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«Après la guerre, ce séisme est venu assommer la Syrie»

Les organisations humanitaires s'inqui
La population syrienne est confrontée à une multitude de crises. Le point d'accès en Syrie permettant l'acheminement de l'aide humanitaire pourrait bien être menacé par la Russie au Conseil de sécurité de l'Organisation des nations unies (ONU). Image: sda

«Après la guerre et le choléra, ce séisme est venu assommer la Syrie»

Alors que le bilan des morts et des blessés à la suite des séismes ne cesse de s'aggraver en Turquie, la Syrie est confrontée à des problèmes d'ordre géopolitiques et militaires très spécifiques. Ces derniers sont susceptibles de faire barrage à l'aide humanitaire d'urgence.
11.02.2023, 11:4713.02.2023, 10:13
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Selon un bilan provisoire, les séismes qui ont secoué, lundi, la Turquie et la Syrie ont fait plus de 24 000 morts, dont 20 665 en Turquie, et 3500 en Syrie. Damas a demandé l'aide de la communauté internationale, mais les secours se heurtent aux difficultés creusées par un terrain miné par la guerre, qui dure depuis 2011. watson fait le point avec l'ONG Solidarités International, elle-même touchée par le séisme.

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photo: SI
Thomas Janny a commencé sa carrière dans l’humanitaire à la Croix-Rouge française, au Tchad. Après dix ans, il a rejoint une ONG médicale, occupant des postes de direction sur le terrain (Vietnam, Haiti, Irak). Il assure la coordination opérationnelle sur des crises humanitaires majeures (Ebola, bataille de Mossoul). Depuis 2019, il pilote l’ensemble des actions sur le Moyen-Orient pour Solidarités International.

watson: Les bureaux de votre ONG dans la ville syrienne d’Idlib ont été complètement détruits. Comment va votre équipe?
Thomas Janny: Nous avons deux bureaux dans le Nord-ouest syrien, qui ont été directement affectés par le tremblement de terre. Celui qui se situe dans le gouvernorat d’Idlib a été complètement détruit… Fort heureusement, personne n'était à l'office durant la nuit, nous n’avons pas de morts ou de blessés à déplorer dans nos équipes. Ça ne signifie pas que les collègues n'ont pas été très choqués, surtout dans les premières 24 heures. Certains ont perdu leur maison et ont dû trouver une solution d’urgence pour se reloger.

Les bureaux de Solidarités International, situés dans la ville d'Idlib, ont été complètement détruits.
Les bureaux de Solidarités International, situés dans la ville d'Idlib, ont été complètement détruits.photo: si

Même si c’est votre mission d’intervenir sur ce genre de drames, vos équipes ont dû tout de même être challengées…
Solidarités International est intervenue sur les séismes en Indonésie et au Sri Lanka en 2004 et 2005, et trois fois en Haïti en 2010 - avec plus de 200 000 morts -, en 2015 et plus récemment en 2021. Dans certains cas, comme en Syrie, nous étions nous-mêmes sur place. Le défi est majeur; nous sommes à la fois affectés, et conduits par l’impératif d’aider les personnes touchées.

La zone syrienne touchée est aux mains de différents groupes, ce qui semble grandement complexifier la situation.
En effet. Aujourd’hui la Syrie est divisée en quatre. Il y a une zone gouvernementale, tenue par le régime de Damas et Bachar al-Assad. Il y a une zone qu’on appelle le Nord-est syrien, qui est sous gestion d’une autorité kurde. Et puis il y a cette zone du nord-ouest, où des groupes rebelles affiliés à la Turquie sont actifs. La ville d'Idlib et ses alentours sont tenus par un groupe qu’on appelle HTS, Hayat Tahrir al-Cham (réd: ex-branche syrienne d'Al-Qaïda). La première et les deux dernières zones ont été particulièrement touchées par le séisme. Comme vous le voyez, la situation géopolitique est extrêmement compliquée, avec des lignes de front et des affrontements qui durent depuis des années.

Les troupes gouvernementales auraient bombardé une ville touchée par le tremblement de terre. Comment la situation géopolitique complique-t-elle le travail des secouristes en Syrie?
Malheureusement, sur les lignes de front, entre zones gouvernementales et zones rebelles, l’activité militaire est quasiment continue depuis des années.

«Manifestement, la désolation entraînée par le séisme sur ces zones ne va pas changer les objectifs géopolitiques et militaires des différents groupes sur place»

Les conditions de vie d’une partie de la population étaient déjà plus que précaires.
Dans le nord-ouest de la Syrie, les conditions de vie étaient déjà catastrophiques, en effet. C’est une zone où vivent plus de deux millions de multi-déplacés. C’est-à-dire que, depuis 2011, les gens ont été déplacés par la guerre, les combats et l’absence de futur, à l'intérieur même du pays. Ils partagent désormais des zones avec d’autres populations locales et se retrouvent avec d’immenses besoins en assistance humanitaire. En plus de cela, depuis la fin de l’année dernière, il y a une épidémie de choléra qui s’est propagée au sein de cette population qui a un accès très restreint à la santé.

