Les appels à quitter l’Ukraine se multiplient de la part des pays occidentaux. Parmi eux, les Etats-Unis, l'Allemagne, l'Italie, la Grande-Bretagne, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Canada, la Norvège, l'Estonie, la Lituanie, l'Australie, le Japon, Israël, l'Arabie Saoudite ou encore les Emirats arabes unis.
En Suisse, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) se contente pour l'heure de déconseiller les voyages non urgents vers l’Ukraine et «observe avec une grande inquiétude les tensions croissantes à la frontière» selon un communiqué:
Environ 257 ressortissants suisses vivent actuellement en Ukraine et, selon le DFAE, quitter le pays reste pour l’instant une décision individuelle. Mais ces Suisses, établis au cœur des tensions, seraient-ils prêts à tout quitter du jour au lendemain? Pour watson, deux Suisses de Kiev témoignent.
Né à Berne, il a découvert Kiev pour la première fois il y a 17 ans pour un tournage. Réalisateur, il tourne d'abord des publicités pour des clients internationaux en Ukraine. Il s'est ensuite profondément attaché au pays au moment de la révolution ukrainienne on 2013.
Un entrepreneur né à Genève et arrivé en Ukraine en 1993. Il a travaillé avec le Forum économique mondial (WEF) pour lequel il organise des conférences avant de monter sa propre entreprise de jouets. En 2014, au moment de la révolution ukrainienne, il abandonne sa carrière de businessman: «C'était impossible pour moi de continuer à vendre des jouets comme si de rien n'était».
En 2016, Marc vend son appartement de Berlin et décide de s’installer à Kiev de manière définitive. Aujourd’hui, Marc est bien décidé à rester en Ukraine: «J’ai d’abord pensé à préparer la voiture, et ensuite, je me suis demandé: comment savoir à quel moment partir? Si la guerre éclate, on ne pourra plus quitter le pays, on ne pourra même plus prendre sa voiture».
S'il ne quitte pas l'Ukraine, Marc se prépare. Il a déjà réfléchi à un plan stratégique et utilise même le vocabulaire militaire: «Le camp A, c'est notre appartement en ville, le camp B c’est une datcha dans un petit village en dehors de Kiev, et notre camp C, c'est l'appartement de ma sœur à Berlin».
Il avoue également avoir dû apprendre et anticiper des choses inédites: «Nous nous sommes préparés en cas d’absence de communication et d’invasion de la ville de Kiev. Nous avons acheté une radio à piles pour recevoir les nouvelles, de la nourriture pour dix jours, des réserves d'eau. Nous avons aussi acheté des bidons d'essence et nous en avons des litres supplémentaires dans la voiture».
Pour Dirk, c'est pareil: «Je n'ai pas prévu de rentrer, au contraire. On a participé à une marche de solidarité samedi dernier et je pense que c'est un message vraiment important de la part de la communauté étrangère. Montrer que nous sommes là et qu'on restera».
Dirk a lui aussi réfléchi à une stratégie en cas de guerre: «Mon plan, c'est d'emmener ma femme et les chiens dans l'ouest de l'Ukraine et de revenir à Kiev». Pourquoi? Une nécessité:
Depuis huit ans, l'Ukraine est lacérée de tensions, mais sans phase active de combat. Il y a cependant des incidents tous les jours. «Tu entends des coups d'artillerie pratiquement toutes les nuits, il n'y a pratiquement pas une nuit de calme», explique Dirk. «La vie continue comme elle continue depuis huit ans dans le Donbas. Les gens sont prudents, mais il n'y a absolument aucun élan de panique et personne n'est véritablement en train de faire ses valises.»
Se préparer oui, mais dans le calme. «La société ukrainienne est habituée à ce genre de pression», explique Marc.
Pour lui, se préparer dans le calme, c'est avant tout une stratégie de défense: «Comme pour dire à Poutine d’aller se faire voir. Il n’arrivera pas à nous faire paniquer». «Ce qu’il est en train de faire, c’est déjà une guerre: d’un point de vue économique et d’un point de vue psychologique.»
Pour Dirk, il serait inconscient de ne pas se préparer vu la situation actuelle: «D'après mon expérience de la guerre en 2014, quand ça commence, on ne fonctionne plus trop rationnellement. Il vaut mieux avoir préparé une valise avec tout ce qui est important, notamment de l'argent et des documents d'identité. C'est ce que j'ai fait».
Pour Marc, demander aux expatriés de partir est un message dangereux: «C’est exactement ce que veut Poutine: il souhaite détruire la société civile ukrainienne et aujourd’hui, les gens qui aidaient à la développer sont les premiers à s'en aller, c’est une action dévastatrice pour les Ukrainiens».
Dirk constate avec consternation la fermeture complète de certaines ambassades: «Personnellement, je pense que c'est complètement débile. Réduire le personnel, c'est une chose, mais déménager les ambassades ailleurs... Je pense notamment aux Canadiens et aux Australiens qui ont entièrement fermé leurs ambassades et ont bougé à Lviv».
Un autre fait qui a très mal passé dans le pays: «Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont rapatrié leurs observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). En principe, ces gens devraient aussi être là quand il y a du grabuge».
Enfin, pour Marc, une chose est sûre: «Si l'Ukraine venait à être contrôlée par la Russie à long terme, nous partirions, mais seulement à ce moment-là».