«T'as l'air en forme, tu dors mieux?», «Pas mal ton PowerPoint, mais...», «T'as un peu minci, ça te réussit le crossfit.», «Tu vois quand tu veux!» Pour ne pas risquer de voir ces essaims de syllabes défoncer la cloison de l'hypocrisie, nous nous arrêtons là. Souvent. Surtout ne pas trop en faire, en dire, en offrir. De l'éloge sur un humain, c'est du parmesan sur les pâtes: en abuser, c'est vouloir étouffer ce qu'il y a en dessous. Couvrir son entrecôte de béarnaise ou son meilleur ami de pommade, c'est le même baratin. Oui, mardi 1er mars, c'était la Journée mondiale du compliment. Alors...
Et voilà. Je vous félicite (gratuitement), et ce mot censé abriter toute la quintessence du compliment nage soudain dans une mare infestée de cynisme. Que nous arrive-t-il?
Mais bravo à Poutine quand même, déneutraliser la Suisse c'est pas donné à tout le monde.
— Léa Stréliskyiv 💛💙 (@LeaStreliski) February 28, 2022
Un compliment apparaît souvent aussi suspect qu'un clin d'œil servi en même temps qu'un verre. Il y a forcément un truc dedans. Personne ne s'est jamais borné à jouir béatement d'un compliment en émettant des petits bruits d'autosatisfaction irritante avec la bouche. Il devrait n'y avoir aucun mystère dans une gratification désintéressée. Un bravo, c'est binaire. C'est simpliste. C'est même assez bête. Or, notre complexité légendaire accueille le compliment comme un bibelot sur la commode de nos fragilités: on ne sait pas trop quoi en foutre.
Et notre égo, souvent, termine le massacre (et démarre l'enquête):
Un compliment, c'est pas simplement du sucre sur une lasagne verte acidulée qui te pousse à défoncer le paquet en deux minutes. Certes, nous sommes des toxicos de l'attention, mais de pauvres versions beta, car infoutus d'apprendre à avaler de l'éloge sans le recracher. L’air un peu benêt. Peut-être aussi parce que le compliment, c'est d'abord une politesse armée jusqu'aux dents. Le politique en est d’ailleurs friand: flatter pour mieux fighter. Feindre pour mieux fendre.
Et puis, rien n'est foutrement beau dans un compliment. C'est salissant, collant, gênant. C'est même parfois aussi mal accueilli qu'une merde de pigeon sur une épaule qu'il faut nettoyer sans se saloper les doigts et avec la plus grande discrétion (pour ne pas crever de honte).
Il faut nous comprendre aussi. Un compliment nous rapproche d'un coup sec, sans échauffement ni consentement, d'une version fantasmée (mais forcément idéale) de nous-mêmes. Et quand on braque une douce lumière sur ce petit confetti de réussite personnelle, que penser du reste de notre carcasse, manifestement moins méritante?
En définitive, le compliment, tout le monde en rêve, mais personne ne saura jamais véritablement le maîtriser. (Comme le pouvoir ou la carbonara.)
Alors, pourquoi continuer à nous emmêler les louanges? Restons sobres et privilégions ce qu'on pourrait nommer ici le faux reproche. Plus humble et moins gras, plus digeste et plus intelligible, il permet de crémer l'autre de notre admiration, sans l'ensevelir d'un sentiment de flatterie inéluctable.
(Essayez pour voir.)