La Syrie subit un enchaînement dramatique de crises humanitaires et peine à relever la tête.
Le séisme est venu assommer la population syrienne, déjà très démunie. On parle d’une population vulnérable qui est déplacée, vit déjà dans des conditions déplorables, et qui est confrontée à une épidémie de choléra. Et là-dessus se greffe un tremblement de terre dévastateur, dans une saison extrêmement difficile comme l’hiver. Deux jours avant le séisme, notre équipe était confrontée à des températures négatives et des tempêtes de neige. Rajoutez encore le fait que les capacités de soins sont très faibles dans la zone du nord-ouest (réd : de nombreux hôpitaux ont fermé depuis 2020 en raison d’un manque de fonds).

Les prévisions météorologiques sont alarmantes pour la fin de semaine. Comment l'analysez-vous?
Oui, l’hiver y est extrêmement rigoureux. Rien de nouveau par rapport à l’année dernière, mais les intempéries tombent pile au moment où les gens ont perdu leur abri. Et pour ceux qui ont encore un logement, la peur d’y retourner ne les quitte pas.

«Le séisme a plongé les gens dans un état de sidération et de peur profonde»

Ceux ayant plus de ressources peuvent trouver refuge dans leur voiture, mais pour beaucoup - les plus démunis - ils se retrouvent sans rien, dans le froid glacial.

Quelles sont les priorités dans ces cas-là, en matière de réponse humanitaire ?
Solidarités International intervient dans des camps de déplacés internes. Nous concentrons nos activités en premier lieu sur la fourniture d’abris, de chauffage, de fuel, de couvertures, de matelas, et bien entendu de nourriture. A moyen terme, nous comptons soutenir l'approvisionnement en eau, et renforcer l’assainissement – un toit ne suffit pas, il faut également que l’eau, les toilettes, bref, que les besoins de base, soient assurés.

L’aide en provenance de l’étranger, médicaments et aliments, peut-elle arriver correctement à destination des personnes qui en ont besoin?
La question de l’accès est primordiale. Le contexte syrien, avec ses enjeux géopolitiques, économiques, militaires, est très complexe.

«La délivrance de l’aide humanitaire dépend des groupes armés qui contrôlent les différentes zones»

Aujourd’hui, on arrive à accéder à ces zones en passant par la Turquie. A l’heure où les besoins humanitaires sont aussi énormes, il est impératif que cet accès reste ouvert.

Qui pourrait fermer ces accès?
Sur l’accès du nord-ouest, il s’agit d’une frontière entre la Turquie et une partie de la Syrie qui est tenue par des groupes rebelles. Donc ce pourrait être une décision turque. Bien avant le séisme, la question des points de passage transfrontaliers était déjà au cœur des négociations. Pour l’heure, l’aide internationale n’afflue que par un seul point garanti par l'ONU, le corridor de Bab Al-Hawa. Ce point permet une intervention légale au regard du droit international, en faisant du transfrontalier, c’est-à-dire sans passer par Damas.

Des camions transportant du matériel d'aide après avoir traversé le poste frontière de Bab al-Hawa à la frontière syro-turque, dans le gouvernorat d'Idlib, en Syrie, le 10 janvier 2023
Des camions transportant du matériel d'aide après avoir traversé le poste-frontière de Bab al-Hawa à la frontière syro-turque, dans le gouvernorat d'Idlib, le 10 janvier 2023.Image: sda
Le passage de Bab al-Hawa à la frontière entre la Turquie et la Syrie.
La quasi-totalité de l'aide humanitaire dans ces zones rebelles est acheminée depuis la Turquie via le corridor Bab Al-Hawa, unique point de passage sur la frontière entre la Turquie et la Syrie. Ce dernier a été touché par le séisme, isolant pendant quelques jours le nord-ouest du pays.Image: Arte

Ce point de passage est-il en danger?
Il y a des discussions depuis des années au Conseil de sécurité des Nations unies. Les premières résolutions concernant ces corridors humanitaires ont été votées en 2014.

«De quatre points de passage, on est passé à un seul. C’est le dernier qu’il nous reste»

Il a été renouvelé jusqu’en juillet 2023, il y a de cela un petit mois - son autorisation aurait dû expirer en janvier 2023. On peut donc compter sur le fait que ce point de passage restera ouvert. Mais il a été endommagé par le tremblement de terre, et était inutilisable pendant quelques jours, isolant les zones en besoin. Il devrait rouvrir dans les jours qui viennent, mais cela reste à confirmer.

Pourquoi le Conseil de sécurité ne défend-il pas mieux ces points de passage?
On le sait, il y a une opposition de la part de la Russie au Conseil de sécurité des Nations unies. Le Kremlin est un allié de la Syrie sur ce dossier-là (réd: le 30 septembre 2015, la Russie a déclenché une intervention en Syrie, en soutien au régime de Bachar el-Assad). A moyen terme, l’enjeu est immense pour les ONG internationales, qui souhaitent s’assurer que le point de passage reste ouvert après juillet afin de pouvoir continuer d’apporter de l’aide.

«Mais la Russie pourrait bien opposer son veto à la résolution. S’il y a veto, le point de passage fermera»

Auquel cas les capacités d’acheminer des biens et du personnel pour l’aide humanitaire s’amenuiseront drastiquement.

Le séisme qui a frappé la Turquie et la Syrie en images
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Un séisme fait plus de 500 morts en Turquie et en Syrie
Video: watson
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