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C'est quoi une vague de Covid?

Analyse

La 5e vague déferle sur la Suisse... mais c'est quoi une vague de Covid?

Depuis mars 2020, nos vies sont rythmées par des vagues.
Depuis mars 2020, nos vies sont rythmées par des vagues.Image: Shutterstock
Alors que la Suisse et plusieurs autres pays font face à la cinquième vague de Covid, les experts évoquent déjà la sixième, attendue en janvier. Mais au fait, qu'est-ce que c'est qu'une vague de Covid? Pour comprendre cette notion, il faut filer la métaphore maritime.
13.12.2021, 20:29
Laure Dasinieres / slate
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«La cinquième vague de Covid-19 est là depuis probablement mi-octobre», a affirmé Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique, mercredi 17 novembre sur France Inter. Depuis mars 2020, nos vies sont rythmées par des vagues. Nous nous en souvenons parce qu'elles sont généralement marquées par des restrictions sanitaires accrues (couvre-feux, confinements, renforcement du port du masque). Et lorsqu'on observe les courbes après coup, on voit une augmentation brutale suivie d'une baisse progressive des cas, puis un peu plus tard des hospitalisations, et enfin des décès.

Ainsi donc, au gré de l'expérience de plusieurs vagues successives, nous avons acquis une sorte d'intuition de leur survenue proche, aidée parfois par des indices graphiques et plus souvent confirmée par les répercussions majeures qu'elles ont eues dans nos vies quotidiennes. Mais qu'est-ce qu'une vague exactement? Comment se rend-on compte qu'elle arrive, qu'elle est là?

Disons-le tout de go: il n'existe pas de définition épidémiologique d'une vague. Tout ce que l'on sait, c'est que l'on parle d'épidémie dès lors que le taux de reproduction effectif (Re) est supérieur à 1. Cela signifie que le virus progresse. Pourrait-on alors dire que la vague correspond, dans un contexte où la circulation d'un virus est active, à une remontée de Re au-dessus de 1? C'est une possibilité, mais cela ne suffit sans doute pas. Ou alors il nous faut distinguer vagues et vagues.

Grandes houles et vagues meurtrières

Si l'on adopte une métaphore maritime, il existe des vagues qui ne déferlent pas. Par exemple la grande houle du large. Il existe aussi des déferlantes qui se brisent en raison de la tempête ou de la présence de hauts fonds. Il y a des déferlantes qui sont de la taille de petits moutons, lorsque le vent est un peu soutenu sur une mer formée. Et il y a de redoutables brisants, des vagues dangereuses capables d'endommager des navires ou des infrastructures portuaires, voire de tuer des marins.

Une augmentation des cas sans afflux massif de leurs complications à l'hôpital et sans excès de mortalité représenterait une vague de houle, avec peu de brisants. C'est un peu ce que l'on observe lors de certaines épidémies de grippe ou de gastro-entérite. Une déferlante, en revanche, serait une forte augmentation des contaminations associée à une augmentation subséquente des cas graves, des hospitalisations et des décès.

Les différentes mesures mises en oeuvre préventivement, comme la vaccination, le pass sanitaire ou les gestes barrières, sont destinées à éviter de voir la houle s'intensifier. Mais lorsque la déferlante devient imminente, le marin cherche alors à la négocier au mieux, lorsqu'il sait que le navire risque le naufrage. Prenant alors des mesures fortes, il part en fuite ou se met à la cape.

C'est ce que font nos gouvernants lorsqu'ils instaurent des couvre-feux, déclenchent des confinements, ferment les écoles. Les mesures, sous leur forme la plus légère, ont pour but d'éviter les brisants. Sous leur forme renforcée, elles sont destinées à limiter la déferlante et son impact, que l'on sait parfois dévastateur.

Risque de déferlantes

La hausse subite et brutale des contaminations n'a donc jamais rien d'un événement insignifiant: elle annonce une forte houle et donc un risque de déferlantes. Cela signifie en effet qu'il y a de nombreuses personnes symptomatiques, chez elles en arrêt maladie, ou bien des personnes sans symptômes, encore plus nombreuses, qui continuent à contaminer leur entourage, à l'école ou au travail. La vague déferlante que l'on appelle sobrement «vague» lorsqu'on parle de Covid serait donc définie comme suit: une hausse des contaminations associée à une hausse -concomitante ou un peu décalée dans le temps- des hospitalisations et des décès.

Ainsi, une vague naît d'une augmentation subite du R, se déploie selon une croissance exponentielle des nouvelles contaminations, et finit le plus souvent par déferler avec l'arrivée de cas graves à l'hôpital, qui évoluent parfois jusqu'à une issue fatale.

