Ce 11 juin 1981, il fait beau à Paris. Renée Hartevelt, étudiante de 24 ans, se présente au numéro 10 de la rue Erlanger, dans le 16e arrondissement. La jolie blonde doit filer un coup de main à son ami Issei Sagawa, un autre expat' qu'elle a rencontré sur les bancs de la fac, durant un cours de littérature comparée.
La Néerlendaise s'est prise d'affection pour ce petit bout d'homme «discret et poli» d'un mètre 52, à la tête démesurément grosse pour ses 35 kilos et ses jambes si maigres qu'elles «ressemblent à des crayons». Séquelle d'un accouchement difficile et d'une encéphalite contractée à l'âge de deux ans, dont il a réchappé de justesse.
Les deux amis vont régulièrement boire des cafés sur Saint-Germain-des-Prés pour papoter littérature ou regarder des films au cinéma du Quartier latin. Ce que Renée ignore, c'est que son camarade l'a repérée depuis longtemps.
Issei Sagawa alimente ses fantasmes de cannibalisme depuis son plus jeune âge.
Il a grandi à Kobe, grande ville dans la baie d’Osaka, entre une mère possessive et sur-protectrice qui le force à manger sans cesse pour survivre, et un père chef d'entreprise richissime et très permissif.
A 23 ans, Issei a déjà été arrêté par la police japonaise pour tentative de meurtre sur une touriste allemande. La rescapée accepte de retirer sa plainte contre un généreux dédommagement financier du père Sagawa. Issei s'en tire sans poursuites et achève de brillantes études à l'université réputée d'Osaka.
Tout cela, Renée Hartevelt l'ignore. Le 11 juin 1981, absorbée par sa lecture à haute voix d'un poème en allemand, elle ne prête aucune attention à son hôte. Issei Sagawa lui tire une balle dans la nuque. Une seule, à bout portant, avec une carabine 22 long rifle. La jeune femme meurt sur le coup.
Ce moment, Issei y songeait depuis longtemps. Alors, il prend son temps. Il déshabille le cadavre de Renée, place la jeune femme dans sa baignoire et la viole. Avant d'entreprendre un dépeçage méticuleux de son corps avec une scie électrique.
L’ogre au physique d’enfant assouvit son fantasme ultime et croque dans un bout de chair.
Il prélève le nez, les lèvres, la langue, les bras, les épaules, les cuisses, les parties génitales et l'anus de sa victime: sept kilos de chair au total qu'il consomme crus ou cuits, assaisonnés de moutarde, dans les jours suivants.
Son problème? Il ne dispose pas de congélateur.
Alors, deux jours plus tard, Issei se résout à appeler un taxi.
Sur les rives du bois de Boulogne, un couple profite de ce samedi soir ensoleillé du 13 juin 1981 en se lançant dans une balade au bord du lac. Les promeneurs sont interpellés par le comportement d'un petit homme asiatique, qui trimballe péniblement deux valises dans un caddie de supermarché. Dans une pente, il perd le contrôle du chariot. Les bagages se renversent.
Issei Sagawa sursaute et s'enfuit, en abandonnant son chargement. Il laisse aux deux amoureux le soin de signaler à la police leur macabre découverte: un drap ensanglanté et des morceaux de cadavre.
Un appel à témoins plus tard et le chauffeur de taxi se manifeste. Il n'a pas oublié son jeune client qu'il a amené du 10 rue Erlanger, jusqu'au bois de Boulogne.
Arrêté par les policiers, Issei Sagawa n'émet aucune résistance. Au contraire: il revendique son crime qu'il décrit comme un «acte artistique».
La perquisition de son appartement achève de prouver sa culpabilité.
Papiers d'identité de Renée Hartevelt, taches de sang, carabine 22 long rifle, pellicule photo avec 39 clichés du dépeçage du cadavre, dictaphone contenant un enregistrement du crime, shampouineuse pour la moquette et un exemplaire de Charlie hebdo du 16 août 1979.
Et finalement, dans le frigidaire, conservés dans de petits sacs-poubelle et sur des assiettes en carton: sept kilos de tissus humains.
Au terme d'un an d'examens psychiatriques pendant lesquels trois experts indépendants se penchent sur le cas Issei Segawa, on conclut à un acte commis sous la pulsion «cannibalique» dans un état de «démence». Le meurtrier est jugé pénalement irresponsable. Toutefois, son «extrême dangerosité» conduit à son internement à l'Unité pour malades difficiles de Villejuif, dans le Val-de-Marne.
Segawa ne séjournera qu'un an dans ce pavillon ultra-sécurisé. Le 21 mai 1984, à 11h40, encadré d’un médecin et d’un policier, le «cannibale japonais» monte à bord du vol Air France 272, direction Tokyo.
De retour dans son pays natal, «l'étudiant français», ainsi surnommé par les médias, est transféré à l'hôpital psychiatrique Matsuzawa de Tokyo. Il jouit d’un régime assez souple, mange de bon appétit, dort bien, lit beaucoup, mais ne se mêle pas aux autres. En revanche, il apprécie les balades dans le parc d’attractions de Kawasaki, où il peut faire du kart à pédales et assister à des spectacles d'otaries qui le font rire aux éclats.
Ses médecins lui diagnostiquent des «troubles de la personnalité», mais aucun symptôme psychotique. Plus rien ne justifie son internement: au bout de quatorze mois, le patient, jugé sain d'esprit, est un homme libre.
En France, un non-lieu a été prononcé. La police japonaise n'a donc aucune raison de le poursuivre.
Sorti d'hôpital, le cannibale japonais entame son extravagante saga médiatique et sa quête d'un travail.
S'en suivent une quinzaine de livres au succès mitigé, mais gorgés de détails scabreux (et aux titres aussi appétissants que J'aimerais être mangé ou Ceux que j’ai envie de tuer), un manga, des tournages de films pornos (dont un remake du meurtre du 11 juin 1981) et des publicités pour des chaînes de restaurants de... viande. Ainsi que beaucoup, beaucoup d'interviews.
Las de sa médiatisation, le «piètre artiste, mais redoutable pervers» finit par se retirer dans son bungalow tokyoïte au style rococo, où il collectionne bibelots et faux tableaux de Renoir. Il occupe ses journées en peignant des aquarelles et des nus de femmes, sur fond de sonates de Mozart.
Au milieu des années 2010, retiré et un peu oublié, l'ogre japonais fait encore l'objet d'un documentaire. Diminué par du diabète et un AVC, il ne se déplace plus qu’en fauteuil roulant. Affaibli, il n'en reste pas moins glaçant lorsqu’il confesse, en plan serré, être encore tenaillé par son appétit de chair humaine.
Issei Segawa meut d'une pneumonie le 24 novembre 2022, à l'âge de 73 ans. Des funérailles ont déjà eu lieu en présence de ses seuls proches. Aucune cérémonie publique n'était prévue, selon un communiqué transmis par son éditeur.
Aucune récidive n'a été découverte.