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Ukraine: Ces femmes sont dans l'armée «pour tuer des Russes»

Frauen im Krieg in der Ukraine.
Lagherta devant son outil de travail: «Le plus beau, c'est quand on vous annonce par radio que vous avez touché une position russe».image: t-online/byron smith

«Je suis là pour tuer des Russes»: ces femmes combattent Poutine

Combattre, cuisiner, commander: voici le quotidien de près de 40 000 femmes ukrainiennes, qui ont rejoint le front afin de se battre, aux côtés des hommes, contre la Russie. Portrait de trois d'entre elles.
05.12.2022, 05:52
Daniel Mutzel, Kharkiv
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t-online

Celle qui se fait appeler «Lagherta», comme la célèbre guerrière au bouclier de la série Vikings, diffusée sur Netflix, nous montre comment fonctionne son outil de travail. Elle tourne le tube de calibre 73 millimètres à la verticale jusqu'à 15 degrés, pas plus.

«Avec cet angle, je pourrais toucher des Russes à 5000 mètres»

Lagherta, 28 ans, a étudié la physique, puis a travaillé comme entraîneur de fitness à Kiev. Elle commande aujourd'hui une unité de quatre personnes qui opère, sur le front, avec un canon SPG-9, une arme qui date de l'époque soviétique et qui peut être utilisé contre différentes cibles en fonction des munitions.

«Contre les chars, nous avons des grenades à charge creuse, contre l'infanterie, nous combattons avec des grenades à fragmentation»
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Lagertha dans son logement dans la région de Kharkiv.image: t-online/byron smith

Alors que Lagherta nous explique les avantages du SPG-9 , des soldats traversent régulièrement l'abri près de Kharkiv, qui sert de lieu de retraite temporaire à toute l'unité. La guerrière profite quant à elle de quelques jours de congé avant de retourner au front.

Des sacs à dos sont posés dans un coin, du linge sale et des caisses de munitions jonchent le sol. Une douzaine d'hommes en chemise vert olive et pantalon de camouflage sont allongés sur des lits de camp. Certains somnolent, d'autres consultent leur smartphone. Une marmite fume dans une kitchenette, le cuisinier confirme l'hypothèse évidente: «Il y a du bortsch (soupe traditionnelle ukrainienne à base de betteraves)!»

Lagherta est la seule femme ici. Elle n'est pourtant pas la seule dans l'armée ukrainienne: 40 000 femmes servent actuellement dans les forces armées du pays (dont 5000 sur le front). Ce chiffre correspond à un dixième de l'effectif total, estimé entre 500 000 et 700 000. Contrairement aux hommes ukrainiens âgés de 18 à 60 ans, elles se sont portées volontaires et n'ont pas été forcées à rejoindre le front.

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«Farsi» et des camarades appartenant au 130e bataillon dans un abri de la région de Kharkiv.image: t-online/byron smith

En 2014, lorsque la Russie a envahi l'Ukraine pour la première fois, les femmes n'étaient pas encore officiellement autorisées à participer aux combats. En 2018, elles ont été formellement assimilées aux hommes, mais des rapports font état de discriminations, mais aussi de harcèlement sexuel.

Des dizaines de milliers de femmes ont intégré l'armée depuis le début de la guerre en février 2022. Il existe toutefois de grandes différences quant au rôle qu'elles souhaitent jouer pour défendre leur pays. Pour Lagherta, que ses camarades qualifient de «vraie guerrière», la réponse est claire:

«Pourquoi je me bats dans l'armée? Pour tuer des orques»

Les «orques» sont des monstres non humains du Seigneur des anneaux. En Ukraine, c'est un terme péjoratif pour désigner les assaillants russes, même les services gouvernementaux utilisent ce terme. «Ils viennent en masse pour nous tuer, nous violer et détruire notre patrie. Comment les appeler autrement?», dit Lagherta.

Quand la jeune femme de 28 ans parle de son «lieu de travail», elle parle du front, «travailler» signifie tirer et «réussir à travailler» signifie tuer des soldats russes. Est-ce que le fait de se battre et de tuer depuis maintenant neuf mois l'a endurcie ou cette banalisation l'aide-t-elle à mieux faire face aux horreurs de la guerre?

