pour juger les complices présumés et l’unique survivant du commando auteur des attentats islamistes du 13 novembre 2015. La plus importante tuerie perpétrée en France métropolitaine depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale: 130 morts et 400 blessés. Paris et sa proche banlieue étaient frappées en plusieurs endroits: à Saint-Denis aux abords du Stade France, où la France disputait ce soir-là un match amical de football face à l’Allemagne, à des terrasses de cafés bondées et puis au Bataclan, en plein concert, où l’on dénombrera 90 morts.
Un procès hors normes: 20 accusés, sur lesquels 14 comparaissaient; 330 avocats; près de 1800 personnes constituées parties civiles; 141 médias accrédités; une salle d’audience principale de 500 personnes, tout exprès aménagée dans l’ancien Palais de justice de Paris.
149 jours d’audience, avec ses nombreux moments forts. En voici dix:
Jean-Louis Périès, le président de la cour d’assises composée de magistrats professionnels, ouvre le procès. Une première journée marquée par les provocations de Salah Abdeslam, seul survivant du commando de sept terroristes – sa ceinture explosive n’a pas explosé: «Tout d’abord je tiens à témoigner qu’il n’y a point de divinité à part Allah et que Mohammed est son messager», lance l'accusé.
«D’accord. Nous aurons l’occasion d’y revenir», répond Jean-Louis Périès, qui poursuit: noms du père et de la mère? «Leur nom n’a rien à faire ici», enchaîne Abdeslam. Profession? «J’ai délaissé ma profession pour devenir combattant de l’Etat islamique», poursuit-il sur le même ton. «J’avais noté “intérimaire”», rétorque le président, ironique.
Le premier policier à être entré dans le Bataclan, un commissaire de la Brigade anticriminalité (BAC), livre son témoignage. Accompagné de son coéquipier, il aperçoit des corps et voit Samy Amimour, l’un des trois terroristes ayant semé la mort dans la salle de spectacle: «J'entends une voix. C'est Samy Amimour. Il crie à un otage: "Couche-toi au sol". Pour nous, la réaction a été immédiate: c'était le seul survivant et il allait l'abattre.» Les deux policiers vont tirer à six reprises sur le terroriste. «Je dois ma vie à ce commissaire de la BAC», témoigne ce rescapé du Bataclan, auquel Amimour avait ordonné de se coucher.
Une jeune femme, rescapée du Carillon, l’un des quatre cafés mitraillés par les terroristes, prend la parole. Le soir du drame, elle était enceinte: «Quelqu’un a crié, "il a une kalach!" On s’est jeté au sol. Ça a tiré. Les gens assis sur le canapé ont été touchés. Mon compagnon était dehors. J’ai parlé à mon bébé dans mon ventre, en lui disant: "Je crois qu’on ne va peut-être être plus que deux."» Son conjoint s’en est sorti, abrité sous une table.
«Je suis née Iranienne, je suis une double rescapée. Mes parents ont fui l’Iran après la révolution de 1979 pour échapper aux exécutions des opposants», ajoute la jeune femme. Sa grand-mère a pu la ramener en France et elle parle de sa famille, «marquée par le fanatisme religieux. Et 33 ans après, les mêmes obscurantistes sont venus nous attaquer sur des terrasses, où l’on pensait simplement à s’amuser.»
L’ancien président de la République, François Hollande, en fonction au moment des attentats, raconte à la barre cette soirée «funeste». Il dit d’abord avoir rejoint le Stade de France pour assister au match France-Allemagne:
«Je n’avais pas prévu de m’y rendre (réd: au match), mais quand j’ai su que le ministre des Affaires étrangères allemand était présent, j’ai décidé de m’y rendre. Lorsque la première détonation a retenti, que les joueurs se sont arrêtés, surpris, j'ai pris conscience qu'il pouvait s'agir d'un attentat. A la deuxième explosion, je n'ai plus eu de doute. La cheffe de ma sécurité m’a prévenu qu’il y avait déjà un mort. J'ai attendu quelques minutes puis je me suis rendu au PC sécurité. Je prends la décision que le match doit se poursuivre et que tout doit être fait pour éviter la panique. Je reviens dans la tribune et demande au ministre allemand et au président de l'Assemblée nationale de rester. Je rejoins le ministre de l'Intérieur dans la cellule de sécurité.»
