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Ukraine: Interview de Maxime, combattant parti faire la guerre

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Maxime, combattant étranger en Ukraine: «On opère devant la 1ʳᵉ ligne»

Maxime Barrat, en lunettes de soleil, assis sur le véhicule, avec les Dark Angels.
Maxime Barrat, en lunettes de soleil, assis sur le véhicule, avec les Dark Angels.image: maxime barrat
Dans les jours qui ont suivi le début du conflit, plus de 20 000 étrangers se sont portés volontaires pour se battre pour l'Ukraine. Le Français Maxime Barrat était parmi eux. Profitant d'une période de repos, il nous a livré son témoignage. Grande interview.
24.10.2022, 06:0717.04.2023, 09:08
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Le départ, le voyage et les problèmes légaux

Quand avez-vous décidé de partir en Ukraine?
Maxime Barrat: Le jour où le président Zelensky a fait son appel à la télévision, demandant aux combattants aguerris de tous les pays de rejoindre l'Ukraine. Je suivais déjà le conflit depuis un petit moment et ce discours a été l'élément déclencheur. J'ai mis trois jours pour réunir mes affaires et quatre jours après, j'étais en Ukraine. J'ai passé la frontière le 6 mars et, depuis, je ne suis plus rentré.

Est-ce que se rendre en Ukraine a été compliqué?
Absolument pas, ça a été super facile. Depuis Marseille, où j'habitais, j'ai voyagé en Flixbus jusqu'en Pologne. Une fois arrivé là-bas, j'ai pris un autre bus qui m'a conduit à Lviv. J'ai passé la frontière tranquillement, sans aucun souci.

Pourquoi êtes-vous parti?
Je voulais me battre pour la liberté du peuple ukrainien. Une agression d'une telle ampleur n'est plus acceptable de nos jours. Ce n'était pas une première pour moi: en 2015, je me suis engagé aux côtés des Kurdes dans leur combat contre l'Etat islamique en Syrie et en Irak.

Comment avez-vous rejoint les gens qui se battaient?
Ça a été simple, au début. En Pologne, j'ai rejoint des copains que je connaissais depuis la Syrie. L'un d'eux avait déjà combattu avec les forces ukrainiennes pendant trois ans et avait gardé pas mal de contacts. On a donc rejoint son ancien commandant de section, à Lviv. Quelques jours plus tard on est parti pour Odessa. On a signé quelques papiers, on nous a donné de l'équipement, des armes et des munitions.

«Dans la journée on est parti pour Mykolaïv et le soir même on était déjà en train de combattre»

On est resté dans cette zone pendant un mois, qui a été très dur. Des gens sont repartis, ils étaient totalement lessivés.

Et après ce premier mois?
La situation est devenue plus compliquée. On s'est rendu compte qu'on n'avait pas de contrat, que ce que nous faisions n'était par conséquent pas très légal. De surcroît, on n'était pas payés et on ne nous fournissait aucun équipement. Il faut savoir que je n'avais même pas un couteau sur moi quand j'ai rejoint l'Ukraine: suite à mon expérience en Syrie, j'ai eu quelques démêlés avec la justice. Rien de méchant, mais j'étais toujours un peu plus surveillé que les personnes lambda, du coup j'ai juste pris des vêtements thermiques de sport.

Sur le terrain.
Sur le terrain.Image: maxime barrat

Qu'avez-vous fait alors?
Avec deux autres Français, on s'est rendu à Kiev pour demander notre contrat auprès de la légion internationale. Mais les choses se sont très mal passées pour moi là-bas.

Pourquoi?
L'ambiance était très mauvaise. Il n'y avait pas de programme de la journée, les gens étaient là à ne rien faire, certains étaient bourrés, un gars a fait une overdose de morphine, des armes ont été volées... Si bien que je me suis dit: «Ce n'est pas pour moi, je m'en vais.» De plus, j'ai découvert que le colonel du bataillon dans lequel j'étais était pourri jusqu'à la moelle. Il a fait partie de la mafia en Pologne et de pas mal de trucs dégueulasses... Bref, j'ai bien fait de partir. Et c'est à ce moment-là que je suis entré en contact avec les Dark Angels, un groupe d'étrangers créé par l'Anglais Daniel Burke. On a lancé des opérations dans le sud de l'Ukraine pendant quelque temps.