Lagherta fait signe que non. Elle ne s'attarde pas sur ce genre de questions. Elle parle avec plaisir, presque avec euphorie, des conditions nécessaires à une bonne position de tir et montre des vidéos de «travail réussi». Le seul inconvénient? Elle regrette de ne pas pouvoir voir l'impact de ses frappes.

Se battre contre les préjugés, son premier combat

Son premier combat a été avant tout d'affronter les préjugés, surtout au début de la guerre lorsqu'elle a rejoint les soldats ukrainiens. «Il y avait toujours des remarques stupides de la part de mes camarades masculins. Mon ancien commandant voulait m'utiliser comme ambulancière ou cuisinière. Mais je voulais aller au front». En tant que femme, elle a eu plus de mal à progresser dans la hiérarchie militaire.

«Les stéréotypes sur les femmes, ce qu'elles sont censées savoir faire ou ne pas savoir faire, sont malheureusement encore très répandus»

D'abord agressive lorsque quelqu'un remettait en question sa place dans l'unité, Lagherta a simplement fini par ignorer les remarques et plaisanteries mal placées. «J'ai travaillé encore plus dur» et aujourd'hui, plus personne ne remet en question sa place. Et c'est tout sourire qu'elle conclut:

«Je suis là où j'ai toujours voulu être. Maintenant, c'est moi qui donne les ordres»
Lagherta

«La Russie a volé nos vies»

Marta Yuzkiw estime qu'il est de son devoir de défendre son pays contre l'invasion russe. Elle se bat depuis longtemps pour la liberté et la démocratie, dit-elle, une défaite contre la Russie ramènerait l'Ukraine à des décennies en arrière. Avant la guerre, cette femme de 51 ans travaillait dans la recherche clinique. Aujourd'hui, elle sert dans le même bataillon que Lagherta, mais en tant qu'officier médical de deuxième ligne.

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Marta Yuzkiw avec des camarades devant une tranchée à quelques kilomètres de la frontière russe.image: t-online/byron smith
«La Russie a volé nos vies»
Maria Yuzkiw

Yuzkiw est accoudé à la table de billard de La Maison de la culture dans la région de Kharkiv, à environ cinq kilomètres de la frontière russe. Le bâtiment est utilisé temporairement par l'armée ukrainienne comme salle de radio. Des photos de chats et de fleurs sont accrochées aux murs, des kalachnikovs, des conserves vides et des couvertures jonchent le sol.

Plus tôt que d'autres, Marta Yuzkiw et son mari s'étaient attendus à une guerre de la Russie. Déjà début février, lorsque nous l'avions rencontrée dans sa maison bourgeoise près de Kiev, elle racontait se préparer à l'attaque russe.

Avec son mari, elle participait chaque samedi aux entraînements du 130e bataillon, s'exerçait aux manœuvres tactiques et au tir. Elle avait constitué un garde-manger pour ses trois fils, des jumeaux de 14 ans et le plus vieux, âgé de 27 ans, au cas où elle et son mari partiraient à la guerre. Pour elle, c'était une décision volontaire.

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Yuzkiw à proximité de leur base dans la région de Kharkiv.image: t-online/byron smith

La guerre rythme leur vie depuis maintenant neuf mois. Marta et son mari ont d'abord combattu entre Boutcha et Irpin, puis ils ont été transférés en avril dans la région de Kharkiv. Et les enfants? «Ils ont été placés chez des connaissances». Elle n'a de contact avec eux qu'occasionnellement.

Marta a vécu son premier vrai combat le 27 mai dernier, «précisément le jour de l'anniversaire de mon mari». Ils étaient 50 soldats, dit-elle, et avaient reçu l'ordre d'attaquer une tranchée russe située à quelques kilomètres de là. «Nous étions mal préparés», dit Yuzkiw.

«J'espère vraiment que nous allons détruire cet empire»
Maria Yuzkiw

Les lance-roquettes et les mortiers russes tiraient sans arrêt. «C'était terrible. Je partais du principe que seule la moitié d'entre nous reviendrait vivante»

Par miracle, seuls trois d'entre eux ont été blessés, et l'un d'entre eux est mort plus tard d'un éclat d'obus. «Ce n'était qu'un petit trou sous la gorge, mais l'éclat avait presque tout déchiré: les poumons, le foie, son estomac. Je ne pouvais plus rien faire pour lui», dit-elle. La plupart des soldats meurent d'éclats d'obus, pas de coups directs.

