«Elle lui sape les bases de sa campagne.» Spécialiste de l’écologie politique, Daniel Boy juge sévèrement Sandrine Rousseau. Battue par Yannick Jadot en finale de la primaire écolo en septembre dernier, la vaincue ne semble toujours pas avoir complètement admis sa défaite. Le candidat à la présidence de la République, c’est Jadot, pas elle. «Le fait qu’elle ait perdu d’un cheveu, 51%-49%, n’explique qu’en partie son attitude. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle soit si présente dans les débats», poursuit Daniel Boy, directeur de recherche émérite à Science Po Paris.
Si Jadot et Rousseau partageaient la même ligne au sein d’Europe Ecologie Les Verts (EELV), leur parti, cela ne poserait pas de problème. Or ils divergent, et pas qu'un peu. «Sandrine Rousseau, c’est la gauche woke, la gauche sociétale en défense des minorités. Yannick Jadot, c’est une gauche plus consensuelle, plus universaliste, celle des solutions se voulant réalistes et immédiatement applicables», pose le chercheur.
Un exemple de ce qui les sépare? Le foie gras, produit iconique s’il en est du terroir français. «Eh bien, reprend Daniel Boy, là où Yannick Jadot plaidera pour un foie gras artisanal à la place d’un foie gras industriel, Sandrine Rousseau estimera qu’on peut le remplacer par du faux-gras végétal, comme on peut remplacer le classique sapin de Noël communal par un sapin de Noël en verre recyclé.»
Le 9 janvier, Sandrine Rousseau se précipitait dans le piège tendu par le candidat communiste Fabien Roussel, qui ce jour-là twittait qu’«Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage: c'est la gastronomie française». Elle ne tardait pas à répliquer: «Le couscous, plat préféré des français…»
Le couscous, plat preferé des français…🥳https://t.co/OcQ6DTNpdj https://t.co/UzCLGJWSgP
— Sandrine Rousseau (@sandrousseau) January 9, 2022
A ce qu’elle tenait pour une charge identitaire, de type franchouillarde, elle en opposait une autre, de facture blédarde. Au nom de la défense des minorités, elle donnait dans la «guerre des identités». «Sur un thème ô combien cher aux Français et d’ordinaire fusionnel: la bouffe», relève Daniel Boy.
Pour l’heure, Yannick Jadot ne réagit pas publiquement aux piques médiatiques et autres conseils d’ami délivrés par Sandrine Jadot, ce mix étrange, assurément une bonne machine à buzz. Pas plus tard que lundi, celle qui préside le «conseil politique» du candidat Jadot, autrement dit son appareil de propagande, lui conseillait d’«aller sur des mesures plus radicales» en matière d’écologie et de laisser tomber «les petits gestes».
Bref, le quidam n’a pas vraiment l’impression que Yannick Jadot mène la barque de ce qui est censé être sa campagne. C’est comme si, chez Les Républicains, le perdant de la primaire, Eric Ciotti, dictait en permanence sa conduite à la gagnante Valérie Pécresse.
Sandrine Rousseau serait-elle obligatoirement de mauvais conseil? On lui doit peut-être l’attaque frontale de Yannick Jadot, mercredi au parlement européen de Strasbourg, à Emmanuel Macron sur son bilan écologique: «Vous resterez dans l’histoire le président de l’inaction climatique, parce qu’au fond vous êtes un climato-arrangeant. Vous préférez signer des armistices avec les lobbys plutôt que de mener la guerre contre le dérèglement climatique.» Du Rousseau dans le texte?
Parmi les commentateurs de la vie politique française, nombreux sont ceux qui s’étonnent, ou font mine, que Sandrine Rousseau n’ait pas rallié Jean-Luc Mélenchon, le candidat des Insoumis, plus radical et pour ainsi dire plus constant que Yannick Jadot sur les questions écologiques. Outre la fidélité à son parti EELV, elle doit penser qu’elle n'aurait pas chez Mélenchon la surface médiatique que lui confère son statut de conseillère en cheffe du candidat écologiste.
Celui-ci a de hautes ambitions. Certains le disent peu charismatique. Question de goût. Sinon de perspective. Jadot, c’est le bon gars solide, une voix grave, des yeux clairs de paysan picard (il est le fils d'un couple d'enseignants du département de l’Aisne, en pays ch'ti, et le cadet d'une fratrie de quatre garçons).
«La trajectoire présidentielle de Yannick Jadot ne date pas de la présente campagne», rappelle Daniel Boy:
Taubira, l’ancienne ministre de la Justice de François Hollande, dont la candidature à la présidentielle de 2002 avait contribué à la défaite du socialiste Lionel Jospin dès le premier tour au profit du frontiste Jean-Marie Le Pen: voilà, après Sandrine Rousseau, un autre caillou dans la chaussure de Jadot. Et dans les caisses d’EELV.
Les caisses? Désormais en lice pour la présidence de la République, Christiane Taubira ajoute un nom, le sien, aux autres candidats se disputant le maigre vote à gauche. Des prétendants que les organisateurs d'une «Primaire populaire» controversée voudraient départager lors d'un vote en ligne prévu pour fin janvier. Un récent sondage indique que la venue dans la bataille de l'ex-ministre de la Justice a d’ores et déjà fait baisser d’un point Anne Hidalgo et Yannick Jadot, respectivement à 3% et 5%. Or attention: ne pas atteindre la barre des 5% de voix au premier tour, c’est tout le financement public de la campagne qui vous file sous le nez. «Pour les verts, ce serait une catastrophe», note le spécialiste de l’écologie politique, Daniel Boy. Mais Sandrine Jadot en a-t-elle, en a-t-il, quelque chose à faire?