Les treize jeunes poursuivis pour cyberharcèlement dans l'affaire Mila connaîtront leur sentence le 7 juillet. Ils sont, pour la plupart, âgés de 18 à 30 ans et sans antécédents judiciaires.
Le procureur a proposé une «peine d'avertissement»: trois mois de prison avec sursis pour trois des prévenus et six mois avec sursis pour neuf autres, poursuivis pour harcèlement et menaces. Pour le treizième et dernier prévenu, la relaxe a été demandée, écrit LCI.
Tout avait commencé en janvier 2020 avec une avalanche de menaces de mort suite à des propos injurieux de Mila – qui avait alors 15 ans – sur l'islam. Le 23 juin, la jeune femme a publié un livre-témoignage, dont le titre, «Je suis le prix de votre liberté» (Grasset), situe l'enjeu des débats sur la liberté d'expression, notamment face à la pression religieuse. Le procès devrait durer jusqu'à demain mardi. Retour en huit points sur une affaire qui ébranle la société française.
Mila, un prénom un peu rebelle. Un prénom de tête haute. Mila est une jeune fille française, dont la vie a basculé le 18 janvier 2020. Elle a alors 16 ans et fait ce jour-là un live sur Instagram, dévoilant ses goûts. En matière de filles. Mila est lesbienne, elle a les cheveux teints en violet, elle est blanche, caucasienne, comme on précise sur les sites de rencontres. L’ado dit ne pas être attirée par les «rebeus» – les filles typées arabes – et les «Noires». Elle, elle attire les filles et les garçons. L’un d’eux la drague lourdement. Elle l’éconduit. Il la traite de «sale raciste», de «sale lesbienne». Il mêle à ses propos des considérations religieuses en rapport avec l’islam.
Mila réplique. Crûment. Elle qualifie l’islam de «religion de m…», de «religion de haine». «Votre dieu, je lui mets un doigt dans le t… du c...», dit-elle encore. Aux yeux des croyants, elle blasphème. Aux yeux de la loi française, qui ne reconnaît pas la notion de blasphème, elle en a le droit. En régime laïque, la religion est l’équivalent d’une idéologie ou d’un parti politique. Tant qu’on n’insulte pas les individus, on peut dire ce qu’on veut de leurs systèmes de valeurs.
Je pense qu’elle se rend pas compte de ce qu’elle dit et de l’ampleur que ça peut prendre pic.twitter.com/K5kruoi7FQ
— ملك (@malak_288_) January 18, 2020
D’Instagram, l’échange houleux, en format vidéo, passe sur Twitter et sur Snapchat, où plus rien n’est contrôlable. S’ensuit, s’ensuivra un torrent de menaces de mort anonymes dirigées contre Mila. Comme celle-ci: «Ecoute-moi bien grosse pute si je te croise dans la rue je vais te faire avaler tous les organes après les avoir fait sortir par ton trou du cul c’est bon?»
En tout, «100 000 messages haineux», selon l’avocat de Mila, Richard Malka, le défenseur de Charlie Hebdo, l’hebdomadaire satirique décimé par l’attentat djihadiste du 7 janvier 2015. Scolarisée en première année de lycée dans l’Isère, Mila est contrainte d’en partir. Sa vie y est en danger. Elle trouve refuge dans un lycée militaire.
Le 3 février, la France découvre le visage de Mila lors de son passage dans l’émission «Quotidien», regardée des jeunes. Elle y réaffirme son droit à critiquer les religions, précisant qu’elle n'en a pas après les croyants en tant que tels. Ses déclarations ne mettent pas fin au cyberharcèlement la prenant pour cible.
Mila est notre invitée dans #Quotidien pour sa seule et unique interview. pic.twitter.com/cZ1VqObHrR
— Quotidien (@Qofficiel) February 3, 2020
Entre-temps les hashtags «Je suis Mila» et «Je ne suis pas Mila» ont fait leur apparition sur les réseaux sociaux. Ils recoupent grosso modo les «Je suis Charlie» et «Je ne suis pas Charlie». Les pouvoirs publics donnent d’abord l’impression de «lâcher» Mila. Le parquet de Vienne, dans l’Isère, sans doute un peu pour la forme, ouvre une enquête pour provocation à la haine, mais décide rapidement d’un classement sans suite. Parallèlement, il en a ouvert une autre pour menaces de mort.
