L'armée russe a perdu jusqu'à 200 000 hommes depuis le début de son offensive contre l'Ukraine, selon les dernières estimations occidentales. Le nombre de soldats tués oscillerait entre 40 et 60 000. Si l'intensité des affrontements et l'usage massif de l'artillerie sont souvent évoqués pour expliquer ce bilan élevé, une «importante minorité» de ces pertes ne sont pas directement liées aux combats.
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C'est ce qu'affirme dimanche le ministère britannique de la Défense dans son rapport quotidien sur le conflit, qui fait état d'un nombre «extrêmement élevé» d'incidents se produisant dans les rangs de l'armée russe. Crimes, accidents de la circulation, décès liés à l'abus d'alcool et cas d'hypothermie en sont les exemples les plus répandus, selon Londres.
«Les pertes hors combat ne sont pas "normales", elles ne constituent pas un objectif militaire en tant que tel et ne sont pas planifiées», réagit Alexandre Vautravers, rédacteur en chef de la Revue militaire suisse. «Pourtant, historiquement et statistiquement, elles ont toujours existé».
Le spécialiste cite notamment les accidents de la route et les crashs d'avion ou d'hélicoptère. «L'une des causes les plus fréquentes est le manque de formation et d'instruction du personnel», poursuit-il, en évoquant l'exemple suivant:
Si ces pertes ne sont donc pas une spécificité russe, l'armée du Kremlin constitue un cas très particulier, ce qui rend difficile la comparaison avec d'autres forces, estime Alexandre Vautravers. «Tout d'abord, le nombre de tirs fratricides y est extrêmement élevé, notamment en ce qui concerne les avions abattus par des missiles sol-air», explique-t-il. «Deuxièmement, il existe de graves problèmes de violence interne, surtout vis-à-vis ou parmi les conscrits».
Autre problème mis en lumière par le rapport du renseignement britannique, la consommation d'alcool, «omniprésente» au sein de l'armée comme de la société russe. «Les armées reflètent les sociétés qui les produisent et la consommation d'alcool est un problème connu au sein de l'armée russe», commente le rédacteur en chef de la Revue militaire suisse.
A cause de cela, complète le rapport britannique, l'abus d'alcool a longtemps été considéré comme un élément tacitement accepté de la vie militaire, même dans le cadre d'opérations de combat.
«De plus, on sait que les conditions de vie au sein de l'armée russe ne sont pas très bonnes, qu’il s’agisse de l’état des cantonnements ou de la gestion des horaires, sans parler des violences internes et du clivage existant entre les cadres et les conscrits», poursuit Alexandre Vautravers.
Plusieurs problèmes de taille affligent donc les forces du Kremlin. «Tout cela est connu depuis longtemps», commente le spécialiste. «Ce qui est particulier avec l'armée russe, c'est qu'elle est toujours confrontée aux mêmes réalités qu'il y a 20 ou 30 ans».
«On dit généralement que les guerres servent à réformer les armées, car elles révèlent les dysfonctionnements et recherchent l’efficacité», poursuit-il. «Or en Russie, cela ne s'est pas produit, malgré plusieurs conflits récents lors desquels le commandement aurait pu et dû apprendre de ses erreurs».
Le spécialiste formule l'exemple de la culture du commandement, qui n'aurait guère évolué depuis des décennies: «Depuis les années 1940, les armées occidentales pratiquent l’"Auftragstaktik ou la "conduite par objectifs", qui nécessite de faire confiance à ses camarades et à ses subordonnés», explique Alexandre Vautravers. Ce n'est pas le cas en Russie.
«Dans l'armée russe, il n'y a guère d’autonomie de décision», complète-t-il. «Tout doit être décidé et approuvé par les généraux, et les échelons inférieurs se retrouvent souvent sans aucune information ni marge de manœuvre. D’ailleurs, la rigidité opérationnelle et les statistiques des pertes russes reflètent cette mauvaise culture du commandement».