C'est avec eux que vous avez détruit un blindé russe avec un lance-missiles Javelin, c'est correct? La vidéo a beaucoup circulé.
Oui, exactement. Ce qui est drôle, c'est que la vidéo était confidentielle. C'est le colonel auquel on l'a transmise pour prouver notre tir qui l'a balancée sur le net. Il ne fallait pas faire savoir d'où on avait tiré, parce qu'on était loin dans les lignes ennemies.

Pendant ce temps, on attendait toujours nos papiers. Le fait de ne pas être en règle nous bloquait pas mal de routes, et on voulait opérer en légalité. L'administration ukrainienne est très complexe, il faut être très patient, mais après une longue errance, on a enfin réussi à obtenir nos papiers. Maintenant je suis officiellement sous contrat avec la légion internationale, sous la direction du 131e bataillon de reconnaissance spéciale. Ce qui veut dire qu'on a une paye tous les mois et qu'on est pris en charge si on a des problèmes de santé.

Etes-vous bien payé?
La solde de base est d'environ 350 dollars américains. A cela s'ajoutent les bonus de mission, le temps passé sur le front et des primes pour chaque cible éliminée et confirmée (personnels et véhicules). En passant le mois sur le front, on monte dans les 3500-4000 dollars, ce qui est un très bon salaire en Ukraine. Mais comme on dépense pas mal dans l'équipement, qu'on achète et entretient nos propres véhicules, notre nourriture, ça part assez vite.

Les combats

Pouvez-vous nous décrire les combats?
On part entre trois à cinq jours en opération pour avoir ensuite cinq à sept jours de repos. Sur le front, il y a la première ligne, la deuxième, la troisième et la quatrième. Mon unité opère devant la première ligne, dans le no man's land. Notre but est de faire de la reconnaissance, donc repérer les positions ennemies et se coordonner avec l'artillerie. Parfois c'est avec des drones, parfois on y va nous-mêmes.

Avec son unité.
Avec son unité.Image: maxime barrat

Comment ça se passe, concrètement?
Ça dépend des régions. Mykolaïv, où j'opère, est une zone agricole. Il y a de grands champs qui font jusqu'à deux kilomètres de côté, bordés d'arbres. Parfois c'est très dense et il y a des positions ennemies cachées un peu partout. Il faut aller les débusquer, s'approcher en douceur et se coordonner avec l'artillerie, qui va les martyriser pendant trois à cinq minutes. Nous arrivons juste après, quand les Russes sont encore un peu sonnés et sous l'effet de la peur, et on essaie d'envoyer fort. D'autres fois, on fait des opérations coup de poing à l'assaut en tant qu'infanterie. On fait aussi des prises de prisonniers dans des villages occupés.

Comment vivez-vous tout ça, personnellement?
C'est très très intense (rires), c'est de l'adrénaline à fond. Mais malheureusement c'est un boulot, un devoir. Moi j'ai envie de rendre la liberté aux gens. S'il faut entamer des référendums pour permettre aux gens de rejoindre un autre pays, ça peut se régler comme ça, mais pour le moment c'est la guerre, il faut rentrer dedans.

«Si on a des armes dans les mains, il faut s'en servir»

Est-ce que cela vous pose des problèmes d'ordre moral?
Pas vraiment, non. C'est toujours malheureux parce que ça reste une vie, c'est sûrement un père, un frère, un mari, il y a des gens qui chérissent cette personne... Mais on a vu ce qu'ils font quand ils savent qu'on est dans les parages. Ils ont méchamment torturé des Ukrainiens pour choper des informations sur nous. Ils les ont ligotés, leur ont coupé les doigts et puis sont partis. Il n'y avait aucun intérêt, ils ont juste la haine des étrangers et sont prêts à faire les pires atrocités. Quand on arrive dans certains villages, on retrouve souvent des cadavres de civils et des soldats enterrés à droite et à gauche.

