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Bruno Todeschini: «Vivre à Paris après les attentats? Impossible»

L'acteur suisse Bruno Todeschini (en médaillon) qui vivait dans la capitale française au moment des attentats. En fond, les hommages par milliers devant la café La Belle Equipe, à Paris, le 17 novembr ...
L'acteur suisse Bruno Todeschini (en médaillon) qui vivait dans la capitale française au moment des attentats. En fond, les hommages par milliers devant la café La Belle Equipe, à Paris, le 17 novembre 2015.image: antoine menusier
Interview

«Vivre à Paris après les attentats? Impossible. On est rentré en Suisse»

L'acteur suisse Bruno Todeschini habitait en famille à côté de La Belle Equipe, l'un des cafés parisiens mitraillés par les terroristes, le 13 novembre 2015. Peu de temps après, voyant sa fille comme hantée par ce cauchemar, il a décidé de quitter Paris. Interview.
06.09.2021, 18:5214.10.2021, 09:31
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Né en 1962 à Couvet, dans le Val-de-Travers, l'acteur neuchâtelois Bruno Todeschini, qui s'était installé à Paris au début des années 80, a quitté la capitale française, qu'il adorait, suite aux attentats du 13 novembre 2015. Avec sa femme et ses deux enfants, un fils et une fille alors âgés de 18 et 12 ans, il habitait un appartement situé tout près du café La Belle Equipe, mitraillé par les terroristes, faisant 20 morts sur les 131 de cette nuit d'horreur. Pour watson, il se confie sur les raisons qui l'ont poussé à partir. Il réside aujourd'hui à Genève et vient de tourner dans un film sur... l'attentat au Bataclan.

Le soir du 13 novembre, où vous trouvez-vous? Comment apprenez-vous que quelque chose de grave est en train de se passer?
BRUNO TODESCHINI:
Ce soir-là, je suis à Turin, sur un tournage de film. Ma femme, Sophie Broustal, qui est comédienne, est sur scène à Nice. Ma mère, qui a alors 85 ans, est venue de Suisse pour garder les enfants dans notre appartement situé à une vingtaine de mètres du café La Belle Equipe, à Paris. Vers 21h25, un ami qui a les clés de chez moi et qui s’occupe de nos chats, m’appelle. Entre-temps, j’avais rallumé mon téléphone, à 21h15, en sortant du tournage.

Que vous dit votre ami?
Il me dit que tout le monde est mort, qu’ils ont tiré sur tout le monde à La Belle Equipe et au Petit Bayona, qui se trouve juste à côté. Le Petit Bayona, c’est le café où l'on se rend pour boire des bières et regarder les matchs. Et ce soir-là, il y a justement France-Allemagne. Il est possible que mon fils Romain, qui a alors 18 ans, s’y trouve.

«Mais qu’est-ce que vous voulez qu’il arrive?»

Que faites-vous à ce moment-là?
Je décide d’appeler le portable de mon fils. Mais impossible de le joindre. Ma fille Paloma, 12 ans à l’époque, est trop jeune pour en avoir un. De toute façon, le réseau mobile est saturé. Dire qu’un mois plus tôt, j’avais demandé à l’opérateur SFR venu installer la fibre, de brancher une ligne fixe. Je lui avais dit que ma mère en aurait besoin car elle n’avait pas de portable. L'opérateur m’avait répondu: «Mais qu’est-ce que vous voulez qu’il arrive?» C’est d’ailleurs la dernière fois que ma mère est venue nous voir à Paris.

Ne pouvant joindre votre fils...
J’essaie d’appeler un peu partout. Le voisin du dessus, le voisin du dessous. Mais rien. Je rentre à l’hôtel. J’allume la télévision et je vois ce qu'il se passe. Je n’arrive à joindre ma femme que deux heures plus tard. Comme moi, elle n’a pu appeler personne à Paris.

«Vers 23h30, je parviens enfin à avoir mon fils. Je l'engueulais toujours parce qu'il sortait pas assez couvert. De fait, il s’était chopé une angine, et cette fois, j'en étais bien content. Il n’était pas descendu voir le match France-Allemagne au Petit Bayona. Il était resté la maison. Tout comme ma fille et bien sûr ma mère. J’étais rassuré comme on peut l’être dans un moment pareil. Ma femme, qui jouait ce soir-là sa dernière représentation, est rentrée le lendemain à Paris. Moi, j’avais à terminer ce tournage en Italie, qui durait encore deux ou trois jours.»
Bruno Todeschini

Quand avez-vous su, pour les victimes de La Belle Equipe?
Très vite on a été mis au courant de qui était mort à La Belle Equipe. La patronne qu’on connaissait bien, les serveurs, un couple de voisins qui était descendu boire un verre en laissant les deux enfants et en demandant à l’aîné de garder son petit frère. Le fils de mon témoin de mariage était, lui, parti boire un coup à 21h10 à La Belle Equipe, mais quand il avait vu le tarif des bières, il était parti ailleurs, car il trouvait que c’était trop cher.

