En France, où tout n’est pas rose sur le front identitaire, la convergence de l’Ascension et de l’Aïd el-Fitr, la fête musulmane marquant la fin du Ramadan, a été l’occasion de belles accolades sur les réseaux sociaux. Au même moment, d’autres hasards du calendrier – Ramadan d’une part, de l’autre Jour de Jérusalem, célébrant la conquête israélienne de la Ville sainte lors de la guerre des Six Jours en 1967 – ont plongé Israël et ses alentours dans des niveaux de violence qui n’avaient plus été atteints depuis la guerre à Gaza en juillet 2014. Côté palestinien, 110 morts, 7 côté israélien. Parmi eux, des enfants.
Si les affrontements militaires, ainsi que le bilan provisoire des victimes, renvoient principalement à l’opposition entre l’armée israélienne et le parti islamiste Hamas au pouvoir dans la bande de Gaza, le plus préoccupant pour la suite tient sans doute aux heurts qui ont éclaté entre civils juifs et arabes à Jérusalem-Est et dans des villes israéliennes à population mixte. Le 12 mai, un homme, perçu comme arabe, a été sorti de sa voiture et lynché par des militants juifs d’extrême droite près de Tel-Aviv – grièvement blessé, son état était stable.
L’origine de la présente flambée de violence est à chercher chez les ultranationalistes juifs. Tout a commencé cette fois-ci par des expulsions de familles palestiniennes de la partie Est de Jérusalem, en principe arabe, mais de plus en plus investie par des juifs israéliens. Ces expulsions ont été perpétrées par des individus radicalisés, dont certains militent au Parti sioniste religieux.
Cette formation d’extrême droite a fait cette année pour la première fois son entrée à la Knesset, le parlement israélien, sous l’impulsion du premier ministre de droite Benyamin Netanyahou, à la tête d’un pays politiquement instable, lui-même étant confronté à des ennuis judiciaires. Qui sont ces ultranationalistes juifs anti-arabes? Quand sont-ils apparus?
«Il y a des colons parmi eux, mais pas seulement», note Thomas Vescovi, chercheur indépendant en histoire contemporaine, auteur de L’échec d’une utopie. Une histoire des gauches en Israël (La Découverte).
«Le numéro 3 du Parti sioniste religieux, Itamar Ben-Gvir, est venu accompagner les colons qui exproprient des familles palestiniennes à Jérusalem-Est. C'est un suprémaciste qui s’inscrit dans les pas de Baruch Goldstein, ce colon israélo-américain auteur d’un attentat en 1994 au tombeau des Patriarches à Hébron, qui avait fait 29 morts palestiniens», rappelle Thomas Vescovi.
Ces ultranationalistes sont issus du sionisme religieux, apparu avec la guerre des Six Jours et le déploiement d’Israël en Cisjordanie. Situé à l’Est de l’Etat d’Israël, la Cisjordanie devait constituer le gros d’un Etat palestinien selon le plan de partage de 1947, partition rejetée par les Arabes.
«Durant la précédente décennie sont arrivés par centaines de milliers en Israël des juifs orientaux, bien plus religieux et conservateurs que les ashkénazes dans leur rapport au judaïsme», poursuit le chercheur. «Les forces politiques nationalistes et religieuses ont su s'appuyer sur ces nouveaux immigrés. La colonisation juive de la Cisjordanie, qui représente aujourd’hui près de 700 000 individus, constitue une énorme réserve de voix pour la droite et l'extrême droite nationaliste religieuse».
Les ultranationalistes sont des religieux identitaires, ce que ne sont en principe pas les «vrais» religieux, à l’image des ultra-orthodoxes du mouvement Haredim. «Leur violence vient aussi de l'impunité dont ils bénéficient en Cisjordanie et ces dernières semaines à Jérusalem», estime Thomas Vescovi. «Par ailleurs, la seconde Intifada, qui débute en 2000, traumatisa les deux sociétés et favorisa en Israël une conception toujours plus sécuritaire d'un Etat toujours plus exclusivement juif».
Le risque est grand, désormais, d’une radicalisation chez les «modérés», côté palestinien comme côté israélien, chez ceux qui ne vivaient certes pas ensemble, mais en voisins dans des localités d’Israël, à Lod ou Haïfa, «ces villes mixtes au bord de la guerre civile», s'inquiète le magazine français L’Express.