Le fait que son nom soit prononcé dans les revendications des terroristes l'a «fait réfléchir à [sa] propre responsabilité», dit François Hollande, à propos de l’engagement militaire de la France en Syrie et en Irak contre l’Etat islamique. Mais «je ferais exactement la même chose» aujourd'hui, assure alors l'ancien président français. «Je le dis devant les parties civiles qui souffrent, ceux qui ont perdu des êtres chers. C'est la France, nous le devions aux populations qui se faisaient massacrer.»
Interrompu le 17 décembre pour les fêtes de fin d’année, le procès, après une première partie dédiée aux témoignages des parties civiles, doit entendre les accusés. Mais plusieurs d’entre eux sont positifs au Covid, empêchant la tenue du procès, qui subit des retards. Au lieu de se terminer fin mai, il s’achèvera fin juin.
Salah Abdeslam est appelé à la barre pour raconter sa nuit du 13 novembre. Son audition s’annonce cruciale. Face au président de la cour et au ministère public, il fait valoir dans un premier temps son droit au silence. C’est une avocate des parties civiles qui le met subtilement au défi de parler. Il y consent. Il évoque sa relation avec sa «fiancée», les préparatifs avant les attentats. Et donne des explications sur sa ceinture explosive qui n’a explosé.
«Donc c’est là (réd: lorsque Salah Abdeslam dit avoir rencontré l’un des terroristes, Abdelhamid Abaaoud, le 12 novembre à Charleroi, en Belgique, la veille des attentats) que vous acceptez de porter une ceinture explosive? Une telle décision, ça se mûrit… Vous y aviez réfléchi ?», le teste l’avocate de la partie civile.
Le principal accusé du procès poursuit: «Le jour où j'ai abandonné cette ceinture, je l'ai mise dans un endroit où il y a peu de chances qu'elle soit retrouvée, manipulée, j'ai retiré le bouton poussoir et la pile parce que c'est ce qui permet de l'enclencher, même un enfant aurait pu la déclencher par accident et c'est pour ça que je l'ai enlevé, certainement pas pour enlever mes empreintes.»
Le doute demeure: Salah Abdeslam a-t-il réellement renoncé à actionner sa ceinture ou n'a-t-il survécu que parce que sa ceinture n’a pas fonctionné?
«Je voudrais dire aujourd'hui que cette histoire du 13-Novembre s'est écrite avec le sang des victimes. C'est leur histoire, et moi, j'en ai fait partie. Ils sont liés à moi et je suis lié à eux», déclare Salah Abdeslam, la voix tremblante. «Je veux présenter mes condoléances et mes excuses à toutes les victimes», poursuit-il. «Je vous demande de me pardonner.» «Je sais que la haine subsiste (...), je vous demande aujourd'hui de me détester avec modération.»
«Je pense qu'il était sincère», estime en aparté un rescapé des attaques, qui souligne cependant le caractère «paradoxal» de l’accusé, un djihadiste «pas fini» qui semble regretter ce qu'il a fait tout en étant incapable de condamner les actions du reste du commando ou du groupe Etat islamique.
Jesse Hughes, le chanteur du groupe américain Eagles of Death Metal, sur la scène du Bataclan le soir des attentats, témoigne: «Venant d'une communauté désertique en Floride, je connais le son des armes. J'ai reconnu que c'étaient des tirs», dit-il. «Je savais ce qui allait arriver, je sentais la mort se rapprocher de moi.» Avec émotion, il évoque sa difficile reconstruction et son sentiment de culpabilité, alors que 90 personnes venues voir son concert ont été tuées ce soir-là. «Je pense aux familles des victimes tous les jours», ajoute-t-il.
Des peines allant de cinq ans d'emprisonnement à la perpétuité incompressible ont été requises par le ministère public à l'encontre des vingt accusés. La perpétuité incompressible, plus lourde peine de l’arsenal judiciaire français, jusqu'ici seulement quatre fois prononcées, est demandée contre Salah Abdeslam. Des condamnations à perpétuité assorties d'une peine de sûreté de 22 ans sont requises contre trois autres accusés.
Place à la défense. Salah Abdeslam n'est «pas un psychopathe» et ne doit pas être condamné à «une peine de mort sociale», plaide son avocate, Me Olivia Ronen. De son côté, Me Orly Rezlan, l’avocate du Belge Mohamed Bakkali, qui passe pour le «logisticien» des attentats du 13-Novembre et qui aura préféré garder le silence au cours du procès, dont la condamnation encourue est la perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 22 ans, s’est adressée aux juges entre autres en ces termes: «Personne ne vous demande de faire ce qui n’a jamais été fait. Personne ne vous demande de briser les digues de l’Etat de droit. Je vous demande de faire un effort, celui de ne pas vous laisser glisser.»