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Yuzkiw dessine la situation militaire de l'attaque du 27 mai, lorsque son unité s'est emparée d'une tranchée russe dans la région de Kharkiv (avec le journaliste de t-online Daniel Mützel).image: t-online/byron smith

Ce qui est difficile dans la vie de soldat, c'est surtout le fait qu'il n'y a «aucune intimité», dit Yuzkiw. Elle et son mari vivent 24 heures sur 24 avec d'autres personnes. Il n'y a pas de logement séparé pour les couples.

«Ce n'est pas toujours facile»

80% de la guerre est une affaire de routine, dit-elle. Il faut préparer la nourriture, creuser des positions, se ravitailler. La plupart des gens conservent leurs habitudes de la vie civile, il faut donc quelqu'un pour s'en occuper. Quand elle ne soigne pas les blessés, elle fait donc la cuisine et s'occupe de l'unité. «Mais ce n'est pas parce que les hommes attendent de moi que je le fasse, c'est parce que j'aime ça», dit Marta.

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Les forces spéciales du 130e bataillon dans leur base de la région de Kharkiv.image: t-online/byron smith

Elle ne souhaite rien d'autre que la fin rapide de ce «cauchemar». Si elle a quelques jours de congé, elle rentre chez elle. «Mais même là, je ne peux pas me détendre. La guerre ne me lâche pas». Elle n'accepterait toutefois jamais un armistice aux conditions russes.

Le lendemain matin, La Maison de la culture est bombardée par des missiles russes. Un officier ukrainien annonce que des collaborateurs des villages environnants ont fourni des informations décisives aux Russes. Plusieurs personnes sont blessées mais Marta n'en fait pas partie.

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Dégats d'une maison après des tirs d'artillerie russe.image: t-online/byron smith

Du marketing à la guerre

Dans son ancienne vie, Maryana Zhaglo, 52 ans, travaillait comme analyste marketing. Son mari est dans l'armée depuis longtemps et ses trois filles sont à la maison, à Kiev. «Je suis ici pour les protéger», dit-elle. Maryana discute avec des amies dans un village du nord-est de la région de Kharkiv. Dans deux heures, elle doit rejoindre son poste de garde dans les bois pour «surveiller les Russes».

Elle aurait pu s'imaginer combattre en tant que femme soldat dès 2014, lorsque la Russie a déclenché une guerre dans le Donbass et annexé la Crimée.

«Mais j'ai mis cette idée de côté, car je n'avais pas de formation au combat et je ne pouvais pas l'imaginer en tant que femme»

C'est une amie qui lui a parlé d'une association de bénévoles au début de l'année. «Je suis venue à l'entraînement pour voir ce que c'était et j'ai signé le contrat le jour même».

Nous lui avions également rendu visite début février. Elle avait alors montré son fusil de chasse avec lunette de visée. A l'époque, elle confiait vouloir, en cas d'invasion, travailler comme tireuse d'élite et tirer sur les troupes russes à distance.

Aujourd'hui, Maryana Zahglo est soldat à plein temps. Sa mission? Surveiller les mouvements des troupes russes aux postes de garde. Lorsqu'elle est arrivée à Kharkiv, aucun autre sniper n'était nécessaire. «Je continue donc d'attendre mon tour», dit Zhaglo.

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La célébrité Internet Zhaglo avec une kalachnikov: «Sans nous, les hommes se laisseraient complètement aller».image: t-online/byron smith

Sans les femmes, ce serait le chaos dans l'unité, dit-elle. Les hommes se laisseraient complètement aller, mangeraient moins bien et en auraient mal au ventre. La capacité de combat de toute l'unité en souffrirait.

Son camarade, Miroslaw Otkowytsch, un ancien journaliste de télévision, acquiesce. «Quand nous sommes entourés de femmes, nous sommes plus disciplinés et plus courageux. Historiquement, l'Ukraine est un matriarcat», explique le quadragénaire. L'unité est psychologiquement «stabilisée» par les femmes et non, il n'y a pas de discrimination, affirme l'ancien journaliste.

«Les femmes ont toujours joué un rôle important dans notre société, et cela vaut aussi pour les femmes de notre compagnie»
Miroslaw Otkowytsch

Lorsque Maryana Zhaglo montre sa kalachnikov et explique que beaucoup dans l'unité portent la même arme, son commandant sourit et dit ironiquement: «Oui, sauf que ton arme est rose et qu'elle porte des bijoux».

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