C'est l'emploi même du mot «vague» qui nous a poussés à une métaphore maritime, car le sens premier du mot nous y incitait évidemment. Mais c'est aussi parce qu'à l'instar de la pandémie, la vague, faute de chiffres et de seuils communément acceptés, est également le fruit de représentations sociales et d'un discours plus profane que scientifique.

«Nommer, c'est faire exister», dit-on: la vague n'existe que si on la nomme ainsi, à partir d'une hausse ressentie par chacun. Les dégâts d'une déferlante sur un littoral dépendent de la topographie des lieux, de la solidité des infrastructures qu'elle rencontre. De même, les impacts des vagues pandémiques dépendront du contexte économique et social et du tissu démographique sur lesquels elles passeront.

En France, en novembre 2021, la cinquième vague, puisqu'on les compte ainsi, survient dans un contexte d'épuisement des populations face à une épidémie qui n'en finit plus. À la lassitude de mener des vies contraintes s'ajoute une situation fragilisée des hôpitaux publics, que l'on dit à bout de souffle. Une fois la vague identifiée et nommée, on doit donc se donner les moyens de penser le danger qu'elle peut représenter.

Une vague peut être d'ampleur nationale comme l'ont été les trois premières (en mars 2020, octobre 2020 et mars 2021), ou plus localisée. Par exemple, la quatrième vague de cet été n'est restée qu'une vague de houle dans la plupart des régions de France métropolitaine. Mais en nombre de contaminations, elle a été vigoureuse en Corse, en région PACA, en Nouvelle-Aquitaine ou en Occitanie, régions où elle-même a brisé, bien qu'atténuée sur le plan des hospitalisations et des décès grâce à la vaccination. Outre-mer, les déferlantes ont été plus violentes cet été, en raison d'une faible couverture vaccinale.

À l'heure où nous écrivons ces lignes, des vagues déferlent massivement dans toute l'Europe de l'Est depuis la fin août et menacent désormais l'Europe de l'Ouest. En France, nous observons les brisants au loin et nous voyons la houle se rapprocher. Est-il temps de rentrer au port afin de nous mettre en sécurité, ou préférons-nous rester au large, sachant qu'à l'approche du grain il faudra savoir négocier les déferlantes?

Ne pas surréagir

Au cours des vingt derniers mois, les marins que nous sommes tous devenus pendant cette pandémie ont appris à prendre au sérieux les premiers signes de la houle. Mais nous avons aussi appris à ne pas trop croire les prédictions à long terme et même à moyen terme, et donc à ne pas surréagir. En somme, on peut commencer par ferler les voiles, réduire la toile, et éventuellement décider de rentrer au port, mais il est encore inutile de mettre le bateau en cale sèche.

«Et les vaccins?», direz-vous. Ces vaccins, nous le savons désormais, ne constitueront pas les digues espérées qui auraient pu empêcher la houle de rentrer dans la baie, puisqu'ils préviennent mal la transmission et l'infection. Mais ils restent en revanche très efficaces pour éviter aux déferlantes de produire leurs dégâts.

Reste que comparativement aux vagues précédentes, nous avons désormais affaire au variant Delta, beaucoup plus contagieux et plus virulent que ses prédécesseurs. Un peu comme les tempêtes ont leur numéro dans l'échelle de leur force, le variant Delta est placé très haut, à l'origine de vagues particulièrement scélérates, comme on a pu le constater en Inde au printemps, puis en Europe centrale et en Russie ces dernières semaines.

Nous nous trouvons également dans une situation où l'immunité commence à décroître chez les personnes qui ont été vaccinées durant l'hiver 2021. D'où la dose de rappel destinée aux plus de 65 ans et aux personnes à risques, et qui pourrait rapidement s'étendre à toute la population.

Mi-novembre, 77% de la population française, soit 89,7% de la population française éligible, a un schéma vaccinal complet. Ce très grand succès va-t-il nous empêcher de devoir faire face à une déferlante aussi importante que celle qui a lieu en ce moment en Grèce ou en Pologne, où seulement 60% de la population est vaccinée?

Ou au contraire, sera-ce insuffisant pour contrer une vague d'une telle hauteur qu'elle n'aura d'autres choix que de déferler méchamment sur une population rendue vulnérable par deux années de pandémie, au sein d'un système hospitalier exsangue, en pleine pénurie de personnels?

