En 1985, la «jeunesse emmerde le Front national». Aujourd'hui, ce n'est plus le Front, mais le Rassemblement national, le groupe de punk Bérurier Noir a rangé son hymne contre l'extrême-droite et les études donnent Marine Le Pen favorite chez les 25-34 ans. Cette tendance est en hausse de 6% par rapport à 2017. Tout ça, à moins d’un an de la Présidentielle. La jeunesse française roule-t-elle vraiment de plus en plus à droite?
«On ne peut pas le dire comme ça, non. Il faut surtout contextualiser les chiffres des instituts Ifop et Ipsos: ce sont 29% des jeunes VOTANTS qui se tourneraient aujourd'hui plus volontiers vers le Rassemblement national. Nous parlons ici d’intention, pas d’un bulletin dans une urne. Or, le problème majeur c'est l'abstention. La jeunesse française est de plus en plus volatile, dépolitisée et ce, à droite comme à gauche.» La politologue Christèle Marchand-Lagier, spécialiste du vote d'extrême-droite et chercheuse à l'Institut d'études politiques d'Aix en Provence, nous explique au bout du fil que la nouvelle génération passe sous la plupart des radars. Mais cela n’empêche pas la candidate Le Pen de la draguer, armée jusqu’aux réseaux sociaux.
Ça tombe bien: c’est précisément dans cette catégorie socio-économique que le site d'actualités Vice est allé faire ses courses il y a quelques semaines, en déposant dans son caddie une série de témoignages de nouveaux partisans du Rassemblement national. Trois jeunes tout juste majeurs qui voteront pour la première fois pour Marine Le Pen. Comme un certain Florian, 18 ans, étudiant en licence Administration Economique et Sociale.👇
Dans Vice, ce Florian admet très vite ne pas être spécialement une groupie de Marine Le Pen, mais son amour pour l’Histoire de France (qu’il juge malmenée aujourd’hui) lui fera assurément déposer le tout premier bulletin de vote de sa vie en faveur du RN. Le «seul parti politique se rapprochant le plus de cet amour pour notre identité nationale». Et, la suite logique à cette passion pour le passé, c’est une obsession pour l’identité nationale et l’immigration. Il se dit aussi fatigué «des idées mondialisées et dites progressistes».
Ces jeunes sont juristes ou gestionnaires de paie. Loin des banlieues structurellement défavorisées. Ils ressentent «colère et honte» face à Emmanuel Macron. Ils pensent sécurité et emploi. Plus original (et plus récent): la santé. La pandémie a dévoilé selon eux les défaillances du gouvernement. «La crise liée au Covid-19 a révélé notre incapacité à produire sur notre territoire des choses de première nécessité, des choses vitales», raconte à Vice, Jeanne, 28 ans.
Il faut rappeler que Marine Le Pen s'est lancée la tête la première dans une stratégie de dédiabolisation de son mouvement (et de ses idées). Dernière preuve en date: le 1er mai dernier, dans une allocution particulièrement apprêtée pour cet électorat si «volatile». Le thème de la sécurité était évidemment de la partie, mais la candidate à l'élection présidentielle a surtout criblé son streaming de petites propositions alléchantes à l'heure où les jeunes actifs, mais de plus en plus désabusés, craignent pour leur avenir:
🇫🇷 Il n'est pire dirigeant que celui qui ne croit pas en son pays.
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) May 1, 2021
Je crois en la France, je la vois en GRAND.
A nous, avec force et détermination, de rétablir la prospérité, l'union nationale et la paix civile.
Vive la République, vive la FRANCE !#1erMaiRN #1erMai pic.twitter.com/lxgJo1kd3I
Cette campagne de maquillage idéologique est aussi naturellement aidée par le temps qui passe, nous confirme la chercheuse Christèle Marchand-Lagier. La jeunesse made in 2021 n'a pas connu la politique plus radicale de Jean-Marie, père de Marine, mais aussi du Front National. Plus besoin de nettoyer les placards en public ou sur les plateaux TV. «Auprès des jeunes, le Rassemblement national est plutôt bien installé dans le paysage politique. Les jeunes recherchent aussi une certaine stabilité et la gauche vit une crise existentielle telle, qu'elle n'est d'aucune utilité pour leur offrir une figure alternative solide.»
Et la disparition du small talk politique autour de la table familiale en dit long sur l’abstentionnisme au sein de cette nouvelle génération. «Il y a une inculture politique croissante. Si les parents ne parlent pas de politique à la maison, il y a peu de chance que les enfants deviennent politisés à leur majorité. Et le système actuel n’a pas la cote auprès des jeunes.»
Pour séduire la jeunesse, l'extrême-droite a toujours été très en avance sur les autres en matière de stratégie de communication sur les réseaux sociaux. Et cette «normalisation» des idées par les algorithmes a commencé à se muscler entre 2012 et 2017. «Ils sont soutenus par de nombreux groupuscules très actifs en ligne, indépendants du parti officiel et qui ont fortement participé à propager la nouvelle image de Marine Le Pen», confirme Christèle Marchand-Lagier. En 2017, les militants du FN pouvaient suivre des formations pour mieux utiliser les réseaux, pour mieux séduire la nouvelle génération, pour renforcer la campagne virtuelle, pour choisir les bons hashtags et se détourner des médias traditionnels.
Mais en 2021, on inverse un peu la tendance. Le bannissement de Donald Trump par Facebook et Twitter fait suer les cadres du parti. La censure guette et la stratégie initiale pour toucher la nouvelle génération est un peu bousculée.
Le parti semble vouloir utiliser «les élections régionales de juin comme crash-test». Et, sur FranceInfo toujours, on se demande déjà si la censure des géants du web ne pourrait pas devenir un thème de campagne populaire pour la Présidentielle.
Les réseaux sociaux demeurent néanmoins la meilleure arme pour tenter de draguer cette «génération volatile». Ce n'est d'ailleurs pas Emmanuel Macron qui dira le contraire, lui qui a passé quelques heures avec les Youtubeurs McFly et Carlito à l'Elysée pour simplement... faire les pitres.
Le succès est au rendez-vous, ça tourne en boucle sur TikTok et ça fait s'étrangler les plus vieux sur Twitter, mais comme le répète la chercheuse Christèle Marchand-Lagier: «Ça ne crée pas pour autant de bulletin de vote». Réponse en 2022.