«La guerre légitime des comportements qu'on n'adopterait pas en temps normal. Tuer des gens en fait partie»

Quelles armes utilisez-vous?
La plupart du temps, j'utilise une PKM. C'est un fusil mitrailleur dont la puissance de feu équivaut à celle de quatre kalachnikovs. Mon job est de couvrir la progression du reste du groupe, je vais allumer l'ennemi pour qu'il baisse la tête, ce qui permet aux copains d'avancer ou battre en retraite. Ou alors, si on se fait attaquer, je me mets dans une position un peu à la con pour que les ennemis se concentrent sur moi, et comme j'ai une grosse puissance de feu, ça va les calmer un peu et les copains ont le temps de se barrer. Après il faut que je coure très très vite (rires).

Avec son PKM.
Avec son PKM.Image: maxime barrat

Aviez-vous de l'expérience militaire avant de partir en Syrie?
Absolument pas. Avant de rejoindre les Kurdes, j'étais chauffeur de poids lourds. Je suis parti en Syrie sans vraiment savoir ce que j'allais faire là-bas. Ils m'ont mis des armes dans les mains et je me suis rendu compte que je m'en sortais pas mal. Du coup, je me suis lancé dedans.

Quelles sont les différences entre la Syrie et l'Ukraine, sur le plan militaire?
La Syrie, c'était des vacances comparé à l'Ukraine. Ici, le conflit est super intense. Quand on trime toute la nuit parce que, dans le village qu'on vient de prendre, il n'y a pas un soubassement et on est obligé de dormir à la surface du terrain alors que l'artillerie vous allume toute la nuit, on prie toutes les deux minutes que ça ne vous tombe par sur la gueule, parce que ça ne tombe vraiment pas loin.

«Tout tremble et ça pourrait tomber sur nous à chaque instant»

Avez-vous un exemple d'une situation extrême que vous avez vécu?
Il y a quelques semaines, on s'est retrouvé totalement entouré de Russes, sans possibilité de se barrer. Pendant trois jours d'affilée, on s'est fait défoncer à l'artillerie. Parfois, c'était une bombe qui tombait chaque seconde. C'est intense quand c'est comme ça, et quand on peut enfin sortir on est vraiment content (rires). Parfois les obus ne tombent vraiment pas loin et des éclats tombent à droite et à gauche. Ça fait de petites égratignures, mais je n'ai jamais été gravement blessé.

L'armée russe et l'armée ukrainienne

En Occident, on a l'impression que l'armée russe est nulle, mal organisée... Quel est votre point de vue?
C'est du fifty-fifty, ils ne sont pas si nuls que ça. Dans la région de Mykolaïv, il n'y a pas que de conscrits ou de la simple infanterie, il y a aussi des brigades mécanisées, des parachutistes, c'est de bons soldats. Quand on voit que le front, dans le sud de cette région, ne bouge pas depuis des mois, c'est parce qu'il est quasiment impossible de les déloger. Ils savent ce qu'ils font. On arrive quand même à leur mettre des coups de pression. Quand ils sont sous un déluge de feu, ils veulent juste battre en retraite.

Et que pensez-vous de l'armée ukrainienne?
Il y a plein de gens de bonne volonté, ils sont à l'écoute et très impliqués, mais l'organisation est très mauvaise. C'est un vrai bordel administratif et en plus, il y a toujours un gros problème de corruption. Mais ils ont envie de le faire évoluer, on fait avec.

Quel est votre rapport avec l'armée régulière?
J'opère dans une unité qui fait partie d'une section qui fait partie d'un bataillon. Du coup, on suit le commandement. Mais il faut garder à l'esprit que l'armée ukrainienne nous fournit les armes, les munitions, les uniformes, point barre. Pas de radio, pas de casque, pas de gilet pare-balles. On nous finance nous-mêmes, comme une petite armée. On préfère acheter notre matériel parce qu'on sait exactement ce qu'on veut. Ça revient cher, mais on n'a pas le choix.

Kit de combat.
Kit de combat.Image: maxime barrat

Où trouvez-vous les équipements?
Il y a des chaînes Instagram qui proposent de l'équipement moderne, il y a des gens qui travaillent dans la logistique, des contacts sur place, des magasins militaires... et les Russes. Pas de pitié pour ça, s'il y a un truc qui peut nous servir, on le prend. Ce n'est pas piquer pour voler, c'est piquer pour s'en servir. On récupère surtout des armes et des munitions.

«Mon arme a un calibre assez spécial, du coup quand je suis en opération, je fais le plein, c'est clair et net»

Avez-vous déjà perdu des camarades?
Non. J'ai eu de la chance d'être dans des groupes qui n'ont pas perdu des gens. En Syrie, par contre, oui, par dizaines. Je croise les doigts (rires).