Non, ils exagèrent, ils dramatisent ces deux-là, pas avec une telle couverture vaccinale! Ce n'est pas complètement faux: on nous avait bien vendu la vaccination, beaucoup d'entre nous espéraient être enfin débarrassés grâce à elle de cette pandémie et de ces trains de vagues incessants. Des vaccins innovants, efficaces et sûrs. Inutile de dire que sans eux, nous devrions faire face à la promesse d'une hécatombe qui fait trembler.

Impossible de prédire l'évolution de la pandémie

Les pauvres pays qui ont affronté cette vague avec moins de 40% de couverture vaccinale en savent quelque chose. Alors pourquoi un tel pessimisme sur la vague à venir? Nous qui prétendons qu'il est impossible de prédire l'évolution de cette pandémie au-delà de sept jours, pourquoi soudain devenons-nous des oiseaux de si mauvais augure?

Nous vous partageons ici un petit calcul simple qui nous a fait frémir. Partons de l'hypothèse simple selon laquelle le vaccin protège à 90% contre les formes graves: cela signifie qu'on attend dix fois moins de mortalité chez les vaccinés par rapport à l'absence de vaccination. Donc là où on enregistrait 100 décès lors des plus hautes des vagues précédentes, on n'en compterait désormais plus que 10.

Oui, mais... si le pic de contamination était deux fois plus important en raison du variant Delta beaucoup plus transmissible, arithmétiquement cela doublerait le nombre de décès, à même efficacité vaccinale. Ce qui en ferait alors 20.

Oui, mais... si le variant Delta était deux fois plus mortifère que les souches précédentes, on en aurait encore le double. Ce qui en ferait donc 40. La mortalité attendue augmente déjà sensiblement pour cette nouvelle vague à venir.

Oui, mais... et si l'efficacité vaccinale n'était pas de 90%, mais seulement de 80%, en particulier chez les personnes âgées qui n'ont pas toutes reçu leur troisième dose? On reprend les calculs: ce ne seraient plus 40, mais désormais 80 décès qu'il faudrait compter, à comparer aux 100 décès des vagues précédentes.

Oui, mais... si la couverture vaccinale n'était pas de 100%, mais de 85% ou 90% de la population à risque, on retrouverait alors des niveaux d'hospitalisation et de décès comparables à ceux d'avant.

Oui, mais (c'est la fin du raisonnement)... si la montée des contaminations dépassait le double des niveaux les plus élevés enregistrés précédemment, alors on sentirait carrément la saturation hospitalière pointer son nez. Ces scénarios ne sont pas des prévisions. Ce qui se passera sera complètement différent, mais anticiper le pire aujourd'hui peut se révéler utile demain, si cela nous conduit à empêcher qu'il se produise.

Alors, que faire? A-t-on vraiment tout tenté pour éviter les éventuels confinements auxquels sont soumis les pauvres Autrichiens ou Allemands en cette fin novembre? Peut-on éviter à la saturation du système hospitalier de s'inviter durant cette nouvelle vague? A-t-on proposé activement la vaccination à toutes les personnes qui n'ont reçu aucune dose, ainsi qu'une dose de rappel à celles dont l'âge ou l'état de santé le nécessite, voire à toute la population adulte, dans le but de tamponner au mieux la hausse des infections?

Que fait-on pour renforcer les mesures indispensables, comme le port correct du masque à l'intérieur? Qu'attend-on pour instaurer en urgence une réglementation contraignante concernant la ventilation monitorée et efficace des locaux recevant du public? Quand rendra-t-on à nouveau les tests diagnostiques gratuits pour tous, au moins à titre temporaire, c'est-à-dire tant que l'on n'est pas sorti de ce cauchemar?

Utilise-t-on à bon escient les nouveaux médicaments antiviraux qui sont désormais homologués par l'EMA, c'est-à-dire à chaque fois qu'ils peuvent être utiles pour les patients et pour prévenir l'hospitalisation? À quel moment va-t-on promouvoir le retour du recours au télétravail? Quand décidera-t-on le retour des jauges ou les limitations de rassemblements en lieux clos?

Nos dirigeants seront-ils devenus des marins aguerris par deux années de navigation dans les eaux agitées de cette pandémie? Auront-il appris à redouter les déferlantes sur cette mer instable? Sauront-ils débrancher à temps le pilote automatique avant que les brisants assassins ne viennent s'abattre sur une population parfois meurtrie et souvent déchirée? Chercheront-ils en vain à sauver Noël, la buche et le sapin, ou tenteront-ils d'abord d'épargner des souffrances et des vies humaines tant que c'est encore possible?

Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original

Et si on devait porter le masque à vie? Décryptage en vidéo.
Video: watson
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