La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, s’émeut, elle, des propos de l’adolescente de 16 ans, parle d’«insulte à la religion», évoque «une atteinte à la liberté de conscience», avant de se raviser face au tollé laïque, plus largement face au rappel qu’en France, la critique des religions est permise. Ce que réaffirme le 30 janvier le président de la République, Emmanuel Macron: «Nous sommes un pays où il y a de la liberté d’expression, le droit de caricaturer, de blasphémer.»
Manière de répondre à sa ministre comme au délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM), Abdallah Zekri, lequel avait déclaré, une semaine plus tôt : «Qu’elle critique les religions, je suis d’accord, mais d’insulter et tout ce qui s’ensuit… Elle assume les conséquences de ce qu’elle a dit.» Des propos maladroits rappelant ce qu’on avait pu entendre de la part de musulmans après les caricatures du prophète Mahomet parus dans Charlie Hebdo.
L’affaire se politise selon un jeu de rôles désormais solidement établi, celui, en partie, du contre-emploi. Marine Le Pen, la représentante de l’extrême droite mainstream, prend la défense de Mila (comprendre: face au danger islamiste, voire de l’islam tout court), alors que la gauche retombe dans son clivage habituel en France: laïques universalistes d’un côté, de l’autre, défenseurs des «musulmans», tenus pour une population «dominée» et «opprimée», sans considération pour la forme rétrograde qu’y prend l’islam chez certains d’entre eux. Le camp féministe connaît la même ligne de fracture. Les universalistes reprochent aux intersectionnelles (imbrication des combats en faveur des minorités) leur défense du bout des lèvres de Mila.
Les propos de cette jeune fille sont la description orale des caricatures de Charlie, ni plus ni moins. On peut trouver ça vulgaire, mais on ne peut pas accepter que, pour cela, certains la condamnent à mort, en France, au XXIème siècle. MLPhttps://t.co/bhlim7ch4o
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) January 22, 2020
Les menaces conte Mila sont sérieuses. En séjour linguistique à Malte l’été dernier, «elle est reconnue par un homme qui menace de la violer et de l’étrangler», rappelle le quotidien Ouest France. Son agresseur sera condamné. Tout comme l’un des ses harceleurs sur les réseaux, un jeune homme de 23 ans, trois ans de prison dont dix-huit mois avec sursis pour menaces de mort, le 1er octobre, première condamnation en France dans ce dossier qui tient lieu de fil rouge sur la liberté d’expression.
De cette liberté, Mila est devenue la jeune égérie ou la jeune icône, comme on voudra. S’il lui arrive d’avoir peur, elle n’a pas froid aux yeux. Le 15 novembre, elle réplique une nouvelle fois à ses détracteurs dans une vidéo diffusée sur le réseau Tik Tok. Elle y va d’insultes. Mais ce ne sont que des insultes. En face, c’est une nouvelle salve de menaces de morts. Le 20 novembre, le lycée militaire qui lui avait donné refuge se sépare d’elle: Mila, dans un échange sur les réseaux, a donné le nom de l’établissement, qui s’estime à présent en danger.
Treize prévenus «aux profils déconcertants» comparaissent lundi et mardi devant la justice à Paris: dix hommes et trois femmes, musulmans, chrétiens ou athées, de toute la France avec un casier judiciaire vierge pour la plupart. «Ils assurent n'avoir "rien fait", juste "envoyé un message" sur les réseaux sociaux», rapporte le quotidien La Dépêche. Cette tactique de défense fonctionnera-t-elle? La loi considère en effet qu’il y a harcèlement en cas de messages répétés. «Va bien te faire fourré (sic) sombre pute, je te souhaite de mourir de la façon la plus atroce qui puisse exister et si jamais ça tarde, je m’en chargerais moi-même», a écrit N’Aissita, qui passe en jugement.