Le film Deep throat a 50 ans cette année. A sa sortie en juin 1972, Gorge profonde, de son petit nom français, fait scandale. Tout en devenant le premier porno culte, avec ses millions de spectateurs et spectatrices. Un paradoxe qui résume bien l'histoire de cette caresse buccale qu'est la fellation: celle d'une considération qui a connu des hauts et des bas, mais qui est pratiquée «depuis toujours», explique Marc Lemonier, historien de la sexualité.
Ses premières traces remontent à l'Antiquité gréco-romaine. Des dessins explicites sur des temples et des objets, ou encore des poteries aux formes phalliques invitant à être prises en bouche ne laissent guère de doute sur la pratique de cette caresse.
Même la mythologie égyptienne repose en partie sur une histoire de fellation: celle pratiquée par Isis sur son frère et époux Osiris, grâce à laquelle elle le ressuscite. En outre, la reine Cléopâtre était surnommée «la fellatrice». Une rumeur selon laquelle elle aurait offert cette caresse à tous ses gardes courait alors: il s'agissait surtout d'une propagande romaine visant à dénigrer ses amants et «ce couple maudit» qu'elle formait avec Marc Antoine.
A l'époque, la fellation était pratiquée, mais pas par tout le monde. Elle était plutôt associée aux prostituées.
Ce n'est pas avec l'expansion du christianisme au Moyen-Age que la fellation entrera en odeur de sainteté. Au contraire, l'Eglise condamne toute activité sexuelle qui n'a pas pour objectif la procréation, comme la fellation ou la sodomie. «Dès les premiers textes chrétiens qui traitent de la sexualité, tout ce qui est amusant est banni», appuie Marc Lemonier.
Au même moment, au 5e siècle, en Inde, le Kamasutra célèbre la fellation: le manuel d'art de vivre du quotidien, destiné à la haute société indienne, consacre un chapitre entier au «congrès buccal». «Les conseils concernant la fellation sont d'un raffinement que les experts de la chose de notre époque auraient du mal à surpasser.» Cela dit, l'auparishtaka (ou relation buccale) est réservée aux eunuques et aux courtisanes, mais interdite aux femmes mariées.
En France, il faut attendre le 18e siècle pour que la fellation soit érigée en art de vivre chez les libertins. Marc Lemonier parle même d'un «siècle de l'apologie de la fellation», avec une littérature libertine qui regorge de textes faisant son éloge. Mais, en dehors du foyer familial, encore une fois. «Les fellations étaient pratiquées par les femmes marginales, dites de petite vertu: courtisanes, comédiennes, le petit peuple des femmes dévergondées selon les caractéristiques de l'époque.» Pas par la mère de ses enfants.
Mais on peut raisonnablement supposer que certaines personnes s'y adonnaient. Des chansons paillardes ou des fabliaux y font allusion. Par ailleurs, la fellation, comme la sodomie et le coït interrompu, sont réputés être les «systèmes de contraception de l'époque, dans les campagnes». Enfin, dans les manuels de confessions destinés aux religieux – sortes de guides de conduite d'une interview des personnes venant à confesse –, on trouve des questions explicites sur la fellation. En tout cas, au 19e siècle, la fête est finie: «C'est une période de grand rigorisme», souligne l'historien.
Au 20e siècle, la perception de la fellation change drastiquement. D'abord, le rapport Kinsey, du nom de son auteur, paru aux Etats-Unis en 1948, éclaire sur la sexualité des Américains. Les réponses de 5000 hommes interrogés montrent que la pratique n'est pas marginale, même très répandue: 60% d'entre eux connaissent le plaisir de la fellation. «Les répondants expliquent que c'est pour éviter les grossesses et une manière de calmer les ardeurs de l'homme», pointe Marc Lemonier. Paradoxalement, la fellation et d'autres pratiques dites contre nature sont illégales dans certains Etats des Etats-Unis, même si ces lois ne sont pas appliquées.
Deuxième phénomène du 20e siècle: le cinéma pornographique, qui rend visible cette pratique en la montrant à l'écran. Et participe ainsi à sa démocratisation. Si elle reste encore quelques années associée à une pratique sulfureuse, aujourd'hui, «elle est complètement banale dans la sexualité, tous âges confondus, observe Marc Lemonier. Il n'y a plus de débat là-dessus. Alors qu'il y a encore des réticences concernant la sodomie ou le triolisme par exemple».
Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original