«Heureusement que ma femme n’était pas à Paris ce vendredi-là. Elle avait l’habitude d’aller boire des coups avec des copines le vendredi soir à La Belle Equipe»
Bruno Todeschini

A la suite des attentats, vous prenez une décision radicale.
Les choses se sont passées comme ça. Le mercredi suivant les attentats, ma fille est retournée à l’école. Des assistantes psychologiques étaient présentes, mais elle ne voulait pas suivre leurs séances. Il faut bien se figurer notre quartier après l’attentat à La Belle Equipe. Les fleurs, les témoignages aux victimes allaient jusqu’à notre porte d’entrée, et cela, pendant trois mois. En sortant chercher le pain, quand ma fille allait à l’école, nous étions tous, en permanence, dans cette évocation de la mort. Il fallait faire quelque chose.

Quitter Paris?
Oui, quatre mois après les attentats, en février, j'ai décidé de quitter Paris. Ma femme, ma fille et moi étions à la maison. Arrive une discussion sur la bienséance: qui monte les escaliers en premier? L’homme ou la femme? Vient la question: Qui entre en premier dans un restaurant? Paloma répond: l’homme. Nous lui demandons pourquoi. Elle répond: ben, s’il y a des terroristes, l’homme peut intervenir.

«A ce moment-là, je me dis: Ça va pas. Elle a 12 ans. Ça va pas. Il faut bouger, faut changer»
Bruno Todeschini

En partez-vous tout de suite?
Non, ces réflexions, ce soir-là, je les fais à moi-même. Je ne dis rien à ma femme et ma fille. C’est le lendemain matin au petit-déjeuner que j'annonce à ma femme: On part. Elle me dit: Ah bon, en vacances? Je lui réponds: Non, on part, on part, tu ne viens pas, tu fais comme tu veux, mais Paloma, je la prends. Ma décision était arrêtée. Je suis né en Suisse, j’ai le passeport suisse. J’ai de la famille en Suisse. Je n’avais pas envie d’aller vivre dans une autre ville française, Lyon, Marseille ou je ne sais où. Au début, je résistais. Je me disais, ils (réd: les terroristes) ne vont pas me casser mon jouet. C’est un quartier et un appartement que j’adorais. Les mots de Paloma ont été le déclencheur. On est parti vivre en Suisse, à Genève.

Comment s'est passé le départ?
Ça a été très dur pour ma femme, parce qu’elle est parisienne et que je l’ai mise devant le fait accompli. Ça n’a pas été une discussion de famille: Qu’est-ce que tu en penses, Sophie? Non, il fallait changer.

«Moi je suis parti de Marin dans le canton de Neuchâtel pour aller à Genève, puis de Genève pour aller à Paris… Je sais aussi ce que c’est que de partir. Ma femme m’a suivi. On a vendu l’appartement à Paris. Mon fils est resté à Paris, parce que ce n’est pas la même maman. Il est resté avec sa maman.»
Bruno Todeschini

Paloma s'est-elle plue à Genève?
Son premier matin d'école, elle s’est fait trois amies, qui sont restées ses amies. Elle ne veut plus quitter cette ville, elle l’adore. Cette qualité de vie, aller au lac, aller à la montagne, partir pique-niquer au Salève.

Regrettez-vous votre décision?
Non. Maintenant, c'est vrai, Paris…

«J’y ai vécu trente-cinq ans. C’est une grosse partie de ma vie et de ma belle vie. C’est toujours ma ville. Mais je ne veux plus revivre à l’année à Paris. Ils… Ils m’ont quand même cassé mon jouet»
Bruno Todeschini

Vous dites «ils» en parlant des terroristes.
Je ne sais pas comment les nommer. Ces attentats me rappellent les années de plomb en Italie (réd: les attentats des Brigades rouges en Italie, de la fin des années 60 au début des années 80). Mais il y avait alors peu de victimes collatérales, si l’on excepte l’attentat à la gare de Bologne, commis par l’extrême droite et qui avait fait 85 morts. Tirer dans la foule, comme ils l’ont fait le 13 novembre, c’est inconcevable. Et on n’en est pas sorti.

Un film sur la nuit du Bataclan

Avez-vous une actualité liée à votre métier d'acteur?
Oui, une qui est justement en rapport avec les attentats du 13 novembre. C’est un film du réalisateur espagnol d’origine catalane Isaki Lacuesta. Sur le Bataclan.

Ah bon?
Oui.

Vous y jouez?
Oui, mais c’est vraiment un clin d’œil. Je fais le papa et ma femme Sophie fait la maman. Nous jouons un couple pris dans l’attaque du Bataclan. Elle part à droite de la salle, lui à gauche. Ils survivent et se retrouvent à la fin.

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