La vie quotidienne

Comment communiquez-vous entre vous?
Tout est en ukrainien. Dans notre unité, il y a deux Ukrainiens d'origine ainsi qu'un Allemand qui parle russe, ce qui aide pas mal. C'est eux qui s'occupent des communications, et nous autres, nous nous efforçons tous les jours de faire une heure de cours d'ukrainien.

Et comment ça marche?
C'est compliqué (rires). L'alphabet est différent, le cyrillique est vraiment rude, mais on s'aide entre nous. Sur le terrain, ça se passe bien, mais parler de sujets plus civils, pour ainsi dire, c'est compliqué (rires). Le vocabulaire s'acquiert petit à petit.

Ukraine: Interview de Maxime, combattant parti faire la guerre
En pose.Image: maxime barrat

Quels sont vos rapports avec la population civile?
Notre base arrière est située dans un petit village qui se trouve à quelque 20 kilomètres du front. On y occupe les maisons de gens qui les ont prêtées volontairement à l'armée. Sinon, nos rapports avec ceux qui sont encore là sont super cordiaux. Il y a de petites mamies adorables qui nous apportent plein de trucs à manger, elles nous lavent le linge. Et quand les gens découvrent que nous sommes des étrangers, là je ne vous dis même pas.

«On voit des personnes en pleurs, même des soldats. Ils sont super reconnaissants, c'est gratifiant»

Comment gérez-vous le danger physique?
Dès qu'on peut se permettre de décompresser, d'avoir du repos, de bien manger, de bien dormir et d'avoir des vêtements propres, il faut en profiter. C'est important d'avoir une équipe solide, on est vraiment une petite famille. C'est important de savoir que si on a besoin de parler avec quelqu'un, ou juste de se poser et fumer une clope, le groupe est là.

Vous êtes très actif sur les réseaux sociaux. Ne risquez-vous pas de faire passer la guerre comme une expérience fun?
Non, je ne crois pas. Je me sers des réseaux sociaux pour montrer aux gens comment la guerre se passe sur le terrain. Quand je rencontre un petit chat qui vient me câliner pendant deux ou trois heures, ça fait aussi partie de notre quotidien. Quand autour de vous il n'y a que le bruit des obus, quand on ne peut faire rien d'autre à part prier de ne pas mourir, il y a ce félin qui décide de vous faire le plus beau câlin du monde: c'est un vrai bonheur (rires). Je trouve intéressant de partager ces moments.

«Le plus beau câlin du monde».
«Le plus beau câlin du monde».image: maxime barrat

Et après?

Vous donnez l'impression d'être très sûr de vous. N'avez-vous jamais hésité?
Oui, ça m'est arrivé, notamment juste avant de signer mon contrat. Ça faisait deux mois que j'étais en errance, je n'arrivais pas à obtenir mes papiers et j'en avais vraiment marre. En plus, c'était la galère au niveau financier. On était tous sur nos fonds personnels, parfois ça a été un peu rude, mais on a tenu bon, et maintenant c'est réglé.

La guerre risque de s'éterniser. N'allez-vous pas en avoir marre, un jour?
Pour le moment, le moral est là. On a de super projets et les missions se passent bien. Ce qui pourrait me taper le moral serait de perdre quelqu'un de l'unité. Et l'hiver va être dur. Ça caille ici. Je suis arrivé à Mykolaïv en mars et je me gelais terriblement. On m'a dit que ce n'était pas le pire, il y a de la neige, le vent est terrible. On a beau avoir cinq couches de vêtements thermiques, le froid est quand même là. On boit dix thés par jour, on mange des trucs bien chauds et bien gras et voilà. Pour l'instant, la motivation est là.

Qu'allez-vous faire après la fin du conflit?
Je ne vois pas vraiment des raisons de partir. J'ai de la famille en France, mais je vois ma vie en Ukraine maintenant. De plus, j'ai une chérie ici et ça se passe très bien. Le pays est magnifique, les Ukrainiens sont super, je me plais bien. Il y a de super opportunités pour la suite, j'y pense déjà. Je veux rester ici, c'est sûr et certain.

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source: sda / sergey kozlov
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